Le lièvre fut et demeure un animal de vénerie.
En la matière, le lièvre, plus que n'importe quel autre, a
des qualités de vitesse, qualités dues au développement remarquable de ses
pattes postérieures qui n'ont d'égales, quant à leur finesse et à leur musculature,
que celles des lévriers ou des plus beaux pur sang de la race chevaline.
Mais où excelle surtout le lièvre, c'est dans les ruses
qu'il emploie avec un rare bonheur dès qu'il est poursuivi par les chiens ;
elles rappellent celles du chevreuil, qui, plus encore que le cerf, mérite des
équipages particulièrement bien confirmés. Enfin, et pour la plus grande
satisfaction des veneurs, le sentiment du lièvre, compte tenu de sa taille, est
très puissant, et jamais une voie n'est peut-être empaumée par les chiens avec
plus de joie et avec plus de bruit que celle d'un lièvre, même terré dans son
gîte depuis plusieurs heures.
Le lièvre se chasse en plaine comme au bois, la saison
particulièrement favorable étant l'automne et une partie de l'hiver, à
condition toutefois que ce soient des journées ensoleillées où la chaleur de l’après-midi
peut amollir le sol et faciliter ainsi les revoirs sans lesquels toute chasse à
courre est presque impossible.
I. Le courre du lièvre avec des chiens courants.
— Si le laisser-courre du lièvre était moins
protocolaire que celui du cerf, il comportait cependant un certain nombre de
règles intangibles et, de la quête à la mort, chaque membre de l'équipage ne
pouvait, en aucun cas, les ignorer. En fait, la quête de reconnaissance, si
nécessaire pour le cerf ou le chevreuil, est supprimée dans les chasses de
petite vénerie dans lesquelles était rangé le courre du lièvre. Voici, d'après
Robert de Salnove, quel était le processus d'un laisser-courre de lièvre au XVIIe
siècle ; il n'est pas douteux qu'il se soit perpétué identique à lui-même
au cours du siècle suivant.
Au jour de la chasse, arrêté par le roi, le valet de chiens
avait à tenir ses chiens prêts et bouchonnés dès le petit matin avant de les
mener au rendez-vous. Parvenu sur les lieux deux heures avant le moment fixé
pour commencer la chasse, il procède à une quête rapide pour déceler la
position probable de lièvres susceptibles d'être courus dans la tournée.
Le roi et le grand veneur arrivent alors au rendez-vous et
entendent de la bouche du lieutenant de l'équipage le rapport de la quête ;
celui-ci prend ensuite trois houssines, dont deux sont destinées au roi et au
grand veneur, la troisième lui étant réservée. Ces baguettes, attribut des
veneurs de l'époque, servent à battre les buissons pour en faire sortir le
lièvre qui s'y serait gîté, et aussi à châtier les chiens en défaut. Veneurs et
invités reçoivent à leur tour une houssine.
Sur l'ordre du roi, le lieutenant, aidé du valet de
chiens, commence à découpler quelques chiens parmi les plus sages. Les deux
hommes entrent à pied dans l'enceinte choisie par le roi, qu'ils prennent à bon
vent ; suivant les chiens, ils les encouragent de leurs gestes et de leurs
cris. Les autres veneurs sont, eux, restés à cheval et entourent l'enceinte
d'attaque. Au cas où l'un de ceux-ci découvre le lièvre gîté, il doit crier :
« Je le vois, holoo ! je le vois », mais sans arrêter sa monture
pour ne pas faire partir le lièvre, dont l'habitude est de détaler à l'arrêt du
chasseur. Le veneur avertit le valet de chiens de la position du lièvre en
agitant son tricorne ou en jetant son mouchoir à terre. Le lièvre ainsi lancé,
les autres veneurs doivent alors, si l'animal débuche de leur côté, le juger,
en remarquer la taille et la couleur pour en informer les piqueux, qui auront à
le reconnaître lorsqu'il donnera le change.
La meute a été découplée ; le laisser-courre se déroule
au gré du lièvre, plus souvent dans la plaine que dans le bois, en raison de sa
préférence marquée pour la première. Derrière lui se sont précipités les chiens
qu'escortent les piqueux, puis le roi, le grand veneur, le lieutenant de
l'équipage qui a repris sa monture et enfin les invités. Cet ordre était à
juste titre considéré comme immuable et il ne pouvait être toléré que les
invités galopent derrière les chiens au risque de rompre les voies du lièvre
dans ses nombreux retours.
Le lièvre, à son début, se forlonge. Il importe de ne pas
trop presser la meute, qui doit d'abord prendre la meilleure connaissance du
sentiment de la bête poursuivie et qui, sans cela, aurait tendance à dépasser
la voie. S'il est vrai que le lièvre, qui se forlonge, cherche à se blottir
dans un guéret ou dans une friche pour y faire son gîte provisoire, les chiens
arrivent en général à déjouer cette ruse. S'ils étaient toutefois en défaut, il
faut les faire retourner aux dernières voies et les réchauffer, tandis que les
veneurs à cheval, qui se sont cette fois rapprochés de la meute, regardent de
tous leurs yeux s'ils ne découvrent pas le lièvre chassé. Celui-ci, aussitôt
retrouvé, déboule devant les chiens avec l'équipage à leur suite. S'il en a
encore la force, il va se forlonger à nouveau pour ruser d'une autre manière ;
il cherche alors un croisement de haies ou de chemins et, là, il effectue dans
chacun d'eux un simple aller et retour, puis, d'un grand saut (pour s'éloigner
de ses voies), il gagne un fossé. La meute, parvenue à son tour à ce carrefour,
emprunte tous les chemins sans pouvoir suivre la voie ; le piqueux, qui
n'ignore pas ce stratagème, ramène les chiens au carrefour des chemins et bat
haies, buissons et fossés jusqu'à ce que l'animal ait été relancé ; en
général ce dernier, déjà fatigué, est peu éloigné. Une autre de ses ruses est
d'aller rejoindre un troupeau de bétail afin d'y mêler ses voies. Pour le
déjouer, le piqueux, s'il a vu l'animal, prend les devants avec ses chiens pour
ne pas laisser au troupeau le temps de rompre les voies. En dehors de ces
ruses, il donne le change avec un rare bonheur ; c'est très souvent avec un
levraut qu'il va mélanger ses voies pour mettre piqueurs et meute dans un
embarras parfois cruel. Là encore, il faut prendre les devants pour juger si le
lièvre s'en est allé après sa rencontre avec le levraut, sinon on doit revenir
au change et battre les buissons d'alentour. Il faut ajouter, pour être complet
en la matière, qu'un lièvre déjà fatigué n'hésite pas à se blottir dans un trou
de blaireau ou de renard (dont le piqueur ne l'en pourra sortir qu'avec un
bâton d'églantier aux pointes longues et crochues), ou qu'encore il cherche un
ultime refuge sur des buttes de jonc au milieu d'un étang.
Après quelques heures de courre, et si toutes ses ruses ont
pu être déjouées, il n'est pas d'exemple que le lièvre faiblissant ne se laisse
prendre par les chiens. La meute se précipite alors sur lui et le tue. Le
piqueur doit faire toute diligence pour le leur enlever ; remonté en
selle, il sonne la mort puis la retraite pour rallier tous les veneurs. À un
endroit qu'il juge convenable, il prépare la curée des chiens ; bien que
moins spectaculaire, elle a beaucoup de traits communs avec celle du cerf. Le
lièvre est dépecé, puis ouvert ; des morceaux de pain sont mêlés au sang
de la bête, auxquels le piqueur ajoute déjà sous Louis XIV, mais surtout sous
Louis XV, cuisses, épaules et boyaux coupés en morceaux ; c'est la « moüée »,
étalée à même le sol sous la peau du lièvre. Le piqueur la présente aux chiens.
Dès que la curée est sonnée, la liberté est donnée à la meute qui trouve dans
la dépouille du lièvre une satisfaction toujours cruelle, mais indispensable au
maintien de sa qualité.
II. L'équipage du roi au XVIIIe Siècle.
— La chasse du lièvre nécessite une petite dépense :
la meute n'est pas très nombreuse et les chiens n'en sont pas grands ;
elle peut aussi se faire dans des terres de petite étendue. C'est pour ces
raisons qu'elle convenait le mieux aux gentilshommes ; mais les rois de
France ne l'ont pas négligée. Henri IV avait déjà placé sous les ordres du
sieur de Roquelaure, maître de la garde-robe de Sa Majesté, une meute de
vingt-quatre chiens courants pour le lièvre avec « un picqueur » et
deux valets de chiens. La dépense lui revenait à 2.753 livres. Ce fut Louis
XIII qui, le premier, mit un équipage de lièvre dans sa vénerie sous les ordres
du grand veneur ; c'était la meute dite des chiens d'Écosse, comprenant un
lieutenant commandant l'équipage, un « picqueur », un valet de chiens
et un boulanger ; le nombre des chiens est toujours de vingt-quatre. Comme
Louis XIV, Louis XV hérita de cette meute sans songer à la modifier ou à la
réformer. Nous savons qu'en 1714 il trouva Charles de l'Aubespine, marquis de Verderonne,
comme lieutenant, avec 1.000 livres de gages.
En 1717, Louis-Estienne de l'Aubespine a remplacé Charles de
l'Aubespine.
Concurremment avec les chiens d'Écosse, pendant un an ou
deux, la meute offerte en 1725 au jeune Louis XV par le duc de Bourbon chassa
le lièvre. Mais, aussitôt que les chiens furent accoutumés à la chasse, dès
1727, elle cessa d'être employée pour le lièvre et servit pour le chevreuil
sous le nom de « petite meute ». De juin à septembre de l'année 1726,
elle prit quinze lièvres et n'en manqua que trois.
III. La chasse du lièvre avec des lévriers ou levretterie.
— Il faut noter que Louis XV chassait encore le lièvre
d'une autre manière ; il le forçait avec des lévriers. Quelques veneurs
ont attribué à cette chasse, qu'ils jugeaient dépourvue de science et de
mérite, le qualificatif de « cuisinière ». Si ce jugement est
exagéré, il n'en est pas moins vrai que la levretterie, ou chasse du lièvre
avec des lévriers, est d'une technique très simple. Les « levretteurs »
à cheval quêtent le lièvre en plaine avec quelques petits chiens qui doivent
lancer l'animal. La poursuite qui s'engageait ensuite était loin d'avoir l'envergure
du laisser-courre avec les chiens d'Écosse. Trois lévriers sont découplés sur
le lièvre qui déboule, et ce n'est plus alors qu'une course effrénée où ils
laissent bien rarement échapper leur proie. À la différence des autres chiens
courants, les lévriers n'ont pas de nez : le lièvre n'a pour eux aucun
sentiment. Il faut qu'ils voient la bête chassée ; grâce au splendide
développement de leurs pattes, ils ne lui laissent pas le temps de se
forlonger. Qu'importe alors au lièvre de ruser, il sent l'haleine chaude des
chiens qui le suivent de près, il redouble de vitesse, et c'est à peine si,
dans sa course désespérée, il peut risquer de brusques retours qui font perdre
quelques secondes aux lévriers entraînés par leur élan. Bien rare est l'animal
qui peut se dérober à la vue de ses terribles adversaires et se jeter dans un
buisson ; ce n'est d'ailleurs le plus souvent qu'une victoire de courte
durée, car il est relancé par quelque levretteur survenu au bon moment.
A. Lévriers de campagne.
— La levretterie, pratiquée depuis les temps de la
Gaule romaine et jusqu'à la Révolution, était un divertissement français, et
nos rois ne furent pas les derniers dans l'exercice de ce sport. Henri IV avait
sa meute de lévriers pour lièvres qu'il fit venir de Champagne, comme
l'indiquent les comptes de sa vénerie, et, depuis lors, c'est toujours sous le
nom de lévriers de Champagne qu'ils figurent dans les équipages royaux. Et Selincourt
de préciser que « les provinces où sont les meilleurs lévriers sont en
Champagne et en Picardie, parce qu'en ces provinces ce sont toutes grandes
campagnes où ... les lièvres sont plus longs que tous les autres ...
et qu'ils ont des vigueurs pour se défendre, qui obligent de tenir des lévriers
de plus grande race, d'une extrême vitesse et de très grande haleine ».
Le capitaine des lévriers de Champagne fut, sous Louis XV,
Michel de Vassan ; placé sous les ordres du grand veneur, il commandait
cette meute qui comprenait six lévriers et quatre valets de chiens.
En 1771, à Michel de Vassan, décédé, succéda « Louis
Zacharie de Vassan, marquis de Vassan, mestre de camp de cavalerie, chevalier
de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, capitaine des levrettes de la
chambre du Roy et des lévriers à lièvres de Champagne ». C'est seulement
le 1er mai 1786 que cette meute fut supprimée.
B. Les levrettes de la chambre.
— Le roi avait aussi, dans sa maison, des levrettes qui
chassaient le lièvre, et dites levrettes de la chambre. Au nombre de neuf,
elles dépendaient, déjà sous Henri IV, du maître de la garde-robe. Sous Louis
XIII, en 1634, il n'y a plus que six levrettes ; Louis XIV conserve ce
nombre. Louis XV revient au chiffre de neuf levrettes, et ce fut le même
marquis de Vassan, capitaine des lévriers de Champagne, qui exerça, déjà en
1739, les fonctions de capitaine des levrettes de la chambre jusqu'à sa mort,
en 1771. Nous avons vu que Louis Rocharie de Vassan lui succéda, et, lorsqu'en
1786 il voulut se démettre de sa charge, le roi décida de la supprimer. Mais le
marquis de Vassan, qui avait un brevet d'assurance de 50.000 livres, réclama
sans succès une indemnité de 150.000 livres, prix que lui avait offert le sieur
de Mureillac, désireux d'acheter sa charge.
Le capitaine des levrettes nommait encore aux charges et
offices desdites levrettes ; ainsi c'est lui qui délivre le 18 août
1775 ses lettres de provision à Aimé-Paul Fleuriau, négociant, demeurant à La
Rochelle, lui octroyant la charge de l'un des trois gardes des levrettes de la
chambre, vacante par la mort d'Albert-Louis de Clairambault, marquis de Vendeuil,
lieutenant-colonel d'infanterie. Ces provisions furent enregistrées en la
Chambre des Comptes le 29 août suivant, puis en la Cour des Aides le 2 septembre,
pour que le nouveau titulaire puisse jouir des privilèges, exemptions et franchises
de ladite charge. Les fonctions les plus humbles ne manquaient donc pas d'être
exercées par des gentilshommes ou des bourgeois ; car le roi ne pouvait
tolérer à son service que des personnages aux mœurs policées et de langage
châtié. Cependant le travail, peu absorbant, était récompensé par l'honneur de
servir le roi et les avantages financiers attachés à la charge.
F. VIDRON.
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