Lorsque ces lignes paraîtront, les chasseurs sauront quelles
satisfactions leur aura apportées la nouvelle saison de chasse ; mais
nous, chasseurs méridionaux, nous savons déjà, alors même que nous n'avons pas
encore parcouru les champs le fusil à la main, que nous n'aurons pas de
cailles.
À la vérité, il faut bien dire que les cailles, si elles
apparaissent, ne se cantonnent pas régulièrement dans nos régions où règne
l'ardent soleil méditerranéen. Les années consécutives de sécheresse que nous
vivons nous en privent presque complètement. En effet, les cailles ont besoin
d'une certaine humidité. Lorsqu'une partie de mai, puis juin se passent sans
pluie, on peut être certain qu'on en trouvera très peu. Un fond un peu humide
peut en retenir une couvée, ou bien un nid détruit puis refait peut en abriter
quelques-unes ; ce ne sont alors que des rencontres de hasard.
Les cailles arrivent dès que le printemps est bien établi.
Elles annoncent leur arrivée par leur chant matinal, chant agréable aux
oreilles des chasseurs, car elles sont, parmi les migrateurs d'été, le plus
important.
Elles pondent ensuite leurs œufs dans des nids qui, hélas !
ne sont pas à l'abri des désastres. Comme les perdrix, elles connaissent aussi
dans les prairies artificielles les affres de la faucheuse ; des chiens de
ferme mangent les œufs ou les cailleteaux. Certains de ces chiens sont
particulièrement doués pour dévorer les nids. Servis par leur odorat, ils
coulent la pondeuse et trouvent au ras du sol le nid sans protection. Les braconniers
à la couverture causent aussi de gros dégâts. La couverture est, en réalité, un
filet sous lequel les cailles sont attirées par l'imitation de leur chant. On
les effraie, elles s'envolent et elles se prennent dans les mailles. Il se
trouve alors des personnes qui sont très fières de s'en faire servir dans des
restaurants, naturellement à des prix qui tiennent compte du délit qu'elles
représentent.
Les cailles opposent à ces destructions leur nature
prolifique. Les saisons pluvieuses nous les gardent jusqu'en octobre. On les
trouve alors dans les grandes herbes, les luzernes, les chaumes de blé, les
vignes, surtout dans celles qui ne sont pas très bien travaillées et qui sont
garnies de cette herbe que nous appelons « meiauco », et dont j'avoue
ne pas connaître le nom français. Cette herbe est garnie de graines petites et
innombrables et transforme les oreilles des cockers en tire-bouchons. Certaines
cailles piètent de façon remarquable, croisent leurs voies, énervent les
chiens. Il arrive souvent qu'on les voit courir et se dérober et, si on les
retrouve, ce sera à l'autre bout du champ.
Lorsque la saison est sèche, on sait qu'il n'y aura pas de
cailles. Elles sont arrivées en moins grande quantité au printemps, mais il en
est arrivé tout de même. Que sont-elles devenues ? Il faut admettre
qu'après une halte plus ou moins longue, parfois même après avoir élevé une
couvée, elles ont continué leur voyage vers des régions plus humides. Ici il
semble bien qu'en quittant nos plaines elles vont s'installer sur les plateaux
de la Lozère, de la Haute-Loire, de la haute Ardèche, où les cultures et les
genêts leur offrent un habitat favorable.
Elles y agrémentent beaucoup l'ouverture. Entre Pradelles et
Le Puy, il y a des champs particulièrement favorables. Si on peut y tirer de
nombreux coups de fusil, elles s'y défendent bien, grâce aux cultures. Dans les
derniers jours d'août, on y reconnaît un grand nombre d'oiseaux. On les entend
chanter et se répondre de tous les côtés. Mais, aussitôt que les seigles sont
moissonnés, il y en a déjà moins. Alors elles se tiennent dans les pommes de
terre, les sainfoins, les lentilles. Là les propriétaires, et ils ont bien
raison, expulsent, parfois avec vigueur, les chasseurs qui piétinent les
récoltes sur pied. L'enlèvement des récoltes déclenche le départ de la
migration. Mais on en tue toujours assez pour assaisonner ces délicieux choux
de montagne qui ne sentent pas vigoureusement le choux.
Le tir des cailles est très facile. Comme elles volent bas,
il faut être prudent pour les voisins et les chiens. Je chassais un jour du
côté du Puy. Ma chienne tomba en arrêt au bord d'un carré de sainfoin. La caille
partit droit devant la chienne, puis obliqua. Lorsqu'elle fut bien dégagée, je
tirai. Tout tomba, la chienne et la caille. Accident classique et stupide !
Dora se traîna quand même jusqu'à la caille morte. L'espoir revint, j'examinai
ma chienne, que je n'avais pas touchée, mais qui s'était luxé une épaule je
n'ai pas trop su comment. Quel soulagement ! Aussi pour mon amour-propre.
Nous avons connu des ouvertures où il n'était pas
nécessaire, pour tuer des cailles, d'aller là-haut sur les plateaux de ces
montagnes qui ferment notre horizon. Été humide, année de cailles. Les fossés,
les friches, les hermes sont garnis d'herbes hautes et serrées. Peu de récoltes
pendantes arrêtent le chasseur. Avec un bon chien, on obtient un beau plaisir.
Lorsqu'on est fatigué de poursuivre les perdreaux, on oublie sa fatigue dans un
endroit plat et pas très grand. Les cailles piètent, courent comme des rats, refusent
l'envol. D'autres fois, elles jaillissent du sol en poussant un cri d'effroi. Il
en reste jusqu'en octobre. Il doit même, à cette époque, en venir de la
montagne, car, certains jours, on en trouve plus que la veille. Mais ce passage
ne dure pas. Il annonce même le départ définitif. Avec elles s'envolent les
beaux jours.
Une année, on m'avait signalé la présence de deux cailles au
mois de décembre dans des terres où il y en avait eu beaucoup l'été. Elles
furent tuées par deux chasseurs différents, à huit jours d'intervalle. Bien
qu'il fît froid, elles n'étaient pas maigres. Il s'agissait d'oiseaux blessés
qui n'avaient pu prendre le départ. On m'a affirmé que quelques cailles
blessées passent l'hiver en montagne, malgré la neige, en vivant dans les murs
de pierres sèches. Cela je veux le voir pour y croire. J'en ai tué une, l'année
dernière, le 2 décembre en Camargue, en bordure du marais. Celle-là, bien
qu'en bon état, n'était pas grosse et ne présentait aucune blessure apparente.
La chasse va ouvrir dans quelques jours. Ce n'est pas une
année de cailles. Elles sont là-haut sur les plateaux du Massif central. Il y
fait bon, il y a de l'eau, à l'inverse de notre sécheresse dévorante ; il
y a des perdrix et des lièvres, pas comme autrefois naturellement, mais on a
tout de même ses chances. Aussi j'en connais plus d'un qui ira leur faire
visite.
Jean GUIRAUD.
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