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Grande culture

Entre deux campagnes

Entre la campagne qui s'achève, et que caractérise une moisson attendue au moment où ces lignes sont écrites, et la campagne qui commencera par la préparation des terres lorsque ce numéro paraîtra, se placent les réflexions que commande l'expérience des jours écoulés.

De tous côtés, les céréales s'effondrent ; tantôt c'est la ruine par la grêle, tantôt la verse qui plaque les tiges à terre, le vent intervenant pour provoquer des tourbillons qui rendent sinistre cet aspect de dévastation. Contre la grêle, on cherche à lutter par une étude plus serrée du phénomène, et des organisations se sont créées en vue de la défense par le tir. Nous avons été le témoin d'un effort sérieux dans le Gers, et la sirène annonciatrice rappelait les jours pénibles d'un passé que dominent d'autres événements ; les nuages si caractéristiques dans leur couleur et dans leur aspect ajoutaient encore à l'appréhension de dégâts irrémédiables.

Contre les orages et leurs effets consternants, le champ est malheureusement bien limité. Cependant on n'est pas sans noter quelques faits qu'il faut exploiter. Récemment, je m'entretenais avec un des meilleurs praticiens producteurs de blé que je connaisse, et nous étions d'accord sur la formule suivante : l'agriculteur doit avancer soutenu par la tradition et encouragé par sa propre expérience. Il faudrait considérer qu'une tradition est en perpétuelle évolution, avoir le courage de noter les faits acquis chaque année, les ajouter à la moyenne que représente la tradition en éliminant en même temps une tranche antérieure ; c'est ce que j'ai appelé, à propos d'un autre travail, la moyenne décennale progressive. Je livre cette réflexion à la méditation des praticiens observateurs qui ne se contentent pas de jouer sur l'année qui finit pour engager la partie de l'année suivante.

Quels sont donc les enseignements que présentent certains champs dévastés. Je ne parle pas de l'accident qui aplatit tout, la violence de l'averse orageuse, le vent qui précède ou accompagne ou suit la chute d'eau, n'a pas pitié de l'effort que l'homme a réalisé pour essayer de se concilier les grâces de la nature. Ce qui me frappe en voyant des champs d'essais de variétés, c'est la différence indéniable de résistance au fléau. Ainsi à Grignon, après plusieurs journées catastrophiques, certains blés présentent nettement une résistance marquée. Faut-il en conclure que, 1951 nous donnant des craintes, il convient hardiment de se lancer vers autre chose. Quelle erreur, car, en premier lieu, un blé résistant peut être exigeant et sa résistance est inégale suivant les cas ; tel blé à peu près debout dans les parcelles modérément fumées au champ d'essais est à plat comme ses voisins dans un champ qui donnait des espoirs de 40 quintaux et plus; il est entre les deux dans un autre champ où la récolte avait également de belles apparences, mais avec un fonds de terre différent. Les observations vont continuer, mais citons encore un fait :

Voici un champ où, par suite de la sécheresse de 1949, une luzerne semée à l'abri d'un escourgeon a été complètement détruite par la sécheresse de l'été ; pour ne pas bouleverser la succession des cultures dans l'avenir, on décida à l'automne 1949 de reprendre un blé venant ainsi en troisième paille, puisque l'escourgeon avait succédé à un blé, succession fâcheuse ; mais le blé était la culture relativement facile à faire et un trèfle ensemencé ce printemps donnera, en 1951, du fourrage équivalant à la deuxième année de luzerne si celle-ci avait été réussie. Pour assurer le développement du blé, semis assez hâtif, sur forte fumure d'automne prolongée par un supplément d'engrais azoté au printemps de cette année. Alors que les autres blés de la ferme se présentaient fort beaux, ce Vilmorin 27 ne m'enchantait pas ; on était resté, si je puis dire, à l'étage au-dessus d'Yga par exemple, plus exigeant. Eh bien, en ce moment, il paraît faire la nique à ses voisins : il n'est pas rigoureusement droit, mais, si rien n'arrive, on moissonnera encore la moitié du champ sans que la lieuse soit astreinte à des tours perdus. Je ne voudrais pas conclure à l'inutilité des blés exigeants qui ont de grands besoins, ni à la satisfaction d'avoir des blés à moindre rendement pour être tranquille, mais, tout de même, ce fait comporte un enseignement.

Pousser à la fumure pour s'assurer ou, plus sagement, essayer de s'assurer un rendement élevé, c'est fort bien quand la terre le permet. Car ce que permet la terre, ce ne sont pas ces nombreuses tiges, ces épis épais, c'est la continuité de son effort jusqu'à la fin, lorsque, dès le départ, la végétation équilibrée est certaine. Je songe à une culture pas très éloignée d'ici, rendements envisagés 30 à 50 p. 100 de plus qu'à Grignon, mais, depuis de longues années, la terre a été approfondie, assainie, améliorée sous tous rapports et, à la sortie de l'hiver, la végétation a un aspect que nous n'avons pas encore égalé ; on travaille à Grignon sur une terre dont la constitution est différente, moins argileuse, et seulement depuis trente ans, subissant en outre toutes les rigueurs de la guerre, alors que, sur la terre à laquelle je pense, trois quarts de siècle dans un sens continu, sans accroc au cours des deux guerres, la progression a été assurée.

Alors je conclus à la fertilisation dans la mesure où la terre peut, ainsi que le disait Jean Dumont, digérer l'engrais qu'on lui incorpore ; enrichissement en matière organique d'abord, moyen prestigieux de régularisation de la végétation, tel est, il me semble, le point de départ, et, quoi qu'on dise, le problème ne trouve pas aisément sa solution.

Allons plus loin, dans la culture du blé — et de toutes les plantes — c'est l'équilibre entre les trois éléments fondamentaux qui est à considérer. Laissons de côté les oligo-éléments, dont le rôle paraît décisif dans de nombreux cas. Évidemment, pour être à l'abri des surprises, on peut pour ainsi dire, bourrer la terre en éléments phosphatés et potassiques qui ne partent pas et qui répondront présent si l'azote, cet élément troublant et qui, par sa préparation par le sol, nous donne une idée des fantaisies de la nature s'offre à la plante par suite d'une nitrification démesurée. Mais, si le phénomène ne se manifeste pas, temps froid, temps sec, ne risque-t-on pas d'autres déséquilibres : la plante n'est pas passive, elle réagit, se défend et, si elle ne succombe pas, elle témoigne par son moins grand développement total de sa contrariété.

Par conséquent, dosage total d'engrais, rapport entre les éléments, constituent certainement des éléments de défense dont il faut se préoccuper au moment où les commandes d'engrais vont partir chez le fournisseur.

Il y aurait d'autres réflexions à faire au sujet des semis, nous en parlerons le mois prochain.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°643 Septembre 1950 Page 550