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Automobile

Le mélange alcool-essence

À dater du 1er septembre dernier, les automobilistes ont été gratifiés d'un cadeau dont ils se seraient bien passés : l'alcool. Celui-ci entre, pour la composition du carburant, dans une proportion non négligeable. L'usager a le choix entre un mélange dit « binaire », contenant au maximum 15 p. 100 d'alcool dont l'indice d'octane doit être supérieur à 70, et un supercarburant composé d'hydrocarbures ou de mélanges ternaires d'un indice d'octane supérieur à 74. Les grandes compagnies pétrolières peuvent effectuer leur mélange au mieux et vendre leur produit sous leur marque propre. Cela nous rappelle le carburant national de jadis, avec cette différence qu'à l'époque l'automobiliste avait le choix entre l'essence alcoolisée, le supercarburant à base de tétraéthyle et l'essence ordinaire. Aujourd'hui, que cela leur plaise ou non, nos moteurs doivent digérer de l'alcool. On est bien obligé, chemin faisant, de soulever le voile qui recouvre pudiquement le problème de l'alcool. C'est la loi du 1er août 1924, puis le décret-loi du 17 juin 1938 qui imposèrent à la Régie l'achat d'alcools de céréales. Déjà, en 1935, le gouvernement avait consolidé la position des betteraviers en assurant la parité sucre-alcool ; autrement dit, le distillateur était assuré de pouvoir payer la betterave un prix égal à celui payé par le producteur de sucre. Dès lors, la tentation était forte de fabriquer de l'alcool au détriment du sucre. D'autant plus que la capacité de production des raffineries reste insuffisante pour transformer les betteraves de 320.000 hectares emblavés la saison dernière et que le coût d'installation d'une sucrerie de 1.000 tonnes est de l'ordre de 1 milliard, alors que celle d'une distillerie d'alcool de 300 tonnes est de 300 millions.

On comprend que la surproduction d'alcool ne fait que s'accroître. Le stock disponible est maintenant de plus de 3 millions d'hectolitres, auquel s'ajouteront 5 millions l'an prochain. Notons que le système devient absurde au moment où, la production sucrière diminuant, le prix du sucre augmente, entraînant à son tour un prix plus élevé de reprise de l'alcool. C'est là un cycle infernal que n'avaient pas prévu, certes, les pouvoirs publics. Il faut donc, pour en sortir, accroître la production du sucre par tous les moyens. Notons enfin que les quatre décrets parus entre 1946 et 1948, relatifs à l'application du plan Monnet à cette question délicate, garantissent jusqu'à la campagne 1950-1951 le statu quo. La Régie va se trouver bientôt devant un problème financier des plus grave. Pour être juste, nous ne pouvons passer sous silence le fait — et c'est là l'argument massue des partisans de cette réglementation — que le problème de l'alcool est, plus simplement, le problème du blé. Alors qu'avant la guerre nous importions ce précieux grain, aujourd'hui, chacun le sait, nous sommes devenus exportateurs, théoriquement tout au moins. Or les terres à blé, plus étendues qu'hier, ont besoin de s'enrichir par des plantations de betteraves, en particulier. On suggère en haut lieu que la culture de la betterave soit uniquement réservée aux terres à blé. Cela mérite d'être approfondi. Bref, il est paradoxal que, par suite de l'insuffisance de la production de nos raffineries, nous soyons obligés d'importer, comme nous le sommes actuellement, cent mille tonnes de sucre, au milieu d'un tel océan d'alcool issu de la betterave sucrière.

Quant au prix de revient de l'alcool, en partant du prix d'achat au producteur de 75 francs le mille, et en y ajoutant 15 francs par litre pour les frais de déshydratation, de dénaturation et de manutention, nous arrivons à un total de 90 francs le litre. En affectant 2.500.000 hectolitres à la carburation pour la campagne 1949-1950, on creuse un trou de 20 milliards de francs. Qui va payer ?

Mais voyons le côté technique du problème. Nous trouvant en face d'un tel stock d'alcool, force est de le liquider, bon gré, mal gré. Nos moteurs doivent donc le digérer. Remarquons, en premier lieu, que l'alcool n'a pas la conscience si noire que certains le prétendent. Notons les inconvénients. Consommation accrue, c'est un fait indiscutable. L'alcool ayant un pouvoir calorifique inférieur à l'essence, la consommation en volume de carburant est, au maximum, accrue dans le même rapport, c'est-à-dire de 4,5 p. 100 environ pour une essence alcoolisée à 15 p. 100, toutes choses égales bien entendu. En pratique, cet accroissement diminue suivant l'habileté de conduite de l'usager : une augmentation d'avance à l'allumage, une plus grande souplesse en côte. On peut le fixer à 2,5 ou 3 p. 100. C'est donc, là encore, l'automobiliste qui paie. Difficultés plus grandes des départs à froid, surtout l'hiver; difficultés encore accrues avec les moteurs anciens, à taux de compression relativement bas et non pourvus de carburateur moderne à starter. Attaque des peintures et vernis : quelques précautions élémentaires limiteront, de ce côté, les dégâts. Les membranes des pompes à essence mises à rude épreuve : des progrès sont possibles dans la construction et le choix des matériaux de ces accessoires, dont les défaillances sont toujours désagréables. Corrosion des tuyauteries, des cuves de carburateurs et des réservoirs : de bons filtres et des nettoyages fréquents éviteront les pannes. Lavage, au départ, et séchage des cylindres ; les moteurs rodés, et à plus forte raison ceux présentant un commencement d'usure, ne souffrent pas trop de cet état de chose ; quand aux moteurs en rodage, ou dans leurs 5.000 premiers kilomètres, il est indispensable d'employer un superlubrifiant mélangé à l'essence.

Mais l'alcool-carburant n'a pas que des inconvénients. Il est antidétonant, et à tel point que des moteurs spéciaux, aux taux de compression élevés, font appel à lui, en course, afin d'obtenir des performances remarquables. En conséquence, les moteurs modernes, à haute compression, sont moins incommodés que les autres, à régime plus lent et à soupapes latérales.

Il supporte une avance à l'allumage plus grande, ce qui, comme nous l'avons vu plus haut, compense quelque peu la perte de puissance. Il est donc indispensable de prévoir le montage de l'avance à l'allumage à main, permettant de donner au moteur le maximum d'avance qu'il peut supporter. Notons que, sur certains moteurs réglés « pauvre », il est nécessaire de procéder à un réglage du carburateur, gicleur et buse. Les fabricants de cet organe donnent toutes les indications voulues sur ce point. La densité de l'alcool étant différente de celle de l'essence, souvent on se trouve obligé de procéder à un nouvel équilibrage du flotteur. Enfin l'alcool maintient une chambre de combustion propre, exempte de calamine, c'est-à-dire de toutes pointes chaudes donnant naissance à l'auto-allumage. Conséquence : les décalaminages et les rodages de soupapes se font à intervalles beaucoup plus éloignés qu'avec l'essence.

Nous avons voulu, ici, être aussi impartial que possible. Chacun peut conclure suivant son humeur, ses intérêts ou son tempérament. Peut-être pourrions-nous demander, si, aujourd'hui, nos moteurs sont obligés d'avaler un breuvage pour lequel ils ne sont pas faits, que ce soit, du moins, pour une courte durée, et qu'à l'avenir les pouvoirs responsables évitent, par tous les moyens dont ils disposent, une semblable surproduction d'alcool.

G. AVANDO,

Ingénieur E. T. P.

Le Chasseur Français N°645 Novembre 1950 Page 687