Il nous reste encore à parler (1) de deux des sept
merveilles : la statue de Jupiter et le tombeau de Mausole.
La statue de Jupiter par Phidias.
— C'est encore là un monument érigé en hommage à la
divinité, à la plus puissante de tout le Panthéon antique, à Jupiter Olympien
lui-même.
On célébrait sa gloire en tout temps ; mais, au
moment des Olympiades, tous les quatre ans, au moment du solstice d'été, les
fêtes et cérémonies revêtaient une ampleur exceptionnelle. Alors de toutes les
cités grecques le peuple accourait à Olympie, cité sainte par excellence.
Depuis dix mois, les jeunes gens désireux de participer aux
jeux étaient déjà réunis et s'entraînaient à la course, au pancrace, au
javelot, au disque, au pugilat et toutes autres compétitions. Ces exercices
avaient d'ailleurs pour les Hellènes une signification beaucoup plus élevée que
n'en ont nos actuels sports. Ces jeux olympiques étaient de véritables fêtes
religieuses, et les jeunes Grecs croyaient honorer immensément leurs dieux par les
déploiements de force physique devant leurs sanctuaires.
Olympie, capitale athlétique, était donc simultanément une
métropole religieuse. Sept grandes avenues y conduisaient, bordées de temples
et de tombeaux, au milieu de bosquets de pins et d'oliviers, ou de lauriers-roses.
Toutes se terminaient au rond-point du temple de Jupiter.
C'était un édifice grandiose, de style dorique, mesurant 64
mètres de long et 27 de large. Quatre escaliers y conduisaient. De magnifiques
jardins lui servaient de cadre.
Les années de fêtes, au moment des jeux, on pavoisait de
tentures et draps luxueux, de guirlandes, de tresses florales.
Le premier devoir du vainqueur était de venir offrir un
sacrifice solennel aux pieds de la statue colossale. Bien que dépourvue de
socle, elle mesurait treize mètres de haut. Le dieu y était figuré assis sur un
trône, chef-d'œuvre merveilleux d'ébénisterie et de ciselure, couronné d'une
tresse d'olivier.
Le trône était incrusté d'or et de joyaux, pendant que
l'ivoire et l'ébène en faisaient un fond d'une richesse inouïe. Aux angles,
quatre victoires en formaient l'encadrement, pendant que deux autres, à ses
pieds, l'ornaient merveilleusement. Tout en haut du trône, au-dessus de la tête
du dieu, se situaient, d'un côté, les Grâces et, de l'autre, les Heures.
Le corps de la statue divine était en ivoire et les
vêtements en feuilles d'or ciselé. Cette œuvre d'art était due au ciseau
prestigieux de Phidias, qui l'avait exécutée en 440 avant J.-C. L'artiste avait
puisé son inspiration dans quelques vers d'Homère, où le poète présente Jupiter
courroucé, abaissant ses épais sourcils noirs et, du mouvement de son chef,
ébranlant tout l'Olympe. Cependant le Jupiter de Phidias n'avait d'homérique
que la grandeur et la majesté, et présentait un aspect de puissance calme, de
dignité recueillie. Il figurait ainsi parfaitement l'image du « roi des
dieux et père des hommes ».
Quand l'ultime ciselure eut été effectuée, Phidias
s'agenouilla en prières devant Jupiter et implora celui-ci de lui témoigner sa
satisfaction. La légende rapporte alors que le tonnerre gronda et, par le toit
ouvert en forme d'atrium, un éclair de foudre en boule vint éclater sur le
parvis. Le dieu manifestait ainsi bruyamment son contentement et son
approbation.
En 40 après J.-C., Caligula, César épileptique et dépravé,
chargea une mission d'aller quérir à Olympie la fastueuse statue, pour la
ramener à Rome, après lui avoir substitué une reproduction en ivoire de sa
propre tête. Mais la tradition rapporte qu'à l'entrée des envoyés dans le
sanctuaire Jupiter éclata d'un rire terrible, qui mit en fuite les ambassadeurs
remplis de crainte, devenant conscients du grotesque de l'idée.
Vers 300, l'empereur Flavien Théodose fit transporter la
splendide statue à Byzance, mais personne n'en entendit plus jamais parler.
Le tombeau de Mausole à Halicarnasse.
— Ce n'est plus ici la mystique d'une nation, mais
l'amour désolé d'une femme qui fit édifier le tombeau pour conserver les
vestiges de son mari défunt. En cela cette œuvre touche de plus près, car elle
répond à un sentiment très humain : celui de la passion désespérée.
En 377 et 353, le petit royaume de Carie, en Asie Mineure,
jouissait d'une prospérité sans égale, sous le gouvernement du roi Mausole. De
par le monde on eût cherché en vain un couple dont le bonheur conjugal eût été
plus grand que celui de Mausole et de la reine Artémise ... Mais un soir
la mort vint briser ce foyer et enleva à l'épouse désespérée le souverain du
palais d'Halicarnasse. Artémise disposa tout par elle-même pour que les funérailles
de son royal époux soient à la mesure de sa passion.
Dans l'antiquité, les funérailles n'étaient point
l'ultime hommage des vivants à l'être qui leur était cher. C'était, avant tout,
l'entrée triomphale dans le royaume de la paix éternelle. La félicité y était
d'autant plus absolue que les cérémonies avaient été plus grandioses. Aussi
Artémise ne négligea-t-elle rien pour la félicité posthume de son époux,
passionnément chéri.
Bien plus, les cérémonies terminées, elle résolut de lui
élever un palais funéraire digne de son inconsolable douleur. En vue du port,
sur la grande esplanade vide d'Halicarnasse, sur le lieu même de
l'incinération, Artémise, muée en architecte, fit dresser le plus magnifique
édifice qui fut. On y travailla longtemps avec une prodigieuse activité
fébrile. Il affectait la forme d'un temple avec une façade de trente mètres et
une profondeur de trente-trois. Trente-six statues, dans les entre-colonnements,
représentaient un héros ou un lion ; au faite de l'édifice se dressait une
pyramide terminale surmontée d'un quadrige marmoréen.
Dans le char de ce quadrige, deux statues géantes de trois
mètres représentaient Mausole et Artémise.
L'édifice achevé, tout ressort se brisa dans le cœur de la
reine veuve, et Artémise rejoignit son époux dans la tombe, ne laissant plus à
la postérité qu'une œuvre magnifique, témoignage d'un cœur inconsolable.
Ce mausolée existait encore au Xe siècle. Quand
les chevaliers de Rhodes, en 1552, construisirent en son emplacement une
citadelle, ils en utilisèrent les matériaux. Cependant une partie de la frise
put être sauvée et, depuis 1846, elle constitue un des plus beaux ornements du
Musée royal de Londres.
Vision antique.
— Que dire, aujourd'hui, au terme d'une promenade aux
sept merveilles antiques ?
Nul ne contestera que, dans La Légende des Siècles,
le grand Victor Hugo a su, par la plus magnifique composition poétique, en
dresser la plus majestueuse fresque.
La pyramide majestueuse dit : « Je suis l'Éternité.
»
Les jardins de Sémiramis vantent leurs halliers surchargés
de fleurs rouges et blanches.
Le phare d'Alexandrie rappelle la merveille de jaspe et de
marbre que fit Sistrate de Cnide pour sauvegarder la vie des navigateurs perdus
en mer.
Le colosse de Rhodes est la « sentinelle avancée que nul
ne viendra relever ».
Le temple d'Éphèse est la « vérité bâtie en marbre
blanc ».
Le Jupiter de Phidias resplendit de figurer « l'image
du roi des dieux et du père des hommes ».
Le mausolée est le tombeau-palais d'un deuil éternel.
Et chaque merveille jure que la durée ne la touchera jamais
et qu'elle triomphera des siècles.
C'est alors qu'embusqué dans l'ombre le ver du sépulcre fait
entendre sa voix lugubre :
La ruine est promise à tout ce qui s'élève,
Vous ne faites, palais qui croissez comme un rêve,
Fronton ou dur ciment,
Que mettre un peu plus haut mon tas de nourriture,
Et que rendre plus grand par plus d'architecture
Le sombre écroulement ...
Image saisissante, mais plus ingénieuse que juste. Ces
monuments ont péri, mais leurs vestiges ou leurs souvenirs ont laissé un
sillage radieux. Il reste une illumination dans le ciel de l'art où ils ont
brillé d'un rayonnement idéal.
Louis ANDRIEU.
(l) Voir Le Chasseur Français d'août et septembre 1950.
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