Rien n'est moins heureux pour le tir que de le laisser
s'endormir dans des habitudes. On s'en aperçoit lorsqu'on opère
occasionnellement sur des terrains qui ne vous changent cependant pas trop de
ceux auxquels on s'est, en quelque sorte, identifié à force d'y traîner ses
guêtres. On ne s'y trouve plus comme chez soi, et ce petit accroc à sa quiétude
coutumière cause un certain malaise à la routine ; accroc dont on ne
saurait mesurer le bienfait. Ce malaise, pourtant, n'est qu'un embryon
d'avertissement : rien ne vous sonne le réveil comme de déplanter ses
accoutumances et d'enfouir à nouveau leurs racines dans de la terre lointaine.
Elles y repousseront, certes, mais pas toujours avec la rapidité qu'on
prévoyait.
Après un nombre raisonnable de permis, on croit, non sans
motifs apparents, parfaitement connaître la chasse du lièvre et celle de la
perdrix. Dans ce cas-là, on généralise à tour de bras.
Disons, pour éviter toute interprétation erronée, que nous
envisageons à ce propos la chasse de la seule perdrix grise l'habitat de la
rouge ne s'étendant guère aux régions de très grandes plaines cultivées.
On généralise jusqu'au jour où, après ses premiers pas dans
un pays de haies, de broussailles et de maigres cultures, on s'aperçoit que les
résultats ne sont pas à l'avantage de l'expérience nouvelle. Les facilités de
pointage qu'on attendait d'un nombre beaucoup plus élevé de repères ne se sont
pas du tout montrées dès les premiers coups de fusils.
Le gibier : perdrix, cailles, lièvres, lapins, est
cependant le même, mais la région diffère ; et c'est la raison pour
laquelle bien des gens sont désorientés en débutant. Pas tous, car il est des
horloges qui ne se détraquent point. On ne le trouve plus aux mêmes places. Le
poil est rarement dans le ras ; et le catéchisme des couverts, tel que
vous l'apprend la plume des vastes plaines, est périmé. Ils sont trop nombreux,
trop durs : ils déroutent les chasseurs et les chiens qui les battent pour
la première fois. Et puis il y a les landes, qui ne ressemblent pas tout à fait
à la Beauce.
Le pays est rude et vallonné ; les champs sont entourés
de talus dénudés, ou plantés le plus souvent. Il faut monter, descendre,
escalader, sauter continuellement : exercice exténuant pour les champions
du terrain libre et plat. La chasse n'est plus la vieille connaissance de jadis :
le fait de ne pouvoir suivre des yeux le gibier qui s'enfuit vous donne la
curieuse impression qu'elle est courte, et restreinte au style de la bricole.
On en revient parce que cette espèce de réflexe ne vaut rien et que cette
chasse-là est la vraie quand on y réfléchit.
Elle ne vous permet point, en effet, d'aller directement à
la remise des perdrix qui disparaissent très vite, après leur départ, derrière
un obstacle impénétrable. Pour les relever, il faut chasser, battre tous les
champs jusqu'à ce qu'on les découvre une deuxième fois, au lieu de ne reprendre
sa quête qu'à l'approche au champ choisi par elles pour se poser. On chasse en
ne comptant que sur son chien, sans le secours de souvenirs visuels facilitant
le jeu. Le corps peine, et le cerveau travaille : la lutte est continuelle
et sans tricherie. Pas de gros tableaux en perspective ; mais celle
autrement alléchante de pouvoir tuer des perdrix devant soi jusqu'à la
fermeture. À condition d'acclimater son tir, qui suit avec docilité le
dépaysement qui gêne les transplantés.
Dans les champs étendus, qui ne sont pas légions, le tir ne
s'éloigne guère de celui de grande plaine, sauf que les perdrix, entraînées par
de continuels franchissements d'arbres, ont un coup d'aile particulièrement
vigoureux.
Partout ailleurs, il est bon de tirer vite et de tuer aussi
net que le gibier part brutalement.
Comme les compagnies comptent généralement un plus grand
nombre d'oiseaux et sont moins farouches, tout concourt à laisser croire qu'il
ne doit pas être malaisé d'en tuer. Pourtant, à la première grosse volée
partant bruyamment à 15 mètres d'une haie assez hautement boisée, qu'elle
survole en un clin d'œil, les non-initiés commencent à se troubler.
Lorsqu'un peu plus tard il en jaillit une autre, employant
la même tactique, en travers cette fois, afin de plonger derrière la haie au
long de laquelle on marchait, la première surprise tourne au désenchantement.
Devant cette défense qui fait effet d'une attaque, et qui
saisit, il faudrait avant tout rester soi-même, ainsi que nous l'avons
précédemment expliqué, et voici, au contraire, que brusquement on s'aperçoit
qu'on est un autre !
La seule réponse à cette ruée d'oiseaux pressés de s'abriter
derrière les arbres est un tir extrêmement rapide. Rien ne vient mieux à bout
de leur élan que le tir en plein tel que nous l'avons fragmentairement décrit,
puisque les trois quarts du temps toute prise d'avance est impossible.
Cette méthode sur des oiseaux montant simplement, ou montant
en travers, donne des résultats surprenants, auxquels on a peine à croire,
lorsqu'on a pris ses convictions dans la logique d'une théorie bien saine qui
vous certifie que, même à distance très moyenne, dans de telles conditions, le
coup doit passer dessous.
La caille, la reposante caille de nos pères, a aussi son
petit mot à dire. Au pied des talus dégarnis et bas vers lesquels,
sournoisement, elle piète pour exécuter son dessein, elle saute pour ainsi dire
par-dessus ce talus dans un crochet cerclant et rasant. En travers et même en
cul, il n'est pas de coup plus difficile, hors du bois. De plus passionnant
aussi, car le but est petit.
Pour l'atteindre, il n'est pas de méthode qui tienne. Le
coup d'intuition, à toute vitesse, est de rigueur, comme pour le lapin. Par la
force des choses, il appartient à la famille du tir en plein, à la condition,
lorsqu'il s'agit d'un coup en travers, d'avoir le temps et la possibilité
d'utiliser le jeu de pieds, sans lequel il est impossible.
Ce jeu de pieds consiste, pour un tir de droite à gauche, en
une élévation légère au-dessus du sol du talon droit, et en un pivotement
obligeant l'orteil droit à appuyer fortement sur le terrain, tout en conservant
le pied gauche bien à plat.
De gauche à droite, il suffit d'inverser l'opération.
Rappelons, en passant, pour aider à comprendre la facilité
avec laquelle s'opère le mouvement, que la position des pieds exigée par cette
méthode veut qu'ils se trouvent écartés l'un de l'autre de 15 centimètres :
les talons pas trop rapprochés, et le pied droit immédiatement derrière le
gauche. Tenue en contradiction flagrante avec la recommandation de faire
supporter le poids du corps à la jambe gauche, n'ayant d'autre dessein que de
répartir le poids du corps sur les deux jambes, afin d'obtenir un meilleur
aplomb.
Ceci dit, expliquons maintenant la manoeuvre du tir en
travers telle que l'a préconisée le grand armurier anglais, qui a mis au point
cette méthode de tir en plein, connue depuis longtemps.
Il faut bien regarder l'oiseau, pivoter aisément et
régulièrement, puis compléter ce déplacement du corps par un coup droit, sans
vérifier le geste accompli. Apparemment, on tire droit, et sans calculer, sur
un oiseau en travers ; mais on n'en fait pas moins le nécessaire, presque
inconsciemment, pour le devancer.
On ne doit pas monter le fusil à l'épaule avant que les
pieds et le corps n'aient terminé leur demi-volte-face, sous peine de manquer à
coup sûr. L'envoi du coup de fusil doit partir d'une position fixe qui profite
toujours du mouvement qui la précède, mais qui ne la sollicite que pour trouver
cette position. Elle ne permet à aucun balancement volontaire de s'introduire
dans son principe, condition très compréhensible, sans quoi il ne s'agirait
plus de tir en plein, mais de tir en suivant la pièce.
Nous ne dirons rien sur le poil, dont le tir ne varie guère
et n'a rien de véritablement dépaysant dans les régions dont nous venons de
parler. Celui de la plume seul est déroutant, mais uniquement en ce qui
concerne le tir, car, au point de vue des chiens mal éduqués, on est plutôt
favorisé sur ce terrain où les perdrix s'élèvent franchement.
Raymond DUEZ.
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