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Apprendre à flotter

En 1908, C. Pagès écrivait, dans son A B C de l'Éducation physique, petit livre remarquable qui aurait pu tout aussi bien mériter les honneurs de l'actualité s'il avait été écrit en 1950, car il avait tout pressenti, ce qui suit :

« Le flottement naturel est la base de la natation. Au point de vue éducatif, le plus intéressant est de savoir flotter : pour se reposer, si on sait nager ; pour attendre du secours, si on ne sait pas ! »

Or certains moniteurs de natation, poussés par leurs impétueux élèves, dont le principal désir est non pas de bien nager, mais de devenir tout de suite une vedette, oublient trop souvent d'apprendre d'abord aux débutants à flotter. Le flottement, dans la suite, est délaissé sous prétexte qu'il ne comporte ni vitesse, ni championnat. Et pourtant, lorsqu'il s'agit d'enfants et de débutants, on leur rendrait le plus grand service en organisant de petits concours de flottaison en piscine et en eau douce. Je dis en eau douce, parce qu'en mer calme la flottaison est vraiment trop facile à obtenir, du fait de la plus grande densité de l'eau, pour constituer un exercice vraiment éducatif, bien que, même dans ce cas, il ait l'énorme intérêt de donner au débutant « confiance en l'eau ».

C'est Franklin qui, en 1756, signala que le corps est plus léger que l'eau et qu'on peut y flotter longtemps sans autre danger que le refroidissement. Les jambes, les bras, la tête de l'homme sont spécifiquement un peu plus lourds que l'eau. Mais le tronc, et surtout le thorax, plus ou moins rempli d'air, est tellement plus léger que l'eau douce qu'ils compensent largement cette infériorité et qu'ils permettent à l'ensemble du corps, pourvu qu'on s'abandonne à l'eau avec confiance, de surnager sans effort.

Sans apprentissage, si un débutant s'allonge dans l'eau sur le dos, il ne pourra rester longtemps dans cette position. Les jambes et le bassin s'enfoncent progressivement jusqu'à ce qu'on se trouve dans une position verticale, et, à ce moment, on restera suspendu, le thorax maintenant quelques instants la tête au-dessus de l'eau, comme une ceinture pneumatique. Si l'on conserve la tête droite, en moins d'une minute, le sujet, essoufflé, ne pourra plus assurer la réserve d'air suffisante, et il va s'engloutir. Mais, si l'on penche la tête franchement en arrière et qu'on se couche sur l'eau, la tête franchement enfoncée dans l'eau et ne laissant émerger que la bouche et le nez, son poids devient négligeable, puisqu'elle devient supportée par elle-même, et le visage restera libre au-dessus de l'eau.

Même, pour un sujet normalement habillé, le poids des vêtements dans ces conditions ne suffit pas à l'immerger.

Il y a évidemment dans ce phénomène des degrés, des variantes, selon la morphologie de chacun, en particulier selon le degré d'adiposité ou de maigreur (les sujets les plus gras, donc les plus lourds, flottant le mieux, ce qui n'est paradoxal que pour ceux qui oublient que la graisse est plus légère que la charpente osseuse ou les muscles), mais l'observation de Franklin est, dans la généralité, valable.

Or il suffit d'un apprentissage à la portée des plus ignorants et des plus timorés pour montrer à un enfant que, s'il s'abandonne à l'eau en se couchant sur elle franchement sur le dos, tête enfoncée aux trois quarts, tous muscles détendus, il flotte avec la plus grande facilité, à la seule condition de bien respirer par le nez. Tout le corps doit rester dans l'eau, à l'exception de la bouche, du nez et d'une petite partie du front ; la respiration doit être calme et lente, mais profonde.

Dans cette position, les sujets légèrement adipeux flottent totalement immobiles et pourraient s'endormir sur l'eau si le sommeil n'entraînait un ralentissement du débit respiratoire qui rendrait la poche pneumatique pulmonaire de suspension insuffisante. Les sujets maigres ont un peu plus de difficultés ; il leur suffit de se servir de leurs mains, doigts bien réunis, comme d'une rame, pour y parvenir très facilement.

Pour reprendre pied, il suffit d'allonger les bras en avant. C'est à ce moment qu'il faut faire remarquer à l'élève la difficulté relative qu'il éprouve à retrouver la position verticale, donc la résistance de l'eau, en laquelle il peut avoir confiance.

Quand on aura fait faire cet exercice trois ou quatre fois à un enfant en l'aidant et en le soutenant, il le fera seul avec facilité, et on lui aura rendu plus de services qu'en le saturant des plus savantes théories pour les raisons suivantes :

1° Quand on a acquis la notion de la densité de l'eau et la confiance, le chapitre le plus important de l'éducation du nageur est acquis. En effet, à partir de ce moment, l'élève n'a plus qu'à travailler ses mouvements et son style, sans être freiné par la pensée qu'il est dans l'eau.

De plus, cet exercice l'oblige à contrôler et à développer sa respiration. Enfin il implique une position de départ correcte, condition première de l'acquisition ultérieure d'un style correct. Il apprend aussi la notion de la détente et de la décontraction, autres éléments indispensables à une nage efficace, quel que soit le style choisi.

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C'est ainsi que Franklin, sans le vouloir sans doute, fut un grand précurseur de la natation, puisque, dans l'observation qu'il a faite et publiée, on retrouve tous les principes essentiels de la natation moderne.

Mais, depuis, on a fait sur ce même phénomène de la correction de l'attitude sur l'eau des observations qui permettent d'affirmer qu'une nage correctement exécutée constitue un appoint appréciable dans le traitement de certaines malformations telles que la scoliose, et dans la conduite de la rééducation des convalescents de paralysie infantile.

Nous reviendrons, dans une prochaine causerie, sur ces intéressants aspects du sport et du style dans leurs rapports avec la pathologie et la thérapeutique.

Dr Robert JEUDON.

Le Chasseur Français N°643 Septembre 1950 Page 541