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Le nez chez le chien d'arrêt

Nul ne contestera que le flair, le « nez », comme disent les chasseurs, soit une des qualités primordiales du chien. C'est la grande acuité de ce sens, développée à l'extrême chez certaines races canines, qui a fait domestiquer cet animal par l'homme, pour lequel il est devenu, par la suite, le plus précieux des auxiliaires : flair du chien policier, utilisé pour la recherche des malfaiteurs ; du chien de chasse, pour celle du gibier, et même du chien « truffier », car il en est qui savent déceler, sous la pierraille, des truffières, le tubercule noir et parfumé qui fait les délices des gourmets.

Nous ne parlerons ici, puisque c'est pour nous, chasseurs, le seul qui nous intéresse, que du chien de chasse. Quand un chasseur a dit que son chien a du nez, il paraît jubiler de satisfaction. Et il a, ma foi, bien raison, car vous savez tous comme moi que chasser avec un chien qui n'a pas de nez n'a pas plus d'agrément que de chasser sans chien.

Peut-être moins même, car, si c'est un chien indiscipliné qui en fasse à sa tête, et gambade de droite à gauche, ou au-devant de vous, comme un fou, il risque de se taper dans le gibier qui partira souvent hors de portée. Laissons donc de côté le chien qui n'a pas de nez et dont le chasseur n'a que faire ; et si, comme cela peut arriver, hélas ! il est tombé sur un animal de cet acabit, le mieux, pour lui, est d'en faire cadeau à un ami, amoureux des bêtes, mais non chasseur. Et ce, si beau soit-il, car la beauté, n'en déplaise à certains, est la dernière des choses à rechercher chez un chien de chasse, tandis que la première, celle qui compte le plus, est le nez.

Il ne faut pas être grand expert canin pour se rendre compte qu'un chien a du flair. Voyez celui-ci : il est couché, les yeux mi-clos, semblant dormir ou rêver ; remarquez sa truffe : de temps en temps, vous la voyez s'agiter d'un imperceptible tremblement ; les narines s'ouvrent et battent, le museau se lève un peu ; vous pouvez être assuré que c'est un chien qui a l'odorat très développé ; la moindre émanation lui est très sensible, et il cherche à en recueillir, pour la reconnaître, la moindre parcelle. Si, parmi un lot de chiens, vous cherchez à choisir le bon sujet, prenez celui-là ; vous ne serez pas déçu.

Mais il y a nez et nez, comme il y a poire et poire. Et c'est ici qu'il y a lieu d'insister, car beaucoup d'erreurs se commettent à ce sujet. Pourquoi veut-on qu'un chien ait du nez ? Pour quelle raison a-t-on, ainsi, utilisé le chien à la chasse ? Uniquement dans le but de lui faire d'abord déceler le gibier là où il est tapi, puis de le retrouver, soit si, blessé, il s'est enfui, soit si, touché à mort, il est tombé dans un endroit inaccessible au chasseur, ou tellement couvert qu'il est à peu près impossible à ce dernier de le trouver.

Le gibier, qu'il soit caché, qu'il coure ou piété devant le chasseur, émet des ondes d'effluves qui sont recueillies par le chien. Plus son odorat sera sensible, plus il les sentira de loin. Il faut que le chien de chasse — je parle ici du chien d'arrêt, car, pour le chien courant, c'est une autre affaire, il faut que le chien d'arrêt ait un flair assez développé pour pouvoir percevoir directement les effluves émanant du gibier. Combien ai-je vu de chasseurs, de vieux chasseurs même, habitués à des corniauds et n'ayant jamais vu un chien de grand nez, s'extasier sur les nasillements sans fin de leur toutou sur une piste de perdreaux ou de tout autre oiseau. « Regardez donc s'il les sent ! En a-t-il du nez ! » Et de rester là de longs moments, à regarder tourner l'animal, flairant, le nez à terre, la piste d'un gibier levé depuis une heure. À côté, montrez-leur, au contraire, un de ces chiens qui font le bonheur du vrai chasseur, qui filent le nez haut, sans chercher la terre ni les pistes. Pour eux, ce chien ne chasse pas et n'a pas de nez ; il n'a même pas senti l'endroit où la compagnie était blottie ! Mais, tandis que le premier tourne toujours sur place, l'autre a déjà fait 200 mètres à la course, tournant sa tête haute à droite, à gauche, puis brusquement a ralenti son allure, allongeant sa silhouette, se dirigeant droit sur un but invisible autant pour vous que pour lui ; il paraît attiré par un aimant irrésistible. Enfin, sans dévier d'un pouce, le voilà qui s'est immobilisé. Et, tandis que votre compagnon, là-bas, s'amène après avoir dit à son toutou : « Allons, viens, il n'y a rien », la compagnie — ou le perdreau — vous part à belle devant vous, et vous faites parler la poudre.

Il est bien difficile, pour le chasseur qui a possédé un tel chien, de s'habituer ensuite à un pistard, à un nasillard. Et sans parler même des chiens anglais : pointers ou setters, qui sont les champions de la chasse aux émanations directes, nous avons, parmi notre cheptel canin national, des races qui les valent : bretons, bleus, Saint-Germain, etc., offrent des sujets aussi bien doués que ceux d'outre-Manche, et on en trouve, même, qui, dans les concours de chasse sur le terrain, leur « dament le pion ». J'ai eu, pour ma part, un breton dont les facultés olfactives étaient développées à l'extrême. Tout jeune, au cours de son dressage, auquel je pratiquais avant sa première saison de chasse, je pus reconnaître ses grandes qualités de nez : le dressant à la recherche et au rapport, je dissimulais dans l'herbe un objet quelconque : laisse, morceau de bois, balle, etc., puis le faisais chercher à bon vent et le nez haut. Au bout de quatre ou cinq crochets, au galop, il finissait à flairer l'objet caché souvent à une quinzaine de mètres de l'endroit où il se trouvait et allait le prendre pour me le rapporter. Si c'eût été un chien « pistard », il eût peut-être tourné sur place pendant une heure sans le retrouver, ou il aurait fallu qu'il aille passer dessus pour le ramasser. Il est bien rare qu'un chien de grand nez, s'il est sage et méthodique, laisse passer un gibier blotti depuis de longues heures : lièvre ou lapin gîté, perdreau bourré durant la chaleur ou bécasse tapie dans un fourré ; pourtant un tel gibier immobile émet moins d'effluves que celui qui se déplace. Le chien de nez court, au contraire, qui en est réduit à suivre les pistes, passera la plupart du temps à côté sans en avoir connaissance si le gibier n'a pas laissé de traces autour de sa remise.

Ceci a encore plus d'importance si l'on chasse au marais. Un canard ou tout autre oiseau ne laisse pas de traces sur l'eau pour si peu qu'elle recouvre totalement le sol. Un chien de nez court ne vous lèvera donc de gibier qu'en barbotant dans les herbes et les roseaux, mais ne pourra le sentir à distance. Un chien de grand nez, au contraire, qui recherche l'émanation directe, ira droit sur le gibier et le fera lever. Là encore, l'épagneul dont je parle plus haut m'a donné bien des satisfactions. Par hautes eaux, quand je ne pouvais, même avec mes cuissardes, que suivre le bord du marais, je le voyais parfois s'arrêter, tourner la tête vers le large et humer l'air dans la direction du fouillis de roseaux ou d'herbes aquatiques qui se trouvaient à 30 ou 40 mètres de la rive ; alors il se mettait à l'eau et, à la nage, il allait faire envoler sarcelles, canards ou poules d'eau qui, bien à l'abri, seraient certainement restés bien tranquilles sans cela.

Quant à la recherche du gibier blessé ou tombé au fourré, un tel chien mettra bien moins de temps, vous vous en doutez, pour le prendre que celui qui ne cherche que le nez à terre.

J'ai eu, après la perte du chien en question, un de ces descendants qui, pensais-je, pourrait avoir hérité de ses qualités. Il n'en fut rien, malheureusement, et il fallait qu'il passe à un mètre d'un lapin ou de tout autre gibier pour le sentir et l'arrêter. Je m'en suis défait au bout de deux saisons de chasse, n'ayant pu me contenter de sa médiocrité. J'avais été trop gâté pendant neuf ans par son prédécesseur, qui m'a rendu fort difficile sous le rapport du nez. J'ai passé ma saison dernière sans chien ; il en sera de même pour celle-ci. Aurai-je la chance et le plaisir, pour la prochaine, d'avoir l'objet de mes rêves ? C'est la grâce que je me souhaite.

C'est celle que je vous souhaite à vous aussi, chers confrères en Saint Hubert à la recherche d'un bon chien de grand nez, qui vous donnera les grandes joies du vrai chasseur.

FRIMAIRE.

Le Chasseur Français N°644 Octobre 1950 Page 593