Dans la dernière chronique, des réflexions supplémentaires
étaient annoncées. Les choses vues au cours des semaines actuelles, divers
articles mettent dans l'obligation de revenir sur cette question tant
controversée des semailles de blé. Je m'excuse de cette insistance, mais les
sélectionneurs ont fait leur métier, les fournisseurs d'engrais ont fait le
leur, en mettant à notre disposition semences et substances fertilisantes :
le choix est fait entre les variétés, le dosage réglé entre les grands principes,
le rôle du cultivateur se précise. Comment faut-il semer ?
Tout d'abord, je suis retourné voir le champ qui, dans le
Pas-de-Calais, avait été couvert par l'avion ; il n'est pas possible de
tirer des conclusions de ce dernier aperçu, même avec les nuances introduites
par un agriculteur curieux et observateur, nuances portant sur l'aménagement
superficiel du terrain avant le semis, le mode de couverture des semences ;
des détails ultérieurs de culture gênaient l'observation. Je retiens un seul
fait : la semence bien répartie à la volée, pas ou peu enterrée, peut
donner de belles récoltes. Semer plus tôt pour se rapprocher des conditions
naturelles, mettre au point la technique de la préparation superficielle avant
l'épandage des graines, enfin, point plus délicat, régler la quantité à
répandre, car on n'est pas maître absolu de l'appétit des corbeaux ni des
rongeurs. L'essai sera repris à l'automne prochain.
Autre fait : un cultivateur de moyenne importance,
correspondant de longues années, me reçoit dans la Charente-Maritime, coin
spécial, terres variées, extrêmement variées même, qui dans une même pièce
laissent le travail d'automne facile ou qui obligent à finir au plus vite pour
ne pas risquer l'enlisement dans une terre argileuse compacte. Main-d'œuvre rare,
mais familiale excellente, on sait encore bien travailler. Un champ d'où les
moissons partent. Variétés les meilleures et les plus récentes ; tous les
ans, nous avons suivi les apparitions, et je suis satisfait de voir un coin de
France où, s'il n'est plus semé, Hybride du Joncquois ou 80 Desprez a tenu
pendant longtemps. Mode de semis à la volée, forte quantité de semence, mais
régularité parfaite de développement.
Et de vieux souvenirs me reportent à l'année 1900. Il y
avait à l'époque déjà une polémique de presse à propos des quantités de
semences à employer ; je revois encore dans le Journal d'Agriculture
pratique, qui alors ne pouvait pas songer qu'il disparaîtrait après avoir
passé glorieusement le cap de ses cent années, les articles du Dr Menudier,
de la Charente, — on disait « Inférieure » en ces temps-là, — et
des personnalités du Nord. Le professeur Schribaux donnait son avis, le
directeur Philippar me demandait ce que j'en pensais. Je n'aurais fait que
répéter les leçons de mon maître François Berthault ; l'expérience n'était
pas encore venue, et aujourd'hui les essais continuent, car les bases
d'appréciation ont évolué.
Sans aucun doute, on tend à semer plus clair, timidement
chez les uns, hardiment chez les autres ; il s'agit de semis en lignes et,
en très bonnes cultures, on emploie moins de 150 kilogrammes, et, les lignes
devenant plus écartées, on ne craint pas d'envisager la possibilité de fortes
récoltes en utilisant moins de 100 kilogrammes de semence par hectare.
Encore un fait : l'agronome Joulie a étudié autrefois
les blés de la Brie ; il estimait qu'une belle récolte était formée de 300
à 350 épis par mètre carré ; il en déduisait même le poids de semence à
employer en tenant compte des disparitions, du tallage. J'ai sous les yeux une
superbe plaquette qui avait été éditée cette année à l'occasion des Journées du
Blé devant se dérouler dans l'Oise, journées qui n'eurent pas lieu, les
récoltes ayant été hachées par la grêle. Que lisons-nous dans la notice
générale : « Dans les meilleures exploitations, l'on recherche un
peuplement de 500-600 épis au mètre carré, emploi de blés à tallage précoce,
semis en surface à 35 centimètres d'écartement, réduction des façons de
printemps, 68 quintaux de semences sur 76 hectares », mais un peu plus loin :
« en arrière-saison, 150 à 200 kilogrammes de semences, et on emploie
jusqu'à 250 kilogrammes en blés alternatifs ».
Nous voyons de près l'évolution et, en outre, la mise au
point des facteurs de l'ensemencement : genre de variétés précédent,
époque du semis. Tout cela n'est pas nouveau, mais les chiffres permettent de
préciser. Cette année, à la ferme extérieure de Grignon, quelques essais ont
été disposés ; les battages n'ont pas encore eu lieu au début d'août, mais
ultérieurement on essaiera dans ce milieu particulier d'appliquer les données
de l'expérience. D'ailleurs, à Moyencourt, où M. Claude Benoist continue le
magnifique travail de son père et de son grand-oncle, si celui-ci était passé
de 15 à 20 centimètres après trente ans de labeur, on sème à 25 centimètres, on
part vers les 30 centimètres ; seulement, chaque année, on profite des
observations pour améliorer la tradition culturale locale.
S'il fallait donner une conclusion à ces réflexions, faites
au surplus devant des blés encore sur pied ou plus exactement de plus en plus
couchés et menacés d'être recouverts par la végétation adventice qui ne perd
pas ses droits, je me permettrais de dire : « Le progrès doit
s'accomplir en voyant cheminer côte à côte tous les facteurs de la production
dont les termes sont inséparables » (Fr. Berthault). À la base, d'une façon
rigoureuse, l'aménagement de la terre : celui-ci ne résulte pas de la
préparation immédiate pour le blé ; interviennent à pas lents
l'assolement, la rotation des cultures, une préparation physique conditionnée
par la nature du sol, sa structure immédiate et dans l'avenir, lorsque les
pluies, les gelées, le vent auront passé au cours de la période où le blé doit
lutter à découvert. La propreté du milieu est possible en cours de végétation,
hersages, binages, produits chimiques ; toutefois il vaut infiniment mieux
ne pas risquer de faire du mal en détruisant les racines superficielles et de
faire du tort aux plantes si les produits chimiques sont employés mal à propos.
C'est alors le cycle des plantes sarclées, des défrichements
de fourrages faits assez tôt, des déchaumages, des jachères même.
Il serait également nécessaire de bien connaître la valeur
des semences que l'on emploie, leur faculté germinative, mieux leur valeur
culturale, la vigueur rapide des jeunes plantes.
Restons-en là ; le métier d'agriculteur réserve encore
de bonnes surprises à ceux qui savent observer et qui notamment ont la manière
pour interpréter la valeur de leurs observations, mais le malheur est d'avoir
fait du blé une culture de caractère politique.
L. BRÉTIGNIÈRE,
Ingénieur agricole.
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