L'apiculteur est souvent dérouté devant la multiplicité des
espèces d'abeilles qui lui sont proposées par les éleveurs, et parfois il paie
d'un échec l'essai d'une nouvelle race non adaptée à sa région.
Voyons donc ensemble les principales variétés d'abeilles
exploitées en France. Disons tout de suite que toutes les races sont
susceptibles d'amélioration de leurs qualités par une sélection méthodique. On
peut de la même manière arriver à atténuer leurs défauts.
Apis mellifica, abeille noire ou de pays, est
évidemment la plus répandue ; il existe des sous-variétés plus
particulièrement adaptées à leur pays d'origine, où elles donnent, en général,
de bons résultats. Elle se rencontre à l'état naturel en France, en Angleterre
et en Europe occidentale.
L'abeille noire ou commune est de couleur brun foncé, bonne
travailleuse, n'essaime pas excessivement, elle tient bien le cadre. Avec de la
fumée, on en fait ce qu'on veut, ce qui n'est pas le cas pour l'italienne ;
c'est un gros avantage lors des diverses manipulations. Pouvant donner de
bonnes récoltes, ses rayons de miel ont un très bel aspect, construits bien droits
avec une cire blanche. Enfin ce qui n'est pas à dédaigner, elle est prévoyante,
et sait arrêter l'élevage du couvain dès que la miellée diminue au lieu de
créer des bouches inutiles. Aussi l'amateur, qui ne peut consacrer trop de
temps à ses abeilles, aura intérêt à l'adopter.
Étant bien sélectionnée, nous pensons que c'est celle qui
devrait donner satisfaction dans la plupart de nos régions, parce que adaptée
aux saisons de chez nous.
Elle a bien quelques défauts, nul n'est parfait ; celui
qu'on lui reproche le plus est d'être assez nerveuse et, si on la manipule un
peu maladroitement, elle réagit immédiatement en tirant le glaive. Donc, la
traiter avec douceur et avoir l'enfumoir toujours prêt pour calmer son
irritation. Les jours où le temps est orageux et aussi quelques jours avant
l'essaimage, elle est facilement portée à piquer.
À peu près de la même couleur que les ouvrières, la reine,
craintive, se cache lorsqu'on la cherche ; aussi est-elle assez difficile
à trouver si l'on n'a pas pris la précaution de la marquer d'une goutte de
peinture sur le corselet.
L'abeille italienne (Apis ligustica) est en
vogue en Amérique, où elle a été sélectionnée et donne d'excellents résultats.
Il ne semble pas qu'en France il en soit de même, sauf dans quelques contrées,
et pourtant elle est actuellement l'objet d'un engouement dont le temps se
chargera de prouver s'il est justifié. C'est une travailleuse acharnée et
infatigable : du matin au soir on la voit aller et venir. Très douce, se
défendant bien contre les pillardes, on peut circuler sans grand risque de
piqûres dans un rucher d'italiennes pures. Elle devrait convenir aux régions à
grande miellée de prairies artificielles à climat sec et chaud. Sa langue, plus
longue que celle de la noire, lui permet de butiner des fleurs dont cette
dernière ne peut profiter. Elle est à peu près exempte de fausse teigne sachant
s'en protéger. On lui reproche d'être pillarde, mais son principal défaut est
de faire un élevage de couvain énorme et sans discontinuer depuis le premier
printemps, ce qui peut être un avantage pour le vendeur d'essaims, mais pour le
producteur de miel c'est une véritable catastrophe, tout au moins dans
certaines régions. En mai ou juin, essaimage, et les essaims d'italiennes se
perchent souvent très haut, contrairement aux noires, ce qui rend leur capture
assez difficile. Mais le bouquet, c'est à la mise en hivernage, lorsqu'on
constate que ces grosses populations ont été obtenues au détriment de la
récolte. Il faut souvent les approvisionner à peu près complètement ;
aussi est-elle plutôt l'abeille du professionnel, lequel, sachant freiner la
ponte lorsque cela est nécessaire, obtient alors de très bonnes récoltes ;
tandis que l'amateur risque bien des déboires avec cette race, aussi nous ne la
leur recommanderons pas ; tant pis si nous ne sommes pas d'accord avec la
mode actuelle.
Un autre défaut de l'italienne est de tenir obstinément le
cadre malgré la fumée. L'ouvrière porte trois bandes jaunes sur l'abdomen, et
la reine, plus grosse que la noire, est moins peureuse, ce qui facilite sa
recherche.
La caucasienne ressemble à l'abeille commune comme
couleur, mais elle est bien plus douce ; elle pique rarement, et ceux qui
craignent le dard peuvent l'adopter sans crainte. Très bonne butineuse,
habituée aux climats rudes, elle essaime rarement et donne, en général, de
bonnes récoltes. L'inconvénient majeur est qu'elle propolise l'intérieur de sa
ruche avec excès ; plus qu'avec aucune autre race, il est nécessaire
d'avoir des cadres bien construits en respectant les dimensions et espaces,
sinon ils risquent d'être collés sur les parois ou le fond de la ruche.
La carnolienne, au contraire, propolise peu ;
elle est aussi très douce et a les défauts de l'italienne ; elle pense
plus à essaimer qu'à récolter dans notre pays et n'est pas à conseiller de ce
fait.
La chypriote de couleur jaune, plus claire que
l'italienne, n'a pas très bon caractère ; comme la précédente, elle
essaime facilement. Aux U. S. A., en la croisant avec l'italienne, on
a créé une nouvelle variété, la « Golden bee », très jolie d'aspect ;
reste à savoir si cette abeille d'or en apporte un peu dans la poche de celui
qui l'exploite.
Il existe des métisses de ces diverses races, mais surtout
des noires avec des italiennes, généralement irascibles, sans qualités fixées ;
on doit les éviter.
L'idéal, à notre modeste point de vue, est d'exploiter
l'abeille naturelle du pays ou de sa contrée, en gardant les meilleures souches
au point de vue productivité, douceur et rusticité pour la reproduction de
l'espèce. Détruire les mâles des autres ruches à l'époque de la fécondation des
jeunes reines pour mettre les atouts de son côté. On arrivera ainsi à une
sélection sûre et simple, sans trop d'aléas ni coûteuses expériences.
R. GUILHOU,
Expert apicole.
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