Le bois est une mine pour le chasseur au chien d'arrêt, qui
serait la plus belle du monde si elle était inépuisable. Elle en est loin
malheureusement.
Il contente à peu près tous les goûts. Selon les yeux qui le
regardent : il est une grande cage à lapins ; un domaine pour le
lièvre ; un immense parquet à faisans ; une solitude royale à la
disposition des bécasses.
Et pour tous ceux qu'aucune spécialité ne fixe, il est un
lieu de bonnes rencontres plus ou moins profitables, tout aussi recherché que
s'il en ménageait de moins pures.
Peu de chasses offrent un tir plus fréquent et moins
troublant que celle du lapin dans de jeunes tailles encore assez naïves pour ne
pas prendre du plaisir à gâter celui des chasseurs. Ceci à la condition de ne
point oublier que le chien est le pion principal de la chasse au chien d'arrêt,
pratiquée dans les bois ; que son appartenance à l'espèce est une chose,
et que son dressage en est une autre.
Hors de cette règle, les coups de fusil se raréfient ou
l'existence du chien est continuellement en danger.
Sur ce terrain, le tir du lapin, en général, s'apparente à
celui dont nous avons précédemment parlé, sur un sol plus ou moins fourré à peu
près dénué d'arbres. Au chien d'arrêt, il se complique du cérémonial d'usage
pour dégîter, réclamé par le maintien d'une éducation soignée dont le
classicisme l'emporte sur la commodité. Le devoir qu'on se crée d'agir, devant
l'immobilité sacrée du chien, se solde neuf fois sur dix, comme on le sait, par
un déséquilibre du corps dont le tir a souvent bien du mal à se remettre.
Le remède consiste à s'imposer la compagnie d'un aide qui
donne le départ au gibier, quand toutefois la continuité d'une présence autour
de soi ne vous porte pas sur les nerfs. C'est, en somme, acheter son équilibre
de position moyennant sa tranquillité. Affaire de goût et de possibilités à la
fois. Il est plus simple de limiter l'assistance à celle d'un chien qui ne vous
abreuve pas de conseils, mais qui force au commandement, sans poursuivre. Plus
difficile aussi. Cela se mesure à la rareté des chasseurs capables de hausser
et de maintenir leur chien à l'étage de cette obéissance intelligente ou routinée.
Les vraies difficultés du tir commencent, en réalité, avec
la marque particulière que leur imprime le bois quand il est lui-même,
c'est-à-dire sans coupes, ou lorsqu'il commence à le redevenir. Difficultés de
mouvements, redisons-le encore, parce que le tir au bois, aussi bouché qu'il
apparaisse, est moins délicat et moins compliqué que le tir dans l'espace nu.
Cette affirmation peut sembler absurde et paradoxale, elle
n'en est pas moins vraie. Une abondance d'obstacles, aussi susceptible
soit-elle de limiter la vue à courte distance, est plus favorable à la
direction du tir justement parce qu'on trouve un repère dans sa multiplicité.
On tire sur un but placé devant ou derrière quelque chose, et non pas sur un
objectif dont rien, sinon sa grosseur, ne situe l'éloignement approximatif.
Nous nous sommes suffisamment, déjà, expliqué là-dessus.
Il n'en va pas de même en ce qui concerne l'efficacité des
plombs parce que leur passage peut être gêné ou arrêté par les diverses
barricades que la nature sait, si tranquillement, leur opposer. C'est là que gît
le nœud de la question. La réussite dépend, pour beaucoup, de la manière dont
on envisage la situation. Pencher à l'espérance, ou au découragement, ne la
tourne pas dans le même sens.
Certes le déroutement des plombs est nuisible, et leur arrêt
bien davantage. Plus on raisonne, plus cela semble certain. Plus on agit, plus
on constate combien les choses tiennent d'accommodements en réserve, que la
sagesse se refuse à prévoir. En cette matière, on reçoit de l'impossible
quelques démentis qu'on voudrait se voir infliger fréquemment. Alors qu'on tire
à tout hasard sur une pièce déjà masquée, paraissant invulnérable : on la
tue. Selon toute vraisemblance, on n'aurait pas dû l'atteindre ; mais on
la ramasse tout de même.
Comme il faut croire uniquement ce qu'on voit, même, comme
le prouve le cas présent, lorsqu'on ne voit pas ce qu'on vise, les actes
semblent prouver que la clef du tir, au bois, est le rejet de toute hésitation.
Le loisir ne vous est pas donné de peser les décisions ; on doit,
immédiatement, agir sans s'inquiéter des résultats. Donc, pour en obtenir, il
faut les chercher et, par conséquent, tirer beaucoup. Le souci de la galerie
doit être écarté sans pitié. Plutôt que prévaloir, il a meilleur compte d'aller
rejoindre, dans la catégorie des choses sérieuses, le coup de frein qu'il est
indispensable de donner à l'amour-propre qu'on se réserve à soi-même sans en
faire étalage.
Il faut tirer de bon cœur avec l'élan irrésistible dont on
use si volontiers pour commettre une sottise : on s'en trouve souvent
récompensé.
Le comportement du chien est d'une importance extrême pour
l'apprentissage de ce tir qui tient singulièrement du va-tout. Un chien, dont
l'intelligence dirige l'amour du rapport, qu'on voit revenir avec un lapin dans
la gueule, vous met devant un fait précis, qui vous ouvre des horizons d'un
éclairage inattendu quant aux effets d'un coup de fusil sur lequel on ne
comptait point. Il en résulte une mise en confiance qui consacre l'utilité du
risque. Ensuite, la certitude de ne pas perdre la pièce touchée à mort devient,
dans une occasion similaire, un encouragement sans quoi toute tentative de ce
genre est inutile et malencontreuse. Dans ces conditions, mais dans ces
conditions seules, il n'y a plus qu'à pousser de l'avant. L'expérience acquise
par l'entraînement fait le reste.
La seule pratique opportune pour ce tir caractérisé est
celle du coup jeté le mieux qu'on peut sur le point qu'on estime le bon, ou
dans la direction probable.
Comment s'y prendre ? Là plus que jamais, avec les
moyens physiques et moraux dont on dispose. Toutes les méthodes sont bonnes, et
celle qui le favorise est la meilleure pour celui qui l'emploie. Il n'en reste
pas moins certain que la façon d'opérer où l'on ne cherche pas du tout à viser
se montre la plus raisonnable.
Le principal de l'affaire réside dans l'esprit de décision,
voire d'impulsion, trop rapide pour que le raisonnement le prévienne. Cet
esprit-là excite la rapidité, des gestes, et le coup part pour ainsi dire tout
seul vers l'endroit qu'il a jugé propice.
Il y va, si rien ne retarde la besogne du fusil :
couche mauvaise, ou détentes trop dures. Il y arrive, si le destin des plombs
n'est point d'être interceptés ou détournés en route.
Le tir du lièvre et du lapin au bois est désavantagé par
rapport à celui de la plume, parce que le rideau des arbres croît en
s'épaississant vers le sol, alors qu'il s'affine en montant. Là où la charge ne
rencontrant que des branchettes brise, traverse ou se faufile, elle n'est que
trop souvent impuissante devant le tronc des arbres et le pied des arbrisseaux.
Si encore ce tir du petit gibier à poil offrait une plus
grande facilité d'épaulement par le fait de braquer les canons vers le sol, il
prendrait une petite revanche ; mais, dans la généralité des cas, il n'en
est rien. Il serait néanmoins imprudent d'en conclure que le tir de la plume au
bois est un jeu d'enfant à côté.
Raymond DUEZ.
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