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L'incendie à la ferme

Rien n'est plus terrible qu'un incendie à la ferme. Sa rapidité est foudroyante, et, comme les secours sont le plus souvent inexistants, le feu ne finit que faute de combustible.

Là, plus qu'ailleurs, il faut savoir que si le feu n'est pas circonscrit dans les quinze premières minutes, tout doit être considéré comme perdu. Or il manque les moyens d'alerter les pompiers, en même temps que le thème le plus angoissant est celui des absences de ressources en eau. Pas d'eau à proximité, et les sapeurs doivent changer plusieurs fois leurs points d'alimentation quand ils arrivent.

C'est pour cela que toute commune, ou au moins tout canton, devrait posséder sinon son camion-citerne, toujours plein, au moins une remorque-tonne prête à partir en remorque.

Depuis vingt ans, la sécheresse estivale ne cesse d'augmenter par suite d'une modification météorologique des climats. Vraisemblablement, c'est là une contrepartie non prévue des bouleversements des vallées de hautes montagnes pour créer des usines hydro-électriques. Elles changent le régime des eaux, et c'est une lourde rançon du progrès.

Cinq points caractérisent les incendies ruraux :

  • absence de moyens de secours immédiats ;
  • éloignement des lieux de sinistres des centres de protections urbains ;
  • l'importance et la nature spéciale du risque aggravé par les pailles et fourrages ;
  • l'absence de surveillance et de gardiennage ;
  • et enfin la quasi-absence d'eau.

Les maisons rurales sont construites de manière fort sommaire, avec parfois des toits de chaume, ou au moins des garnissages similaires sous toiture pour protéger du froid.

Les récoltes, surtout au moment des battages, aggravent les risques, sans parler des imprudences des travailleurs saisonniers.

Il y a enfin le bétail, qui, rendu fou dès les premières flammes, augmente la panique des paysans et transporte le feu.

Il existe cependant des moyens de lutte et même de prévention contre le feu. Ces derniers sont, de beaucoup, les plus importants.

Le premier point réside dans la nécessité de pouvoir donner immédiatement l'alerte, car sans elle les pompiers de la ville ne peuvent savoir que l'on a besoin d'eux.

Le moyen le plus efficace est le téléphone, car il permet, étant bilatéral, au chef des sapeurs de détacher l'équipe voulue avec les moyens appropriés. Il est bien rare que, dans les campagnes, il n'y ait pas un téléphone dans un rayon peu éloigné. Le premier soin de tout le monde est donc de savoir où l'on doit se rendre immédiatement pour donner l'alerte, et il faudrait que tout le monde connaisse le numéro d'appel des pompiers les plus proches. Il est même à souhaiter que les maires décident une bonne fois pour toute de suivre l'exemple de leurs confrères suisses : toute mairie possède sur sa façade un écriteau : « En cas de sinistre appelez : pompiers, n° ... ». C'est simple, clair et impérieux. Il faut se défier des petites pancartes manuscrites suspendues dans un coin de la salle du conseil municipal. Dans l'affolement du début, personne ne la trouve.

Après le dispositif d'alerte, il faut prévoir les éléments de lutte immédiate contre le feu. Il serait à souhaiter que chaque fermier possède au moins un extincteur. Il suffit d'un mégot, d'une cendre chaude de cigarette tombant dans un foin en fermentation, ou poussé par le vent vers une paillière, pour qu'un effroyable sinistre se déclenche. L'extincteur à main est le moyen le plus efficace pour enrayer le feu, car il faut répéter qu'il suffit d'un verre d'eau pour enrayer la combustion d'un papier qui brûle, mais il faut intervenir dès la première seconde. Après, ce sont des tonneaux d'eau qui deviennent nécessaires.

En 1950, il n'y a plus de paysans qui soient assez pauvres pour ne pas pouvoir acquérir des extincteurs. Il n'y a que des imprévoyants. C'est pour eux qu'il importe que les mairies se prémunissent, car on ne sait jamais si à la faveur d'un vent violent le feu ne se propagera pas et ne détruira pas alors tout un hameau. Le moyen le meilleur est de grouper aux locaux communaux cinq ou six extincteurs à main que l'on peut emporter facilement en sautant sur une bicyclette et se précipiter sur le lieu du sinistre.

Après l'extincteur à main, celui sur roues pouvant être facilement traîné à bras ou remorqué derrière une auto.

Encore faut-il avoir prévu quelle voiture aller requérir, munie d'un crochet d'attelage.

Sur ce point, il existe aujourd'hui maints et maints systèmes d'extincteurs-remorques à tétrachlorure de carbone, à mousse et autres produits radicalement extincteurs parant à la déficience d'eau. Rendus sur les lieux, il suffit de saisir la lance, le tuyau se déroule automatiquement, et l'ouverture d'une simple vanne autorise l'attaque immédiate du fléau.

Malheureusement il faut reconnaître que certaines communes qui possèdent un tel matériel n'ont jamais songé à faire une répétition d'attaque du feu. Il en résulte que tout le monde se précipite avec les meilleures intentions, mais que tout le monde veut faire assaut de dévouement. C'est la panique, et l'on perd alors des minutes précieuses.

Il faut que, dans chaque petit village, il y ait des hommes désignés pour remplir chaque rôle, les uns devant se rendre au local où sont entreposés extincteurs à main ou sur roues, les autres sautant sur leurs bicyclettes — car il est tout à fait inutile pour eux d'aller rejoindre leurs camarades — et se rendant directement au feu. Là, pendant la ou les minutes nécessaires pour attendre l'arrivée des premiers, ils reconnaîtront le lieu d'où sortent les flammes et prendront la meilleure position pour lutter. Au besoin, ils se muniront d'échelles ou des haches nécessaires pour ouvrir.

Enfin il se pose toujours un redoutable dilemme : celui de la lutte contre le feu et celui du sauvetage des biens. Le règlement des sapeurs, dans les corps organisés des villes, laisse l'initiative au chef. Mais, en matière rurale, où il n'y a ni chef ni spécialiste ?

Il faut savoir qu'avant tout il faut sauver les vies humaines et, en premier lieu, les enfants, les vieillards, les infirmes. Ils ne peuvent rien par eux-mêmes, et c'est plus qu'un impérieux devoir d'aller à eux. Après, les femmes et enfin les hommes.

Quand toutes les vies humaines sont sauvegardées, c'est vers l'extinction qu'il faut s'orienter si le feu est à son début. S'il est trop important et que l'on ne puisse lutter à armes égales, c'est vers le sauvetage des biens qu'il faut agir.

Mais il est à souhaiter que toujours il y ait par avance un responsable désigné pour avoir été choisi autant pour son courage que son esprit de décision et son ascendant.

Généralement, avec de tels dispositifs et même en présence d'un sinistre important, on gagnera les minutes nécessaires pour permettre aux pompiers professionnels d'arriver.

Dans un domaine tout autre, il faut que chacun ne se désintéresse plus de la protection contre le feu. Quand on a été victime d'un incendie, c'est toujours trop tard. En juin-juillet de chaque année, il se tient, à Paris, une semaine de la Protection, et celle-ci accomplit des merveilles, avec démonstrations de matériels et propagande. C'est une des raisons pour lesquelles les sinistres de la capitale sont rarement des catastrophes. Mais, en province, et surtout à la campagne, ces manifestations n'ont qu'un très faible écho. C'est donc à l'initiative particulière qu'il faut faire appel et aussi à la presse. Celle-ci, sur ces sujets, ne demande qu'à apporter son aide. Mais il faut voir encore plus loin, c'est à l'école et aux enfants qu'il faut apprendre la lutte contre le feu.

À ce titre, on ne peut rappeler qu'une anecdote. Il y avait, en 1949, un membre de l'Université qui avait été frappé par l'intérêt que les enfants portent pour leurs cadeaux de nouvel an, aux panoplies et aux soldats de plomb. Il chercha un fabricant de ces panoplies et demanda à un spécialiste de ces figurines historiques de vouloir bien conditionner plusieurs boîtes, figurant les unes les très vieilles pompes à bras, d'autres les premières pompes à vapeur, d'autres enfin de très modernes jeep avec des moto-pompes, des dévidoirs, des échelles, etc.

Dans sa petite ville, pour le premier de l'an 1950, il intervint auprès des boutiquiers pour qu'une place toute spéciale soit réservée à ces jouets.

Ils eurent un très gros succès, et celui-ci fut bien meilleur, moralement parlant, que des panoplies de gangsters, ou des similimitraillettes.

Peu après le nouvel an, cet universitaire demanda à l'Administration de la Monnaie de lui adresser une de ses belles médailles fort artistiquement gravée. On vit alors cet homme à cheveux blancs se mêler aux jeux des enfants et organiser non plus une bataille rangée, mais une compagnie enfantine de sapeurs-pompiers, avec jeux et autres sur ce thème.

Notre homme recueillit maints sourires narquois ... jusqu'au jour où, un commencement d'incendie s'étant déclaré, on vit un jeune gamin de dix ans se précipiter comme il l'avait fait dans ses jeux et éteindre le feu.

Depuis, plus personne n'a de sourires, et l'exemple fait tache d'huile dans ce petit arrondissement voisin des Pyrénées.

Mais il y a une autre leçon à tirer de cet exemple, il est beaucoup moins réjouissant.

Notre universitaire avait pensé que les constructeurs de pompes, d'extincteurs et autres équipements s'intéresseraient à sa croisade. Il les avait alertés, mais en pure perte, tout en citant l'exemple de ces constructeurs d'autos, aux noms archiconnus qui, eux, n'hésitent pas à patronner : construction de maquettes et modèles réduits à leurs marques. Rien n'y fit ... ce qui n'empêcha pas ce groupement de dépenser des dizaines de millions en publicité pour ses matériels.

Toutefois, le fait ayant été raconté dans les journaux, c'est en Suisse que l'on a pensé à en généraliser les avantages.

A.-C. COTTIN.

Le Chasseur Français N°644 Octobre 1950 Page 622