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Le vignoble

Les calamités agricoles

L'année qui va finir a été malheureusement marquée par de nombreux orages de grêle. Il n'y a pas, en effet, de régions viticoles qui n'aient été touchées, souvent gravement. Nous avons eu sous les yeux une gravure d'un vignoble du Sauternois où l'on ne voit plus ni feuillage, ni sarments ; c'est navrant !

Dans les vignes ainsi grêlées, la récolte est nulle, celles des années suivantes sont bien compromises et, pendant ce temps, les frais d'exploitation ne diminuent guère, car après le passage du fléau par suite des innombrables blessures occasionnées par le grêlon, il faudra sulfater si on ne veut pas voir ce qui reste envahi par les maladies cryptogamiques.

On nous apprend à l'école la formation des orages de grêle qui est fort simple : un courant d'air ascendant, humide et chaud, arrive dans des régions froides, l'humidité se condense, le nuage est formé ; si les conditions sont favorables, les gouttelettes gèlent.

Au reste, la formation des nuages électrisés a été fort bien traitée dans une étude parue dans le numéro du mois d'août du Chasseur Français sous le titre : « La pluie artificielle. »

Les conditions de chute de la grêle sont à peu près les mêmes que pour celle de la pluie.

On a constaté dans plusieurs endroits, et notamment à l'est de la capitale, des grêlons aussi gros qu'un œuf.

Nous savons tous que ce météore se combat au moyen de fusées paragrêles. Devant l'intensité et le nombre de chutes, on conçoit facilement que le service de protection ait été débordé, car nul ne pouvait prévoir une telle avalanche de grêlons.

Ce service de protection étudie actuellement des moyens de lutte plus puissants, comme un explosif plus violent, une altitude d'éclatement plus élevée ; enfin il envisage l'augmentation du nombre des postes de protection.

Les dégâts dus à la grêle, cette année, ont été tellement élevés que le Parlement français s'en est occupé.

Quel que soit le mode de financement du sinistre, il n'en résulte pas moins que le vignoble est plus ou moins endommagé et qu'il serait à notre avis préférable de trouver une protection mécanique du cep, qui vaudrait mieux qu'un dédommagement en espèces, aussi élevé soit-il.

Sur ce sujet, nous avons décrit jadis, dans le Chasseur Français, un moyen de protection contre la gelée et qui peut également servir contre la grêle. Voici ce que nous avons vu installé dans un petit vignoble « payant ».

Des bandes de toile semi-rigide (genre toiles de lieuse), de 70 centimètres environ de large, étaient fixées sur des liteaux transversaux et disposées au-dessus du feuillage ; ces bandes, dont les bords étaient pourvues d'anneaux, pouvaient coulisser sur deux fils de fer parallèles. De cette façon, rabattues pendant le jour, elles étaient étalées pour la nuit.

Nous donnons ce procédé pour ce qu'il vaut ; il exige une grosse mise de fonds et ne peut être employé partout ; toutefois, dans certains vignobles à plants fins, il peut sauver ceux-ci de la mutilation.

Si nous ne sommes actuellement pas très bien outillés pour lutter contre la grêle qui nous arrive à l'improviste, par contre, nous le sommes très bien contre les gelées printanières, et l'on peut écrire à l'heure actuelle : gèle qui le veut bien.

Tout d'abord nous avons à notre disposition un excellent appareil de prévision des gelées : « le pagoscope ». Cet instrument, judicieusement placé, nous donnera chaque soir au coucher du soleil deux indications, soit « gelée probable », soit « gelée certaine ». Il ne nous restera qu'à prendre nos dispositions. Celles-ci varieront selon que l'on se place sur le plan collectif ou le plan individuel. Sur le plan collectif, il s'agit par exemple d'un très grand vignoble appartenant à plusieurs propriétaires ; on emploiera les brouillards artificiels.

Le pagoscope, auquel sera joint un anémomètre (donnant la direction du vent au sol), nous indiquera, le cas échéant, l'emplacement à donner au matériel de protection par brouillards artificiels. Le matin, la température critique sera indiquée soit par un veilleur, soit par un avertisseur automatique sonore. En cas d'alerte, il n'y aura plus qu'à mettre le matériel en action.

Sur le plan individuel, les vignobles sont disséminés, c'est le cas pour les exploitations de polyculture. Si la protection doit se faire pour des plants fins, on peut appliquer le système des toiles à coulisse dont nous avons parlé plus haut.

En cas contraire, nous préconisons deux moyens :

1° Réchauffement de l'air au moyen de brûleurs à hydrocarbures. Ce procédé est employé depuis longtemps pour les vergers de Californie et depuis quelques années en France, notamment dans le Sud-Ouest pour la protection des vergers de pêchers ;

2° Réchauffement de la plante par les rayons infrarouges. Nous savons que ces rayons, émis par des ampoules spéciales, ont la propriété de « pénétrer » dans les tissus végétaux à une épaisseur suffisante pour en assurer le réchauffement. Cette propriété, jointe à plusieurs autres, leur confère des usages multiples, tels le séchage des bois et vernis, la pasteurisation du lait, la stabilisation des jus de fruits, la désodorisation des alcools et eaux-de-vie de marc, la désinsectisation des graines, etc. ...

En ce qui nous concerne, nous emploierons de préférence des ampoules de forme parabolique et argentées intérieurement ; nous les disposerons soit au-dessus du rang, soit sur le côté de façon à réchauffer toutes les parties à protéger.

Dans notre installation, n'oublions pas ce principe de physique : la quantité de chaleur reçue par une surface placée devant une source calorifique est inversement proportionnelle au carré de la distance de cette surface à la source, ce qui veut dire en bon français que, si nous installons une ampoule à 0m,50 d'une jeune pousse et qu'elle reçoive N calories, elle recevra à 0m,25, soit à une distance deux fois moindre, non pas 2 N calories, mais bien 4 N calories.

Il faudra également se souvenir que le refroidissement se fait par le sol (pour les gelées printanières sans vent) et que les pousses les premières atteintes seront celles qui seront à la partie inférieure du cep.

Toutefois, cette méthode des infrarouges a l'inconvénient d'exiger une dépense appréciable de courant. En effet, une ampoule consomme 250 watts ; à raison d'une seule par cep, il faut prévoir, par 100 pieds, 25 kilowatts. C'est donc moins une dépense horaire qu'il faut considérer que l'importance de l'énergie électrique dont on peut disposer.

V. ARNOULD,

Ingénieur agronome.

Le Chasseur Français N°645 Novembre 1950 Page 679