Lundi, 4 septembre.
— Depuis ce matin, les « colles » de
vendangeurs ont commencé à entrer dans les vignes pour la grande cueillette
annuelle. Mais ce n'est pas encore le grand coup. Encore quelques jours, et,
bientôt, ce sera la grande invasion dans la verte immensité des plaines et des
coteaux où pendent des millions de grappes noires qui tomberont sous les
ciseaux et les serpettes fraîchement aiguisés.
4 septembre, mon anniversaire. Qui sait si saint Hubert,
auquel j'ai tant sacrifié depuis tant d'années, ne voudra pas, à cette
occasion, me manifester son amitié ? Je prends le fusil, quelques
cartouches, et vais aller voir un peu ce que font ces raisins ...
De la vigne, j'ai aperçu, dans le fond de la plaine, un
petit vol de palombes se posant sur un grand ormeau à demi sec. La plaine est
appelée l'Étang. Autrefois, quand le Midi connaissait des hivers pluvieux,
l'eau restait souvent dans ce bas-fond pendant des semaines ; les terres
étaient détrempées et les fossés remplis d'eau. On y voyait, en novembre, des
bandes de vanneaux, quelques râles, et j'y tuai même, une année, aux alentours
de la Toussaint, une cane de colvert probablement égarée ou fatiguée, car ce
n'est point là un coin à canards. L'année dernière, j'eus même la surprise d'y
lever, mais de trop loin, une canepetière. Je n'avais jamais vu de ces
oiseaux-là ; mais, en ayant lu la description, je compris, à sa taille
imposante et à son allure, à quel gibier j'avais affaire.
L'Étang, qui n'en est plus un, est composé de vignes et de
quelques grandes terres : champs et luzernes, où, soir et matin, courent
les perdreaux qui, tout le jour, sont restés à l'abri des vignes. Depuis
quelques années, on y voit des palombes qui glanent, dans les champs, les
grains oubliés et vont coucher dans les parcs voisins. À droite, la Voûte, avec
son château et son clocheton au toit multicolore ; au fond, la masse du
parc de la Guiraude, avec ses grands pins noirs qui, mutilés par la chute de
neige de l'hiver passé, laissent pendre tristement de grosses branches mortes,
cassées par la tourmente. Tout autour, de petits coteaux couverts de vignes
entourent le bas-fond coupé par un grand fossé où poussent roseaux et tamaris,
avec, côte à côte, les deux grands ormeaux où j'ai vu se poser les palombes et
au pied desquels je vais me poster, blotti dans une touffe de roseaux. Le
soleil est chaud, mais le vent du nord souffle assez fort, balançant les
grandes tiges vertes des roseaux et courbant les épais bouquets de tamaris. Je
reste là, guettant le ciel, dans ce grand vide que seul remplit le bruit du
vent qui, de temps en temps, m'apporte un roulement de charrette ou la voix
lointaine des vendangeurs.
Soudain, deux points rapides viennent du fond de la plaine
et se rapprochent : deux palombes qui viennent vers moi. Le fusil à
l'épaule, j'en vise une, attendant qu'elles passent à bonne portée, et, au bout
de quelques secondes, la dégringole dans le champ, où elle laisse une poignée
de plumes blanches. C'est une petite, un « biset », comme on les
nomme ici. Et je reprends mon attente, encouragé par ce premier coup heureux.
Des pies font, au-dessus du champ, des acrobaties que le vent balance ;
l'une d'elles fait un véritable looping sur le dos : c'est la première
fois que je vois faire un tour pareil à un oiseau. Puis des hirondelles
passent, au ras du sol, vent arrière, direction nord-sud. Est-ce déjà le départ
vers d'autres cieux ?
On le dirait bien, puisque toutes vont dans le même sens.
J'attends toujours quand voici deux autres palombes. Je ne
bouge pas et elles viennent croiser à trente mètres. Celle que je tire tombe,
de haut, comme une masse ; c'est un bel oiseau, de la grosse espèce, la
vraie palombe, que je suis heureux de ramasser.
Je n'ai pas encore regagné mon poste qu'un petit vol d'une
dizaine passe, mais, m'ayant vu, s'éloigne, monte au loin vers les vignes,
revient survoler le champ, puis disparaît derrière l'horizon.
Il est cinq heures. Les vendangeurs quittent les vignes, et
bientôt on n'entend plus rien que le souffle atténué du vent qui s'est calmé
avec le soir qui vient. Ah ! voici des perdreaux qui rappellent, là-bas,
vers le coin du champ qui touche les vignes ; et bientôt je les vois
courir entre les sillons ; l'un d'eux se dresse sur une motte et reste là,
immobile, la tête haute, un long moment, vers le soleil couchant. Puis, d'un
petit saut, il disparaît avec les autres. J'ai beau attendre, les palombes ne
se montrent plus ; mes deux coups de feu ont dû les effrayer, et il n'y en
a pas pour longtemps avant qu'elles gagnent le bois où elles passeront la nuit.
Brusquement, un coup de vent siffle sur ma tête. Entre les deux ormeaux où je
suis blotti, presque au ras de mon chapeau, des perdreaux, venant par derrière
moi, passent en trombe pour aller rejoindre ceux qui rappellent dans le champ. J'ai
tout juste le temps d'épauler avant qu'ils aient disparu, et j'ai la chance
d'en voir tomber un dans le labour.
Allons, pour mon anniversaire, ce ne sera pas la bredouille
ce soir.
FRIMAIRE.
|