Accueil  > Années 1950  > N°643 Septembre 1950  > Page 542 Tous droits réservés

La vie privée des champions

Un champion, un comingman ne suivent pas les règles de vie imposées par leur métier. Journalistes et critiques sportifs sont-ils alors autorisés à rappeler à l'ordre les coupables, à révéler publiquement, en termes plus ou moins voilés, leurs écarts de conduite ? Le problème apparaît délicat. Abordons-le sans hypocrisie.

Notre solution est négative quand l'athlète défaillant est un amateur. Un homme qui pratique le sport uniquement pour son plaisir ne doit de comptes qu'à lui-même ou à son entraîneur, d'oreille à oreille. Tant pis pour lui s'il dilapide sottement ses forces, son capital de santé, d'élan, de joies saines et profondes. Nous ne ferons de réserves qu'en ce qui concerne les « purs » désignés pour une rencontre internationale. L'événement dépasse leur personnalité propre. Ils sont, en quelque sorte, des ambassadeurs dont les succès ou les échecs ont des répercussions, parfois considérables, sur le plan du prestige national. Si des sélectionnés se sentent incapables de se priver de certains plaisirs, voire de certains sports contre-indiqués en période d'entraînement — la natation pour un coureur à pied, par exemple — ils doivent décliner l'honneur qui leur est fait. En agissant ainsi, ils se montrent loyaux, et nul n'est fondé à les accuser.

Pour les professionnels, la question se pose de façon, différente. Ils sont liés par des engagements moraux et matériels, au public qui paie sa place, aux organisateurs, aux clubs, aux marques qui les équipent. Dans leur propre intérêt, ils doivent penser qu'ils ont choisi un métier très particulier. Dans l'espace de dix années — en moyenne — il leur faut assurer leur avenir. Sauf qualités ou chances exceptionnelles, un professionnel ne gagne guère largement sa vie avant vingt-deux ou vingt-trois ans. La trentaine dépassée, le déclin s'annonce, plus ou moins rapide. Des phénomènes de longévité sportive ne peuvent être pris pour étalons.

N'est-ce pas rendre un service signalé à un jeune que de le mettre en garde contre des écarts qui, sans une importance pour un travailleur normal, risquent de compromettre sa vie tout entière ? Ne doit-on pas lui donner comme exemple à ne pas suivre le destin lamentable de certains de ses prédécesseurs qui, après une période faste, ont sombré dans l'oubli, la misère, ou continuent à exhiber des restes de leur valeur passée en mendiant des contrats dérisoires ?

En tout, il est nécessaire d'observer une juste mesure. Sans violer le secret des salles à manger et des alcôves, le censeur peut indiquer, en termes modérés mais nets, des fautes, des défaillances.

On a imprimé, avec raison à notre sens, que tel footballeur, international éphémère avait tort de danser la samba dans une boîte de nuit la veille d'un match de championnat. On a révélé que tel routier abusait des viandes saignantes. On a chuchoté que tel champion cycliste, doté d'un physique avantageux, n'était pas insensible aux avances des demoiselles de médiocre vertu. Se sont-ils corrigés à la suite de ces rappels à l'ordre ? Le plus souvent, ceci dit à leur honneur.

Des gens guettés par l'obésité, l'apoplexie, la sénilité précoce, plaignent les garçons qui, en pleine jeunesse, sont astreints à s'imposer des restrictions. Ils s'extasient quand ils apprennent que Dauthuille ne boit plus en mangeant, que Villemain se prive des sauces dont il est friand, que Lucien Teisseire se convertit à un végétarisme modéré et que X ... a juré d'observer une continence quasi monastique. Indice d'un bon naturel, leur admiration nous paraît exagérée. Une loi qui ne souffre que peu d'exceptions édicte qu'il n'est pas de réussite solide sans sacrifices. Dans le domaine qui nous occupe, l'enjeu est assez tentant pour que l'on s'impose des privations, fussent-elles pénibles.

Certaines destinées participent du conte de fée. De petits mécanos, des apprentis, des paysans conquièrent, grâce au sport, gloire et fortune. Puis, grâce aux économies réalisées au cours de leur courte carrière, ils deviennent des industriels importants, des commerçants ayant pignon sur rue. Ceux-là ont su gérer leur capital physique et se retirer avant de ressentir l'usure de leurs forces.

En pendant, comme des sujets de pendule, on placera les hommes de classe exceptionnelle qui ont ruiné leurs énergies, faute de volonté. Il ne s'agit pas de faire de la morale, mais de proposer les éléments d'un choix aux ambitieux qui rêvent de devenir des Villemain, des Harris, des Fausto Coppi.

Charron, plus que tout autre, avait l'étoffe d'un champion du monde : il frappait comme un cent de mules et il boxait. On dit qu'il a su réaliser des économies. Tant mieux. Nous n'évoquons son cas que parce qu'il est notoire. D'autres seraient plus significatifs, qu'il serait cruel de divulguer.

L'athlète, en ce qui concerne la discipline personnelle, peut être valablement comparé à un ténor, lui aussi fragile quoiqu'il dure plus longtemps. Si vous possédez parmi vos relations un champion du « contre ut », demandez-lui quelles règles il observe pour conserver l’étendue, la souplesse, le brillant de son organe ; quelles tentations il doit repousser, lui qui incarne, sur les planches, les héros et les séducteurs.

Dix ans de surveillance, ce n'est pas terrible, que diable ! D'autant plus que les bonnes habitudes s’acquièrent aussi aisément que les mauvaises.

Fuir les sauces, ne pas boire en mangeant, que de bourgeois au foie paresseux s'astreignent à ce régime, sans glaner des dollars en Amérique !

Contre des entraînements plus insidieux, il existe un remède : le mariage.

Mais ça, c'est une autre histoire. Et un philosophe a dit qu'il n'est pas de mariage délicieux.

Jean BUZANÇAIS.

Le Chasseur Français N°643 Septembre 1950 Page 542