Si vous commandez les plans de votre yacht à un architecte,
demandez-lui conseil pour le choix du moteur. Faites-lui confiance, car il est
particulièrement qualifié pour vous indiquer la puissance qui convient, et il
vous laissera choisir à votre guise parmi les grandes marques spécialisées dans
les moteurs marins. Il fera le calcul de l'hélice, à moins que la maison
fournissant le moteur n'en charge un de ses techniciens. Dans ce cas, tout ira
pour le mieux. Moteur et hélice donneront leur rendement optimum. Mais de
nombreux bricoleurs ont l'incorrigible manie de vouloir s'improviser architecte
naval. Et s'il est un domaine où l'improvisation est néfaste, coûteuse et
dangereuse, c'est bien celui de la mer. Chaque année des accidents, des
naufrages même, se produisent à bord des bateaux de plaisance, faute d'avoir
muni ceux-ci d'un moteur adéquat. Le cas le plus fréquent, et le pire, est
celui-ci : un amateur a construit ou acheté un petit voilier, et il décide
d'y installer un moteur d'auto. Le garagiste du coin lui en fait cadeau, et il
veut profiter de cette bonne affaire. Soyez certain qu'à plus ou moins longue
échéance l'affaire apparaîtra désastreuse, mais il sera trop tard.
Avant d'engager des frais, consultez un spécialiste et
posez-lui la question suivante : mon bateau peut-il recevoir un moteur
fixe ? Dans l'affirmative, demandez-lui quelle puissance et quelle hélice
choisir. Si votre bateau est un fin voilier, léger et racé, type caneton, loup,
star, requin, etc., ce serait bien dommage de l'écraser avec un moteur. Il
n'est pas fait pour cela, et la chose est d'ailleurs impossible sur un petit
monotype. Mais, dans la plupart des cas où le moteur fixe est inacceptable, le
moteur hors-bord apporte une solution pratique. Économique, léger (le 2,5 CV ne
pèse pas 20 kilogrammes), il est muni d'un dispositif de basculement permettant
au propulseur de s'effacer sur l'obstacle et peut être rentré complètement à
bord du bateau sans détacher la fixation, combinaison fort utile à bord des
voiliers et des barques de pêche lorsque l'on ne se sert pas du moteur. Il est
facile, au retour de chaque promenade, de le rentrer à l'abri de la terrible
corrosion marine ; si, enfin, vous possédez plusieurs embarcations, votre
moteur ira fort bien de l'une à l'autre. L'inconvénient du hors-bord est — ou
plutôt a été — de démarrer difficilement et de tomber en panne trop
fréquemment. Ce reproche n'est plus justifié aujourd'hui. Si vous vous adressez
à un constructeur sérieux, vous aurez une petite merveille mécanique dont la
robustesse et la régularité vous étonneront.
Dans le cas où un moteur fixe s'impose, renoncez au moteur
d'automobile. Si vous voulez réduire la dépense, mieux vaut acheter un moteur
marin d'occasion en vous entourant des garanties d'usage. Ne cherchez pas à placer
sur un voilier un moteur trop puissant. Contentez-vous d'un moteur donnant au
bateau sa vitesse moyenne à la voile, soit 5 à 6 nœuds. Pour cette vitesse, un
yacht de construction moderne de 10 mètres de longueur et de 6 tonnes de
déplacement n'a besoin que de 7 CV. Nombreux sont les plaisanciers qui
ignorent combien la vitesse est coûteuse. On croit communément qu'en doublant
la puissance on double la vitesse, alors que, pour doubler cette vitesse, il
faut multiplier la puissance par 8. En doublant la puissance, on multiplie la
vitesse par 1,26. Un yacht donnant 10 nœuds avec 50 CV en donnera 12,6
avec 100 CV.
Le moteur peut être placé le plus en arrière possible avec
hélice dans l'axe du bateau, ou sur le côté avec hélice latérale. La résistance
à la marche est sensiblement la même, avec peut-être un léger avantage en
faveur de l'hélice latérale si elle est repliable. On ne saurait apporter trop
de soins à l'installation des organes auxiliaires. Ceux-ci sont nombreux :
graissage, embrayage, renversement de marche, palier de butée, pompe à eau de
circulation et de cale, pot d'échappement silencieux, tuyauteries diverses,
etc. Leur choix est souvent lié au type du moteur, et leur bonne marche a une
influence aussi importante pour la bonne utilisation de l'ensemble que le
moteur lui-même. Il serait fastidieux de rentrer dans les détails techniques,
et les lecteurs qui désirent approfondir la question trouveront en librairie
des ouvrages sur les moteurs marins ; je me contenterai de rappeler
quelques conseils sur les points qui me paraissent essentiels.
Après le graissage, le point le plus important est le
refroidissement correct du cylindre. Sur le moteur marin, on a recours au
refroidissement par circulation d'eau prise au dehors et expulsée ensuite. Il
faut donc une pompe commandée par l'arbre moteur, munie d'une tuyauterie
d'aspiration à la coque, de refoulement au moteur et d'évacuation à
l'extérieur. En eau douce, la pompe peut être quelconque ; mais, en mer, il
n'en est pas de même. La salinité de l'eau a tôt fait d'attaquer la pompe si
elle est en acier ; il ne faut utiliser que des pompes en bronze avec
tuyauteries en cuivre rouge, robinets en bronze, crépines en cuivre, à moins
d'employer les alliages récents inoxydables.
On peut faire aboutir l'échappement dans la voûte, mais le
tuyau est long et passe à proximité des soutes à voiles. Une bonne solution est
l'échappement latéral débouchant tout près de la flottaison ; il faut
alors que le tuyau forme une boucle à toucher le pont, afin d'avoir un point
haut et empêcher l'eau d'envahir le moteur à la gîte.
Un des organes auxiliaires les plus utiles pour la bonne
utilisation du moteur est l'embrayage, combiné ou non avec un inverseur de
rotation appelé changement, de marche.
Cet organe est, à mon avis du moins, indispensable, même en
cas d'hélice réversible. Un autre organe auxiliaire important est celui du
lancement. Il y a trois sortes de lancement courant : la manivelle, le
moteur électrique, l'air comprimé. Le premier est le plus commun et aussi le
plus sûr. Il est normal sur les moteurs à explosion jusqu'à 100 CV et sur
les moteurs Diesel jusqu'à 20 CV. Pour les moteurs à combustion au-dessus
de 20 CV, rien ne vaut le démarrage à l'air comprimé. Le démarrage
électrique est le plus élégant. Un contacteur sur lequel on appuie, et le
moteur part. Mais, entre les deux, il y a des intermédiaires, donc autant de
sources de panne, d'autant plus que le montage est souvent défectueux. Il devra
donc être doublé soit d'un démarrage à main, soit d'un démarrage pneumatique.
Pour mettre en marche un moteur, il faut beaucoup d'ampères et la vie de la
batterie sera dangereusement raccourcie. Comme tout ce qui est électrique à
bord, si le démarreur n'est pas largement conditionné et la batterie de grande
capacité, les ennuis seront supérieurs aux avantages.
À bord des yachts de petite et moyenne dimension, le moteur
à explosion est presque toujours préféré au moteur Diesel. Jusqu'à ces
dernières années, le premier l'emportait avec les avantages suivants :
Prix, 50 p. 100 environ moins cher que le Diesel. Encombrement et poids
bien inférieurs. Pas de moteur à combustion dans les faibles puissances.
Aujourd'hui ces arguments ne sont plus valables, et, en regard des avantages
indiscutables du moteur Diesel, il est inconcevable que les yachtsmen hésitent
encore. L'industrie française sort actuellement des moteurs Diesel marins de
petite puissance qui sont d'une étonnante perfection mécanique. J'ai vu
fonctionner un de ces moteurs à bord d'un yacht et dans les conditions plus dures
à bord d'un bateau de pêche, où l'entretien est la plupart du temps fort
négligé. C'est le moteur rêvé pour les plaisanciers, et j'ai noté quelques
précisions pour les lecteurs de cette rubrique. Je tiens à remercier ici M. Delbos,
fidèle lecteur du Chasseur Français et technicien éminent des moteurs
marins, pour cette documentation.
Le Diesel marin de 7 CV, d'un régime de 1.500
tours-minute, ne pèse que 170 kilogrammes, donc moins que certains moteurs à
essence de même puissance. Encombrement à peu près identique. Prix avec
changement de marche ou bien avec arbre et hélice réversibles au choix :
180.000 francs, soit moins cher que plusieurs grandes marques de moteurs à
explosion. Comme fonctionnement, sécurité et consommation, le Diesel est
imbattable. Il démarre à la manivelle, même à la corde, comme un hors-bord. Les
pannes sont pratiquement inconnues. Plus de bougies, plus de magnéto, et Dieu
sait si ces accessoires font mauvais ménage avec l'air marin. Même après
plusieurs mois d'inactivité, ce moteur démarre à coup sûr. Pour remédier à une
panne, bien improbable d'ailleurs, il suffit d'être muni des rechanges
suivantes : 1 pompe, 1 injecteur et 1 clapet de retenue, soit une dépense
de 5.000 à 6.000 francs au total. Les risques d'incendie sont bien moindres
qu'avec l'essence. La consommation, enfin, est stupéfiante : un litre de
gas-oil à l'heure. Pour une vitesse horaire de 10 kilomètres en moyenne, ce
moteur dépensera pour vos promenades en mer 14 francs, soit 1fr,40
au kilomètre. Je tiens en outre à signaler aux plaisanciers qu'ils pourront
acheter leur moteur Diesel à tempérament, selon la formule du crédit
automobile, un tiers à la commande, le solde en 12 ou 18 mois.
Ainsi tombent tous les arguments qu'on opposait aux
partisans du moteur à combustion. Il est certain que celui-ci remplacera de
plus en plus le moteur à essence, et le yachtsman y gagnera en sécurité, en quiétude
et en économie.
A. PIERRE.
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