C'est vraiment à désespérer d'un trop grand nombre
d'amateurs de chiens d'arrêt continentaux, tant l'amour de la fantaisie en
élevage les tient encore, en dépit de tous les enseignements donnés depuis
soixante ans. On sait quelle pagaille représentait notre cheptel national de
chiens d'arrêt avant la venue de James de Coninck. Si on laissait faire, cela
recommencerait. Il suffit d'énumérer les retrempes rationnelles à appliquer à
une race menacée en son existence par la faiblesse de ses effectifs et la consanguinité
poussée aux limites extrêmes pour susciter des zèles aveugles et, comme
toujours, maladroits. « Surtout, pas de zèle », enseignait Talleyrand
à ses subordonnés. Sagesse de ce conseil !
Comme nous sommes un peuple imaginatif et, de plus, assez
mal informé des sciences naturelles, chez nous l'imagination prend trop souvent
la place qui convient à l'observation. Et de l'imagination nous en avons en
abondance, qui ne doit tenir ici que rang secondaire.
Malgré tant d'études parues, le public intéressé n'a pas
encore compris la folle erreur consistant à unir un mâle de haut potentiel
nerveux, si puissant soit son nez, à une femelle de petit train et de petit
nez. On croit ainsi obtenir amélioration des pouvoirs olfactifs des métis. Or
il n'en est rien. On développe le train sans améliorer le nez en proportion et
le produit est un déséquilibré.
De la pratique de cette maladresse provient chez nous la
condamnation systématique de la retrempe, opération pourtant reçue en
zootechnie et nécessaire quand une race est rendue au dernier fossé.
Il s'agit, au cas d'une race de chiens d'arrêt continentaux
à radouber, de toute autre opération que de celle si bien réussie par les
veneurs depuis un siècle. Possédant un cheptel admirable de qualité, doué du
nez le meilleur, mais victime depuis la fin du XVIIIe des
convulsions politiques et parvenu au terme de la consanguinité supportable, ils
l'ont retrempé au moyen du mâle foxhound, de belle structure, pourtant
moyennement pourvu de nez, et souvent assez froid au début d'une chasse. Comme
ils le voulaient, cela s'est traduit par l'amélioration de la santé, de la
structure, du train et de la résistance. Le nez et les qualités précieuses de
nos races nationales ne s'étant pas trouvés diminués chez les métis,
l'amélioration de la vitesse n'a donc produit chez eux aucun déséquilibre. Mais
ici toutes les hautes vertus se trouvaient chez les mères des races françaises,
alors qu'il en est tout autrement sur le plan chien d'arrêt. Inutile de
contester la supériorité de nez et de style d'arrêt des représentants des races
anglaises aux allures et à l'influx nerveux aussi plus poussés. Lorsqu'on s'est
servi de l'étalon pointer ou setter (choisis en outre parmi les plus brillants,
afin de compléter la gaffe), ces braves chiens ont transmis ce qu'ils pouvaient
donner, soit meilleures allures, structure et santé, tout comme le foxhound. Le
nez des métis n'a pas été sensiblement influencé au mieux pour s'accorder aux
allures, elles très fortement améliorées. D'où des chiens ayant plus de train
que de nez, déséquilibrés pour tout dire ; de là condamnation de
l'opération, condamnable en effet telle qu'on l'a pratiquée, mais nullement du
point de vue de l'absolu.
La vénerie connaissait la saine doctrine. L'expérience, des
centaines de fois répétée, leur a donné raison, et l'échec de la combinaison
contraire a été autant de fois constaté. Il n'y a pas à y revenir.
Pourtant on ne veut pas le croire. Conseillez pour une race
en débine alliance avec une voisine prospère et déjà sans doute parente, on ne
vous écoutera pas. Les tenants responsables préféreront laisser vagabonder la
folle du logis et vous parleront des plus extraordinaires combinaisons sans en
excepter, bien entendu, l'étalon pointer le plus électrique, donc le plus à
rejeter, s'agirait-il même d'une retrempe où le recours à cette race est à
envisager. Que viendrait-il faire dans une opération concernant les épagneuls,
même choisi dans une formule plus rationnelle ? Heureux lorsqu'on ne
propose pas mélange de ceux-ci avec des porteurs de poil dur, des barbets ou
Dieu sait quoi. Pourquoi pas le lévrier, tant qu'on y est ?
Ce nom venant sous ma plume, je rappelle l'alliance avec des
braques françaises du lévrier dont est sortie une race maintenue durant de
nombreux lustres. Elle avait de la qualité et du nez. Ce n'est certes pas le
mâle lévrier qui les conféra, mais il ne les compromit pas non plus, preuve de
l'influence réduite du mâle sur la puissance d'olfaction.
Le célèbre corniau foxhound-pointer que fut Dash
tenait de sa lignée maternelle pointer toute sa valeur de chien d'arrêt, nez
compris, dont on ne peut songer un instant qu'il les devait à son père, chien
courant.
La race française de braques à silhouette lévroïde la tenait
de l'ancêtre lévrier et c'est à peu près tout ; de même que Dash,
la puissance et la régularité de sa structure de son père foxhound. Tout le
reste, soit l'essentiel, est à porter à l'actif des mères.
L'expérience enseigne donc de choisir la mère, lors d'une
retrempe améliorante de la qualité, dans la race la mieux douée. Ceci revient à
dire qu'il y a deux sortes de retrempe, l'une tendant à l'amélioration de la
structure, dont le prototype fut l'alliance du mâle foxhound et de la lice
française de vénerie, l'autre dont le but est le renforcement des qualités olfactives,
de la fermeté et du style de l'arrêt. Cette dernière a été pratiquée plus
souvent qu'il n'a été avoué et, bien dosée, s'est révélée bienfaisante.
D'après ce que j'ai observé, le procédé de choix, en
l'occurrence, consiste à partir d'un mâle de haute qualité de la race à
améliorer uni avec la femelle de la race améliorante, pour appliquer
immédiatement l’inbreeding du père avec ses filles. Cette pratique est
d'ailleurs très connue outre-Manche, où il semble qu'elle ait été inaugurée.
L'expérience enseigne en effet la valeur des trois quarts de sang issus de
l'opération : leur retour au type paternel avec l'amélioration de la
qualité.
Ne jamais pratiquer croisement entre races éloignées l'une
de l'autre, tant au physique qu'au moral, sous peine de rendre fort malaisé le
retour au type de la race retrempée. Allier le pointer et une race d'épagneul
quelle qu'elle soit n'est pas à recommander. On sait ce que le setter y a
perdu. De même doit-on condamner les alliances entre chiens d'arrêt et courants
et aussi lévriers. Dash, le précité, n'a rien produit de bon suivant
Arkwright, et la race de braques français façonnée par apport de sang lévrier a
fini, pour une part, par désassociation des éléments composants : le
lévrier, race zoologiquement pure, s'étant montré dominant au cours des
générations.
Il faut savoir les effets que l'on veut obtenir d'un
croisement, et cette notion échappe souvent aux éleveurs de chiens d'arrêt trop
portés à croire à l'étalon fantastique transmetteur de toutes les vertus. C'est
une profonde erreur, et d'autant que le couple initial se compose dudit
personnage et d'une très humble lice médiocrement douée. Sans doute a-t-on vu,
anciennement surtout, lorsque le setter anglais était ce qu'il fut, réussir son
alliance avec des épagneules françaises. Mais ne pas oublier que, si celles-ci
n'avaient que train modéré, le nez ne leur faisait pas défaut. L'union du
pointer de haut influx nerveux s'est révélé moins heureux avec les braques, ne
donnant satisfaction que rarement. Il fallait, tout au moins, recourir au
pointer un peu épais et de train moyen, comme on pouvait aisément en rencontrer
autrefois.
Le mauvais usage du sang pointer a beaucoup contribué à le
faire rejeter purement et simplement comme moyen de retrempe. Une erreur en
engendre une autre. À l'étranger, on en a tiré par contre grand profit. Tous
les chiens d'arrêt allemands ont maintenant une dose plus ou moins forte de ce
sang. Les modifications qui s'en sont suivies de leur physique ont précisément
coïncidé avec la faveur qu'ils rencontrent en Europe et en Amérique. Il y a
donc de bons remèdes, mais il faut en connaître l'usage.
Ceci n'est nullement écrit dans l'intention de conseiller pointérisation
ou settérisation superflues, importunes et condamnables, de races se portant
bien et douées des qualités exigibles. On ne s'adresse qu'à celles en détresse
et en faveur desquelles il faut bien tenter quelque expérience. Celle-ci, comme
on le voit, est assez étroitement limitée et il ne s'agit pas de se livrer aux
débauches d'imagination, mais de connaître l'élément améliorateur recommandable
et ensuite de s'en servir suivant les règles éprouvées. Cela semble simple tant
qu'on n'est pas passé à l'exécution. Art simple et tout d'exécution, ce qui ne
veut nullement dire facile.
R. DE KERMADEC.
|