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Causerie juridique

Chasse non gardée

Un propriétaire nous a récemment demandé s'il était obligé d'avoir un garde et si, du fait qu'il n'en avait pas, tout le monde pouvait librement chasser dans sa propriété. Bien évidemment, nous avons répondu non aux deux questions ; le plus étonnant, c'est que ces questions aient pu être posées. Mais il nous semble que, si elles l'ont été, c'est que notre correspondant avait perçu les échos de certains projets encore en l'air, dont les lecteurs du Chasseur Français n'ont pas manqué d'être informés par des articles fort intéressants, insérés dans des numéros récents de cette revue. Et c'est ce qui nous amène à en parler à notre tour.

Le point de départ de toute cette agitation, c'est la raréfaction du gibier. Cette raréfaction est un fait indéniable auquel on désire remédier. Mais la solution du problème n'est pas facile à trouver. Ce n'est pas que les remèdes manquent ; c'est, au contraire, qu'il y en a trop, mais que chacun de ceux qu'on propose, présente des inconvénients. Notre but, ici, n'est pas de donner notre avis sur le plus ou moins d'efficacité des remèdes proposés, ni d'en proposer d'autres. Nous voulons seulement dire un mot au sujet des gardes-chasses et de ce qu'on peut attendre d'eux en ce qui concerne la conservation du gibier.

On répète à satiété que la disparition du gibier est la conséquence du braconnage ; d'où l'on conclut que, s'il y avait plus de gardes, ou si les gardes faisaient plus consciencieusement leur métier, on aurait plus de gibier. Ceci n'est pas douteux, mais nous croyons que les braconniers ne portent que dans une bien faible mesure la responsabilité du dépeuplement constaté, et que ce sont surtout les chasseurs qui en sont responsables ; nous avons lu, dans un article paru récemment sur la question, que le nombre des permis délivrés actuellement équivalait approximativement à vingt fois ce qu'il était au temps où le gibier abondait ; personne n'oserait dire qu'il y a actuellement vingt fois plus de braconniers, ni que le travail des braconniers soit vingt fois plus productif qu'il ne l'était autrefois. Multipliez le nombre des gardes, payez-les mieux pour pouvoir exiger d'eux plus de travail, cela, à notre avis, ne produira pas, pour la conservation du gibier, un effet appréciable.

Ceci nous amène à parler du projet qui tendrait à attribuer aux sociétés de chasse communales le droit de chasse sur les propriétés où la chasse n'est pas gardée ou dont la superficie ne dépasse pas un certain nombre d'hectares, et ceci malgré l'opposition des propriétaires. Si de telles mesures pouvaient avoir des effets utiles au point de vue de la conservation du gibier, on pourrait, à la rigueur, s'en montrer partisan, bien qu'elles constituent une atteinte grave au droit de propriété, qui en a déjà subi d'assez rudes, surtout pour ce qui est de la propriété urbaine. Mais, si l'on veut bien y réfléchir et en juger avec bonne foi, on arrivera certainement à cette solution que les mesures envisagées ne pourront faire qu'aggraver la situation à laquelle on prétend apporter remède.

Les petites propriétés où l'on ne chasse pas, ou peu, constituent dans une certaine mesure des réserves pour le gibier ; incorporées dans le périmètre de chasse de la société communale, elles perdront ce bénéfice, et leur gibier sera exposé à la destruction et disparaîtra rapidement. Et qu'on n'objecte pas que la chasse y sera gardée, ce qui y évitera le braconnage, car, en fait, toutes les propriétés sont placées sous la surveillance des gardes des sociétés départementales de chasseurs, qu'il y ait ou non un garde particulier.

En fait, si le propriétaire se désintéresse de la chasse, il acceptera le plus souvent de transférer à la société communale son droit de chasse : s'il refuse de le faire, il peut avoir pour cela de bonnes raisons, et il nous paraîtrait regrettable que l'on puisse, sans son consentement, permettre aux membres de la société de chasse communale d'aller chasser dans sa propriété. Et si le propriétaire chasse lui-même ou loue le droit de chasse à un tiers, cela nous paraîtrait encore plus regrettable, d'autant plus que cette atteinte portée aux droits du propriétaire ne se justifierait par aucun intérêt public. Nous ne voyons, quant à nous, aucun inconvénient, mais, au contraire, que des avantages à ce qu'il existe des parties de territoire sur lesquelles on ne chasse pas.

Paul COLIN,

Docteur en droit,
Avocat honoraire à la Cour d'appel de Paris
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Le Chasseur Français N°646 Décembre 1950 Page 707