Pour toutes les rivières étudiées jusqu'ici, qu'elles soient
issues du Jura, du Massif Central ou des Pyrénées, nous avons toujours trouvé
des caractéristiques communes, permettant de les comparer et de les classer. Il
n'en est pas de même pour les rivières des Alpes, dont la physionomie et
surtout le régime sont totalement différents de ce que nous avons rencontré
jusqu'à présent.
Les points d'embarquement beaucoup plus élevés, les pentes
très accentuées, les énormes réservoirs constitués par les glaciers ou
l'accumulation des neiges, tout contribue à faire de ces rivières de véritables
torrents. Nous utiliserons encore ici l'échelle de cotation des difficultés,
qui est la même pour toutes les rivières, mais nous retiendrons que, pour une
même classe, la rivière des Alpes sera plus difficile et souvent plus
dangereuse. En effet, comme nous venons de le souligner, le débit et la forte
pente engendrent des rapides très longs, à très fort volume d'eau, et il faut
généralement parcourir de très longues distances sans trouver la possibilité
d'aborder. La hauteur des vagues, la violence du courant qui, souvent, drosse
le canoé contre la falaise ou l'obstacle, exigent, sur ces rivières, une
technique très sûre, une grande expérience et un matériel parfaitement au point.
Si vous ajoutez à ces difficultés la basse température de
l'eau, vous conviendrez qu'un dessalage, sur une rivière des Alpes, doit
toujours être considéré comme un accident grave. Il faut tout mettre en oeuvre
pour l'éviter et, s'il se produit, être à même d'en limiter les conséquences.
Dans n'importe quelle région, une rivière de classe 2 ne présente aucune
difficulté sérieuse et si, par inadvertance ou maladresse, un canoéiste s'y
dessale — ailleurs que sous un barrage, bien entendu — il lui suffira
de savoir nager pendant quelques dizaines de mètres pour tirer son bateau à la
berge. Dans les Alpes, les rivières de classe 2 sont rares, mais, si le même
dessalage, s'y produit, il vous faudra peut-être, avant de pouvoir aborder,
nager pendant plusieurs centaines de mètres dans une eau dont la température
sera probablement inférieure à 10°. Et il n'est pas certain que vous puissiez
ramener le bateau à la rive sans aide !
Du reste, tous les canoéistes savent parfaitement que, sur
de telles rivières, le gilet de sauvetage est indispensable.
Cette longue mise en garde n'a pas pour objet de vous
détourner des rivières des Alpes ; j'ai seulement voulu attirer
l'attention des néophytes et souligner qu'aucune ne pouvait être considérée
comme absolument facile.
Non seulement les rivières des Alpes ne ressemblent pas
à celles des autres régions, mais elles présentent entre elles des différences
très sensibles. Successivement, nous dévalerons au pied des plus hauts sommets
ou pénétrerons dans des gorges étroites et inaccessibles autrement que par
l'eau. Ici, la rivière roulera des eaux considérables sur un fond de galets, et
le canoé bondira sur la crête d'énormes vagues ; là, au fond des gorges,
les rochers réclameront d'adroites manœuvres. Souvent ces deux conditions
seront réunies, et nous nous trouverons en présence d'une bonne « classe 5 »,
aux difficultés ininterrompues, une de ces rivières que quelques canoéistes
seulement sont capables de vaincre, en profitant de conditions favorables et
avec une minutieuse préparation. Sur de tels torrents, il n'est pas question de
flânerie ni de douceur de vivre ; comme en haute montagne, il s'agit de
veiller, et c'est seulement lorsque le but est atteint que l'on éprouve une
grande satisfaction.
Suivant qu'elles sont alimentées par la fonte des neiges ou
les glaciers, ces rivières ont un régime différent, qu'il faut bien connaître.
Pour les premières, la période de hautes eaux va d'avril à juin, tandis que les
autres atteignent leur maximum en août ; une forte crue rend la plupart de
ces rivières impraticables.
Il existe maintenant une abondante documentation sur les
rivières des Alpes, et nous nous bornerons à les énumérer en indiquant
seulement la classe et les caractéristiques principales.
Bien qu'étant la plus facile de ces rivières, l'Arve
(Cl. 2) n'en présente pas moins toutes les qualités ; c'est par elle
qu'il faut commencer pour se familiariser avec les difficultés qui attendent le
canoéiste dans les Alpes.
Affluent de l'Arve, le Giffre est plus difficile (Cl. 4),
avec des parties de gorges souvent infranchissables.
Le Chéran (Cl. 3-4), le Fier (Cl. 3-4-6)
sont certainement les rivières les plus fréquentées de Savoie : paysages
variés de gorges et de vallées profondes dominées par les plus hauts sommets ;
navigation sportive avec rapides le plus souvent rocheux.
Les Dranses, qui se jettent dans le lac Léman,
offrent des difficultés de classe 4.
Les hautes vallées de l'Arc et de l'Isère
présentent les plus fortes difficultés qu'un canoéiste puisse surmonter, avec
des rapides interrompus de classes 4 et 5. L'Isère, pour cette raison, a été
surnommée « La Rivière Blanche ».
Sur le Drac, les difficultés sont de classe 4 au fond
de gorges imposantes.
La Drôme (Cl. 2) et l'Eygues (Cl. 3-4)
descendent de montagnes moins élevées et doivent être parcourues au printemps.
La Durance est une rivière des plus classique et
typiquement alpestre ; les difficultés y sont moins fortes que sur l'Arc
et l'Isère (Cl. 3 et quelques rapides cotés 4), et sa descente présente
moins de danger sans être cependant de tout repos.
Sur la Guisanne et l'Ubaye, affluents de la
haute Durance, les difficultés sont de classes 5 et 6. Par contre, l'Asse,
le Petit et le Grand Buech, qui se jettent dans la Durance
beaucoup plus en aval, sont des rivières plus faciles à descendre seulement au
printemps.
Le Verdon mérite une mention particulière :
vallée encaissée, difficultés 3 et 4 en amont du grand canyon ; gorges
étroites, rapides de classes 2 et 3 en aval. Le grand canyon lui-même a été
descendu par des groupes allégés au maximum et spécialement entraînés aux durs
portages. Les difficultés y sont de classes 4 et 6, dans un décor
extraordinaire.
Nous terminerons l'énumération des rivières des Alpes en
citant deux fleuves côtiers : l'Argens (Cl. 3), où l'on ne
peut trouver assez d'eau qu'en début de saison, et le Var au débit très
irrégulier. Celui-ci et son affluent, la Tinée, sont à classer parmi les
plus belles rivières de France, baignant une région des plus agréable. On y
rencontre des difficultés de classes 3 à 5 et des gorges d'accès très délicat.
G. NOËL.
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