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Le demi-siècle cycliste

Interviewé à la radio, Georges Duhamel, académicien, médecin et musicien, a, en sept points, dressé le bilan mélancolique du demi-siècle. J'ai, notamment, retenu que les physiciens y avaient été dépassés par les résultats de leur œuvre ... Hélas !

Il ne servirait pas de détruire ce qu'ils nous ont fabriqué pour retrouver la sérénité qui nous manque ... Nos cerveaux en sont trop pénétrés. Tant pis ...

Le projectile guidé, la désintégration de l'atome ont, dorénavant, la parole ... après d'autres trouvailles.

À cette fin perpétrée s'oppose, malencontreusement, l'accroissement des populations, comme si, pour mieux mourir — a dit l'auteur — l'espèce humaine s'agglutinait.

La race noire, dans le même moment, obtient le pas sur la race blanche ; ce qui nous vaudra, peut-être, à défaut de cataclysme terrestre, d'être, un jour, expédiés vers les déserts.

Tant mieux !

À elle — la race noire — de goûter à la délicate civilisation des visages pâles ...

À nous, la forêt vierge et la chasse aux fauves ... À nous, la cabane bambou ... À nous, les ampoules aux quatre pieds ... car il va sans dire que, tout orgueil absent, nous irons à quatre pattes, comme à l'origine, sans doute ...

Nous n'aurons plus, dès lors, qu'à inventer la bicyclette pour améliorer notre marche dans l'immensité des déserts, sans malmener notre position horizontale.

... Et à inventer la route ...

Les deux choses les meilleures ici-bas ...

Le premier demi-siècle, donc, va, enfin, expirer officiellement. Car nombre de censeurs l'ont déjà exécuté. Exactement depuis le 31 décembre dernier, comme s'il n'avait point fallu attendre douze mois pour consacrer l'an 1 de notre ère ...

Cela aura été le mal de ce demi-siècle d'aller vite, toujours plus vite ; d'arriver avant de partir et, pour ce faire, d'informer avant de savoir, de conclure avant d'étudier, de mépriser la raison.

Retenons, en ce qui nous concerne, que le cyclisme en ces cinquante années a été comblé mécaniquement.

Du vélo de Garin à celui de Louison Bobet, de la « touriste » de Vélocio ou de Maurice Martin à celle de nos modernes cycles, il n'est aucune comparaison à espérer ... encore que bien des réalisations de ces dernières années avaient déjà pris corps à l'époque où Ruffier était un jeune gandin.

Les coureurs ont amélioré leurs moyennes dans l'ordre du tiers ou du quart ... Ils sont passés, en chiffres ronds, du 30 au 40 à l'heure dans les courses sans entraîneurs ... du 25 au 31 dans le Tour de France ...

Certes ! ils roulent parfois à 50 ... mais ça ne dure pas ...

Cette fraction en mieux, compte tenu de l'amélioration étonnante de l'état des routes et de celle aussi étonnante apportée au matériel (ainsi qu'à la façon de courir), paraît maigrelette.

Elle l'est en effet ... puisque le cyclotouriste, lui, a pu passer — presque — du simple au double entre la moyenne réalisée par ses chevaliers du « frein avec le pied » en 1900 et ses rois du short et de la manette en 1950.

C'est donc que le coureur cycliste se produit trop et ne se soigne pas assez ... C'est donc qu'il pratique plus en artiste qu'en coureur (et qu'il risque d'y laisser, avec sa renommée, sa raison d'être ... ce qui n'est pas l'objet de notre chronique).

Où alors nos ancêtres, les Garin, Bouhours et consorts étaient toujours à fond ... cependant que nos merveilles actuelles peuvent se permettre d'exquises fantaisies. (Je ne cite pas celle de la baignade du peloton à Sainte-Maxime, tant il est vrai que, dans le Tour de France, quelques pièces, parfois, furent jouées sans que pour cela la grande boucle en perdît sa valeur et son attrait sportif.)

Notons que, sur piste, le demi-siècle ne nous a apporté du sensationnel que dans le record de l'heure.

En sprint, les 200 mètres classiques se sont insensibilisés aux assauts de nos gazelles modernes, les Gérardin, Verdeun et consorts, contre les temps des « ex », les Morin, Poulain, Pouchois, Hourlier, Friol et autres Michard et Faucheux.

La technique constructive de nos anneaux vélodromesques n'a que peu varié. Les vélos se sont allégés ; ils sont plus ramassés ; les positions ont varié, mais le rendement mécanique proprement dit n'a pas tellement évolué, sans doute.

Abstraction faite, volontairement, du moteur auxiliaire — et tout en pensant qu'il est appelé à transformer pendant un temps (1) l'usage de la bicyclette — si nous devions désigner l'accessoire qui marqua le plus de son empreinte évolutive ce premier demi-siècle, c'est au dérailleur qu'irait notre choix.

En égalisant les valeurs — je l'ai déjà dit — il a fait du mal à la compétition routière. Par contre, quel bienfait n'apporta-t-il point au touriste et au travailleur, en permettant aux moindres capacités d'utiliser le vélo dans la facilité.

Tout laisse à penser, au surplus, que le dérailleur n'a pas fini de nous étonner. Bientôt, il passera d'un pignon sur l'autre sans détruire sa ligne de chaîne ... ce qui sous-entend que ce seront les dents qui viendront l'inviter à se poser où il faudra ... Un jour, enfin, on trouvera un système qui permettra de dérailler en pignon fixe, ce qui serait le fin du fin ...

Parmi les applications sportives données au vélo, en dehors de la compétition orthodoxe et du cyclotourisme, retenons :

Le demi-fond, sorte de course derrière une motocyclette où le rôle de l'entraîneur est particulièrement transcendant.

Le cyclo-cross, qui a été suffisamment présenté ici.

Le polo à bicyclette, dérivé du polo à cheval et pratiqué selon le même principe. Cette spécialité comporte un championnat de France. Ce sont des équipes bordelaises, havraises, toulousaines et parisiennes qui s'y adonnent le plus.

Le cycle-ball, pratiqué en salle à deux contre deux. Ce jeu consiste à manœuvrer une balle au moyen des roues ... Essayez ! Nos chers Alsaciens sont nos meilleurs représentants et luttent avec ferveur contre les Suisses (champions du Monde) et avec succès contre les Belges, Danois, Hongrois, Autrichiens, Tchécoslovaques, etc. ...

L'hydrocyclisme : l'engin consistait en un bicyclette juchée sur deux flotteurs, le tout actionné par une hélice, elle-même tributaire d'un rationnel pédalage. L'hydrocycle a disparu ... que le pédalo a remplacé sur toutes nos plages, lacs et rivières.

Le patinage sur le vélo-glace ! L'invention de Henri Bréau, qui avait substitué un patin à la roue avant, permettait de tracer les meilleures figures sur la glace. Nous en usâmes en compagnie de renommés champions professionnels, il y a moins de vingt ans. On n'en parle plus.

Citons la bicyclette à pédalage horizontal et celle à traction avant parmi les transformations (qui pourraient encore être heureuses) qu'a subies la bicyclette depuis 1900 ... et retenons que des essais aventureux furent tentés sur les manivelles pour une extension et une rétraction automatiques. Attendons, toutefois, de la pédale sans axe une meilleure rotation des pieds autour de l'axe du pédalier.

La fin du demi-siècle voit évoluer la tige de selle à avancement du Dr Ruffier, émule — ou éducateur — de Gaston Rivierre ; la commande de dérailleur en bout de guidon de Souhart ; le double plateau course (et bientôt triple) avec dérailleurs ; la selle de moins en moins large où ne s'écrase plus l'assiette ; le blocage des roues.

Enfin la chaîne au pas de 12,7 éclipse petit à petit, sur piste, celle au pas de 25,4. Pour les néophytes, disons qu'il s'agit de la chaîne à rouleaux (dite chaîne de route), au détriment de la chaîne à blocs.

Il n'est pas inutile de préciser encore que le cinéma (à défaut de la cellule photo-électique, incapable de saisir l'épaisseur d'un boyau) et l'électricité (par ampoules alternatives verte et rouge) sont venues au secours des juges pour l'arrivée des courses de vitesse et des courses poursuite. Nous n'avons rien dit de ces dernières, qui sont, vraisemblablement, les plus sportives de toutes les joutes cyclistes, mais aussi les plus épuisantes.

Le second demi-siècle donnera des ailes à la bicyclette ...

L'aviette est à nos portes.

Autant dire que le moteur adjuvant, que les purs redoutent et que les réfléchis désirent, apportera là un tribut réel à la bicyclette ...

Nous serons peu, à la sortie, à pédaler encore de notre propre force musculaire.

Ce sera déjà bien d'y être ...

René CHESAL.

(1) Note de l'auteur. — Je ne puis me dispenser de rapporter la phrase d'un habitant des campagnes, entendu au Salon : « Il faudra que le cyclo-moteur puisse rouler dans la boue et demeurer sans soin ... comme le vélo ordinaire.

Le Chasseur Français N°646 Décembre 1950 Page 729