Un champion, un comingman ne suivent pas les règles
de vie imposées par leur métier. Journalistes et critiques sportifs sont-ils
alors autorisés à rappeler à l'ordre les coupables, à révéler publiquement, en
termes plus ou moins voilés, leurs écarts de conduite ? Le problème
apparaît délicat. Abordons-le sans hypocrisie.
Notre solution est négative quand l'athlète défaillant est
un amateur. Un homme qui pratique le sport uniquement pour son plaisir ne doit
de comptes qu'à lui-même ou à son entraîneur, d'oreille à oreille. Tant pis
pour lui s'il dilapide sottement ses forces, son capital de santé, d'élan, de
joies saines et profondes. Nous ne ferons de réserves qu'en ce qui concerne les
« purs » désignés pour une rencontre internationale. L'événement
dépasse leur personnalité propre. Ils sont, en quelque sorte, des ambassadeurs
dont les succès ou les échecs ont des répercussions, parfois considérables, sur
le plan du prestige national. Si des sélectionnés se sentent incapables de se
priver de certains plaisirs, voire de certains sports contre-indiqués en
période d'entraînement — la natation pour un coureur à pied, par exemple — ils
doivent décliner l'honneur qui leur est fait. En agissant ainsi, ils se
montrent loyaux, et nul n'est fondé à les accuser.
Pour les professionnels, la question se pose de façon,
différente. Ils sont liés par des engagements moraux et matériels, au public
qui paie sa place, aux organisateurs, aux clubs, aux marques qui les équipent.
Dans leur propre intérêt, ils doivent penser qu'ils ont choisi un métier très
particulier. Dans l'espace de dix années — en moyenne — il leur faut
assurer leur avenir. Sauf qualités ou chances exceptionnelles, un professionnel
ne gagne guère largement sa vie avant vingt-deux ou vingt-trois ans. La
trentaine dépassée, le déclin s'annonce, plus ou moins rapide. Des phénomènes
de longévité sportive ne peuvent être pris pour étalons.
N'est-ce pas rendre un service signalé à un jeune que de le
mettre en garde contre des écarts qui, sans une importance pour un travailleur
normal, risquent de compromettre sa vie tout entière ? Ne doit-on pas lui
donner comme exemple à ne pas suivre le destin lamentable de certains de ses
prédécesseurs qui, après une période faste, ont sombré dans l'oubli, la misère,
ou continuent à exhiber des restes de leur valeur passée en mendiant des
contrats dérisoires ?
En tout, il est nécessaire d'observer une juste mesure. Sans
violer le secret des salles à manger et des alcôves, le censeur peut indiquer,
en termes modérés mais nets, des fautes, des défaillances.
On a imprimé, avec raison à notre sens, que tel footballeur,
international éphémère avait tort de danser la samba dans une boîte de nuit la
veille d'un match de championnat. On a révélé que tel routier abusait des
viandes saignantes. On a chuchoté que tel champion cycliste, doté d'un physique
avantageux, n'était pas insensible aux avances des demoiselles de médiocre
vertu. Se sont-ils corrigés à la suite de ces rappels à l'ordre ? Le plus
souvent, ceci dit à leur honneur.
Des gens guettés par l'obésité, l'apoplexie, la sénilité
précoce, plaignent les garçons qui, en pleine jeunesse, sont astreints à
s'imposer des restrictions. Ils s'extasient quand ils apprennent que Dauthuille
ne boit plus en mangeant, que Villemain se prive des sauces dont il est friand,
que Lucien Teisseire se convertit à un végétarisme modéré et que X ... a
juré d'observer une continence quasi monastique. Indice d'un bon naturel, leur
admiration nous paraît exagérée. Une loi qui ne souffre que peu d'exceptions
édicte qu'il n'est pas de réussite solide sans sacrifices. Dans le domaine qui
nous occupe, l'enjeu est assez tentant pour que l'on s'impose des privations,
fussent-elles pénibles.
Certaines destinées participent du conte de fée. De petits
mécanos, des apprentis, des paysans conquièrent, grâce au sport, gloire et
fortune. Puis, grâce aux économies réalisées au cours de leur courte carrière,
ils deviennent des industriels importants, des commerçants ayant pignon sur
rue. Ceux-là ont su gérer leur capital physique et se retirer avant de
ressentir l'usure de leurs forces.
En pendant, comme des sujets de pendule, on placera les
hommes de classe exceptionnelle qui ont ruiné leurs énergies, faute de volonté.
Il ne s'agit pas de faire de la morale, mais de proposer les éléments d'un
choix aux ambitieux qui rêvent de devenir des Villemain, des Harris, des Fausto
Coppi.
Charron, plus que tout autre, avait l'étoffe d'un champion
du monde : il frappait comme un cent de mules et il boxait. On dit qu'il a
su réaliser des économies. Tant mieux. Nous n'évoquons son cas que parce qu'il
est notoire. D'autres seraient plus significatifs, qu'il serait cruel de
divulguer.
L'athlète, en ce qui concerne la discipline personnelle,
peut être valablement comparé à un ténor, lui aussi fragile quoiqu'il dure plus
longtemps. Si vous possédez parmi vos relations un champion du « contre ut »,
demandez-lui quelles règles il observe pour conserver l’étendue, la souplesse,
le brillant de son organe ; quelles tentations il doit repousser, lui qui
incarne, sur les planches, les héros et les séducteurs.
Dix ans de surveillance, ce n'est pas terrible, que diable !
D'autant plus que les bonnes habitudes s’acquièrent aussi aisément que les
mauvaises.
Fuir les sauces, ne pas boire en mangeant, que de bourgeois
au foie paresseux s'astreignent à ce régime, sans glaner des dollars en
Amérique !
Contre des entraînements plus insidieux, il existe un
remède : le mariage.
Mais ça, c'est une autre histoire. Et un philosophe a dit
qu'il n'est pas de mariage délicieux.
Jean BUZANÇAIS.
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