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Le canoé

Les barrages

Ils sont nos producteurs n° 1 d'énergie électrique ; d'eux dépend l'extension de notre industrie et, plus tangiblement, la bonne marche d'une foule sans cesse grandissante d'accessoires ménagers que la civilisation moderne et la force persuasive d'une abondante publicité imposent à nos besoins : radio, éclairage fluorescent, frigidaires, machines à laver, rasoirs, etc. ...

Il y a vingt ans, nous ne connaissions que deux barrages importants : Éguzon, sur la Creuse, et le Pinet, sur le Tarn. Leur hauteur ne dépassait pas 50 mètres, mais cinq années suffirent pour multiplier leur nombre et en doubler la hauteur avec les ouvrages de Sarrans, sur la Truyère, et Marèges, sur la Dordogne. Depuis, leur nombre est devenu impressionnant, et bien rares sont les rivières chères aux canoéistes dont le cours n'est pas interrompu par une digue de bonnes dimensions noyant généralement la plus belle partie, puisque toujours établie en aval d'une section de gorge à forte pente.

Il ne nous appartient pas de ralentir la marche du progrès (comment, du reste ?), ni même de critiquer l'opportunité de certains barrages. Nous ne pouvons que déplorer la disparition de sites très beaux et demander que toutes facilités nous soient accordées pour franchir ces obstacles. Dans la majorité des cas, en effet, il n'eût pas été difficile ni onéreux de prévoir un point de débarquement et une piste permettant une remise à l'eau aisée en aval. Mieux même, certains lacs de retenue pourraient être aménagés au profit des pêcheurs et amateurs de sports nautiques comme cela existe ... hors de France.

Lors du Congrès des associations de tourisme, qui s'est tenu à Paris en juin dernier, le président du Canoé-Club de France a déposé un rapport très documenté concernant la situation du tourisme nautique vis-à-vis des barrages ; l'attention des Pouvoirs publics a été retenue, et nous espérons obtenir satisfaction, à l'avenir, dans la mesure du possible.

Un barrage crée toujours une retenue d'eau calme, et il suffit pour le canoéiste d'appuyer un peu sur les pagaies pour la franchir, c'est là la moindre épreuve. La sortie du canoé, le portage, le chariotage et la remise à l'eau se traduisent généralement par des exercices de force plus ou moins longs et acrobatiques. Il faudra parfois sortir bien en amont du barrage, peut-être contourner la montagne, avant de pouvoir rembarquer.

Passe encore si l'on a la satisfaction de retrouver eau et rapides à la sortie de l'usine située immédiatement en aval, car bien souvent l'eau est emmenée encore bien loin des conduites ou encore, en période de basses eaux, les vannes restent fermées. Parfois vous aurez la chance, si M. l'ingénieur est sportif et si les exigences du service lui en laissent la possibilité, d'obtenir le débit des quelques mètres cubes qui vous assureront une navigation intéressante.

Il est indispensable d'être renseigné, avant de partir, sur les possibilités de franchissement d'un barrage en écrivant, au besoin, au directeur de l'usine.

Dans certains cas, un barrage peut être dangereux. Par exemple ceux de moyenne importance, dont la chute est libre et « tire » à partir d'une certaine distance qu'il ne faut pas dépasser (exemple : barrage de Quinson, sur le Verdon). Pour une raison quelconque, entretien ou réparation, les vannes peuvent être ouvertes, et nous avons le souvenir d'un accident mortel ainsi occasionné sur le Giffre. Vous n'approcherez d'un barrage qu'avec prudence et devrez vous arrêter si une trace de courant se manifeste, là où la retenue devrait se faire sentir.

Une autre entrave à notre navigation est actuellement constituée par les chantiers de construction de barrages. Il faut savoir dans quelles conditions on peut les franchir et prendre toutes précautions pour éviter les accidents : volées de mines, manœuvre du matériel, etc. ...

Mais il est d'autres barrages beaucoup plus modestes, presque aussi anciens que la rivière elle-même, et qui font partie intégrante du cadre nautique. Ce sont ceux qui alimentent les moulins, scieries, etc., édifiés au bord de nos cours d'eau. Souvent ils ont inspiré le poète, et il est rare que l'édifice ne s'harmonise pas avec le paysage. La retenue de ces barrages est de peu d'importance et souvent, sur les rivières très peu profondes, il est agréable de prendre un bain dans leur eau calme.

Beaucoup, du reste, sont abandonnés, les ruines du moulin envahies par la végétation, l'ouvrage crevé, ses pierres disjointes laissant aisément passer le canoé.

Souvent ils sont constitués par des blocs de pierres grossièrement maçonnées sur un seuil naturel. Sur les courants landais, on rencontre un amoncellement de troncs retenus par un clayonnage en bois. Ailleurs, le barrage sera de construction plus récente, en ciment. Parfois, comme sur les Gaves, il sera muni d'un passelit primitivement destiné au libre passage des bois flottés.

Rarement ces barrages sont un obstacle sérieux pour le canoéiste. S'ils sont peu élevés et que le débit d'eau soit suffisant, il est quelquefois possible de les sauter après reconnaissance. Mais surtout ne vous laissez pas tenter par le désir d'accomplir une vaine performance. Si le franchissement d'un déversoir incliné au pied duquel l'eau s'écoule sans rappel ne tire pas à conséquences en cas de naufrage, il n'en est pas de même pour les barrages verticaux. Il se forme alors à la base de gros bouillons et des remous en profondeur qui ramènent et maintiennent sous la chute tout objet flottant ; laissez filer par-dessus le barrage une forte branche et vous serez convaincu du danger que peut courir dans ses conditions un canoéiste dessalé, si bon nageur soit-il. Le saut d'un barrage ne nécessite pas d'aptitudes particulières, il suffit de présenter le bateau bien perpendiculairement à la chute avec le plus d'élan possible et de maintenir l'équilibre en pagayant ferme dès la réception. C'est une épreuve banale, et mieux vaut s'abstenir que de risquer stupidement sa vie, car, malheureusement, des accidents mortels ont été provoqués par de tels sauts.

S'il passe peu d'eau sur le barrage, il suffit généralement d'aborder sur la crête et de laisser filer le canoé vide en le retenant par la bosse arrière. Attention, les pierres sont glissantes. Si le « passage à la corde » n'est pas possible, il faut contourner l'obstacle sur la rive. Quelquefois vous serez obligé de déranger un pêcheur ou de traverser la propriété du moulin avant de remettre à l'eau. Dans ce cas, excusez-vous, sollicitez aimablement l'autorisation et revêtez une tenue correcte ; vous repartirez avec la considération des riverains et rendrez service aux canoéistes suivants.

G. NOËL.

Le Chasseur Français N°645 Novembre 1950 Page 669