Il n'est pas nécessaire de présenter longuement la perche à
nos lecteurs. Tous ont vu son corps anguleux, caréné, sa nageoire dorsale
érectile garnie de dangereux piquants, ses opercules tranchants en arrière, ses
écailles rudes, au toucher de râpe, sa bouche large et bien munie de dents, ses
nageoires inférieures rougeâtres et, enfin, les bandes noirâtres de sa robe,
qui font songer au tigre.
La perche est un poisson de proie, aussi dangereux pour le
fretin que le brochet et la truite, plus même peut-être, car elle est beaucoup
plus nombreuse que ces deux carnassiers dans la plupart des rivières. Elle peut
vivre partout, dans les eaux stagnantes des lacs et des étangs, aussi bien que
dans les canaux et cours d'eau non torrentiels ; mais elle préfère les eaux
pures.
La perche n'est pas un poisson des grands courants ;
elle s'établit le plus souvent le long des rives bordées de buissons,
d'arbustes aux branches avançant sur l'eau, dans les bordures de végétations
aquatiques, dans les interstices des enrochements, etc. ... Là, elle vit
en famille, embusquée dans ces obstacles pour chasser à ses heures. Seules, les
grosses perches vivent solitaires.
Voient-elles passer à portée une troupe d'alevins ?
Elles s'élancent ensemble et happent les moins lestes. Leur nage est rapide,
saccadée ; elles ne poursuivent pas longtemps une proie, elles s'en
emparent par surprise.
Mais la perche ne se nourrit pas seulement de fretin ;
il faut même qu'elle ait déjà une certaine taille pour s'y attaquer. Les
moyennes et petites consomment surtout des vers, des larves, des insectes, des
mollusques et crustacés de petite taille et poursuivent même la mouche
artificielle que le pêcheur laisse évoluer à leur portée.
Parmi les esches préférées de la perche, les écrivains
halieutiques citent tous la « petite bête » ; mais les pêcheurs
ne sont pas d'accord sur l'identité exacte de cet appât si prôné. En 1906, j'ai
reçu, sous le nom de « petites bêtes de Toul », en provenance de
cette localité, de vulgaires vers de farine, larves du ténébrion, qui, du
reste, ont fait merveille.
J'ai vu des confrères se servir de la crevette d'eau douce,
du ver de vase, de larves de phryganides, sialides et perlides, et tous
affirmaient pêcher à la « petite bête ». La vraie petite bête est la
larve de la grande éphémère de mai (Ephemera vulgata ou danica),
mouche d'eau qui apparaît sur nos rivières en nombre incalculable, du 15 mai
au 15 juin environ. Cette larve, qui a passé deux ans en milieu liquide,
avant de se transformer, est la plus grosse des larves d'éphémères ; elle
a 10 à 12 millimètres de long, parfois davantage, et ressemble par la forme à
nos forficules, mais, au lieu de pinces arquées, elle a trois cerques à
l'extrémité postérieure de l'abdomen.
C'est une esche assez consistante et très vivace, qu'on
accroche à l'hameçon vers son quatrième anneau et qui, néanmoins, s'agite fort
longtemps, bougeant continuellement ses pattes et ses cerques ; la perche
en est tout spécialement friande. Les traités la citent comme esche de
printemps, mais elle réussit parfaitement en septembre-octobre ; celles
qu'on trouve à cette époque dans la vase des ruisseaux sont un peu plus petites
que celles de mai.
N'étant pas destinée à la pêche des grosses pièces, la « petite
bête » demande un équipement plutôt léger : canne en roseau tiercé de
4m,50 de long, avec scion flexible ; corps de ligne fin ;
bas de ligne de 2 mètres en catgut, nylon, crin japonais ou racine 3 X, voilà
ce qu'il faut. Moulinet facultatif, épuisette obligatoire.
Beaucoup de pêcheurs ne montent qu'un seul hameçon terminal,
un n°12 très acéré. Je préfère un léger « pater noster » à 3 hameçons
n°13, espacés chacun de 0m,60, au-dessus de l'hameçon de fond.
Il faut un flotteur sensible mais néanmoins de taille
moyenne, car il existe souvent, près des bords, des parties agitées, des
remous, des bouillons qui pourraient faire sombrer un flotteur trop petit sans
qu'il y ait touche. Une plume à antenne, de 12 à 14 centimètres, équilibrée par
trois plombs n°6 placés dans les intervalles des empiles, fera très bien
l'affaire ; on laissera dépasser seulement la moitié de l'antenne.
La touche de la perche sur la « petite bête » est
généralement très franche. Sans aucun indice préalable, on voit tout à coup la
plume s'enfoncer verticalement ou obliquement. Il convient de répondre à cette
attaque par un ferrage net, précis, mais sans dureté, dès que la plume a foncé
de 12 à 15 centimètres au-dessous de la surface.
C'est ensuite au pêcheur à juger du poids et de la force de
l'adversaire pour agir en conséquence. Le plus souvent, ce sont des perches de
150 à 400 grammes qui mordent à la « la petite bête » ; les
grosses préfèrent le vif. Il faut, à tout prix, éviter de laisser la captive
s'engager dans les racines du rivage et la maintenir en pleine eau, à 2 ou 3
mètres du bord. Faire intervenir au plus tôt l'épuisette à long manche dont il
est indispensable d'être pourvu. Les lèvres de la perche sont tendres et se
déchirent facilement ; elles restent piquées seules à l'hameçon, laissant
le pêcheur tout penaud. Et puis, il ne faut pas oublier qu'une perche qui
s'échappe ainsi va exécuter une série de contorsions, d'embardées désordonnées,
qui mettront ses sœurs en fuite. Il faudra alors changer d'endroit et la
nouvelle place choisie sera parfois loin de valoir l'ancienne.
Soyons donc très prudents quand nous tenons une belle « perdrix
de rivière » et ne la laissons pas bêtement s'enfuir du fait de notre
brusquerie. Ce serait vraiment dommage, car, après l'ombre et la truite, à elle
le pompon comme délicatesse de chair.
R. PORTIER.
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