L'originalité essentielle du yachting est de pouvoir vivre
complètement à bord, absolument libéré de toute attache et de toute contrainte.
En comparaison de notre vie moderne si trépidante et épuisante, c'est le grand
repos dans l'évasion totale. Ni l'auto, ni le camping ne permettent une telle
rupture avec la civilisation, un tel retour à la nature. Et c'est ce qui
explique la vogue des croisières, vogue freinée, hélas ! par
l'amenuisement du pouvoir d'achat du Français moyen, et aussi par l'inorganisation
de la vente à crédit des yachts. Pourquoi un petit yacht comme le Bar
n'est-il pas vendu à crédit comme une 203 à 20.000 francs par mois ? La
chose est courante en Amérique ; et, maintenant que notre petit franc
semble en bonne voie de convalescence, ne peut-on pas espérer un desserrement
du crédit ? En attendant des jours meilleurs, beaucoup d'amateurs
établissent des projets, dessinent des plans et bouquinent des traités de
navigation. S'il est relativement facile de dessiner les plans d'une villa, il
est, par contre, beaucoup plus compliqué de dessiner les lignes d'un yacht.
Laissant ce travail aux professionnels, la plupart des plaisanciers désirent
disposer eux-mêmes les aménagements intérieurs, et de magnifiques projets
naissent ainsi sur le papier. Mais bien peu, faute d'expérience, se révèlent
réalisables, et presque toujours le contenu est plus grand que le contenant. Je
ne dis pas aux amateurs de renoncer, au contraire. Ne vous privez pas de ce
plaisir de préparer votre future maison flottante, mais n'en faites pas une
maison de poupées, et n'y prévoyez que ce qui peut y être contenu.
Les parois d'un bateau ne sont pas verticales. Elles se
rapprochent à mesure qu'on descend vers la quille, et, en conséquence, la
largeur utilisable diminue. C'est là une évidence élémentaire, mais il est
nécessaire de la rappeler aux débutants qui dessinent leur installation en
utilisant le contour extérieur du bateau dans sa plus grande largeur. Les
couchettes, par exemple, ne se trouvent pas sur le pont, mais sensiblement à la
hauteur de la flottaison. Pour les disposer correctement, il faut donc se
reporter au plan des formes. On trace le contour donné par la ligne de
flottaison ; on déduit l'épaisseur des bordés et des membrures, et on
relève alors les largeurs disponibles. Et, comme il faut pouvoir circuler entre
les couchettes, on calcule par la même méthode la largeur du plancher. Pour
mieux réaliser votre futur espace vital, reconstituez-le en grandeur vraie en
utilisant des chaises, des tables, des planches et des ficelles. Vous aurez
peut-être des déceptions, mais elles sont salutaires, et vous voilà averti.
Renoncez aux couchettes des invités, qui ne viendraient d'ailleurs pas.
Prévoyez le bateau minimum pour vous et votre famille, en tenant compte de vos
projets de croisière. Ne cherchez pas à bord le genre de vie qu'offre une
maison. Ces deux axiomes posés, on peut établir les généralités suivantes, sous
réserve des variantes imposées par l'âge des passagers et la durée de la
croisière (besoin de confort croissant proportionnellement à ces deux
éléments).
Pour un petit voilier de 5 mètres de flottaison, le problème
des aménagements est simple, presque imposé : deux banquettes-couchettes,
une table-cuisine, une petite soute à l'avant. Une variété des aménagements
n'est possible qu'au-dessus de 6 mètres de flottaison. Dans ces dimensions, il
faut renoncer à se tenir debout dans la cabine. Certains amateurs tiennent à la
position verticale, et ils prévoient des roofs impressionnants. Rien n'est plus
disgracieux qu'un roof élevé sur un petit yacht, et, comme il donnera prise au
vent, le bateau dérivera excessivement, rendant le plus près impossible. Cet
inconvénient disparaît avec le yacht à moteur, qui, à longueur égale, aura un
intérieur plus confortable que le voilier pur ou mixte.
Autrefois, le roof allait du cockpit au mât, sous
l'influence des traditions maritimes favorables au pont d'une seule pièce, type
flush-deck, et hostiles à cette caisse horrible, le roof. Mais le confort l'a
emporté, et il se trouve sur tous les yachts, au-dessous de 12 mètres de
flottaison tout au moins. Il permet plus d'air et de lumière que le flush-deck,
et nos architectes lui ont donné des profils très acceptables. Actuellement, le
roof a tendance à dépasser le mât et à recouvrir le poste avant, qui est la
plupart du temps une cabine à deux couchettes. Celle-ci reçoit plus d'air et de
lumière et bénéficie d'une plus grande hauteur sous barrots, donnant hauteur
d'homme dans les yachts d'au moins 8 mètres de flottaison. Si le mât traverse
le roof, il faut consolider ce dernier, qui reçoit les efforts de flexion du
mât. On peut aussi interrompre le roof devant le mât et prévoir un second roof
à l'avant. En reliant les hiloires, ou parois verticales des roofs, on a un
espace fermé qui peut recevoir les drisses. Autre solution qu'on trouve dans
les études de l'architecte naval H. Dervin : le mât posé sur le roof. Elle
dégage très heureusement l'intérieur.
La hauteur du roof doit être proportionnelle à la taille
du yacht. Elle ne doit pas dépasser la hauteur de l'étrave. Pour atténuer
l'effet disgracieux produit par les hiloires verticales, on réduit leur hauteur
et on augmente la courbure du pont du roof, ce qu'on appelle le bouge. À
l'avant, l'hiloire est en plan incliné. Enfin, dernière astuce, on donne aux
hiloires une teinte foncée, généralement couleur bois naturel verni, ce qui
accroche moins le regard. Une mode récente a lancé le deck-house. C'est un roof
arrière surélevé, et il a été popularisé par l’Anahita, du célèbre
capitaine Bernicot. Ce roof donne une bonne hauteur à l'intérieur, ce qui est
particulièrement appréciable sur les yachts qui ont la cuisine au voisinage de
la descente. Mais ce deck-house, que les Anglais appellent dog-house (niche à
chien), doit être de dimensions modérées et doit laisser entre son avant et le
mât un emplacement suffisant pour loger le youyou, dans l'axe du bateau et la
quille en l'air. Un solide amarrage avec pitons et sangles y doit être prévu,
si vous ne voulez pas que votre youyou soit enlevé par un paquet de mer un jour
de gros temps.
J'ai toujours admiré l'aisance avec laquelle les amateurs
multipliaient le nombre des couchettes dans leur projet d'installation. De
véritables dortoirs flottants ... Il m'est difficile de donner à ce sujet
des indications précises, le volume intérieur pouvant varier considérablement
pour une même longueur de flottaison. Mais, en moyenne, on peut prévoir sur un
voilier de 6 mètres de flottaison deux couchettes et un cadre dans le poste. De
7 à 8 mètres de flottaison, deux couchettes dans la cabine, deux cadres dans le
poste, avec une cuisine et une toilette. Avec 9 mètres de flottaison, on a la
possibilité d'installer trois couchettes, deux cadres dans le poste, une
toilette et une cuisine. De 10 à 11 mètres de flottaison, quatre couchettes et
deux cadres, avec toujours la cuisine et la toilette.
Sur les yachts à moteur, les aménagements seront plus
confortables à longueur égale. Le cockpit sera souvent au centre, l’arrière
pouvant être aménagé en cabine à deux couchettes. Comme on le voit,
l'emplacement des couchettes est parfaitement déterminé (des tentatives de
couchettes transversales n'ont pas eu de suite), mais il en est autrement pour
les positions respectives de la cuisine et de la toilette, ce qui fera l'objet
de ma prochaine causerie.
A. PIERRE.
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