Le Palais des Sports, à Paris, vient d'être le théâtre
de magnifiques démonstrations de patinage artistique, qui nous ont donné
l'occasion de faire connaissance avec les récentes améliorations de la
technique de cette spécialité, qui tient à la fois du sport et de l'art, et qui
nécessite pour ses virtuoses des qualités athlétiques de premier ordre mises au
service de la musique et de la danse.
Si le nombre des patineurs artistiques est très limité,
c'est précisément parce que la réunion de ces conditions n'est pas à la portée
du premier venu, et aussi parce que, pour parvenir à une « classe »
supérieure, il faut consacrer à l'entraînement tant de temps que cela n'est
guère accessible qu'aux professionnels.
Lorsqu'on s'efforce d'analyser les gestes de ces virtuoses,
on aboutit à cette conclusion que ce qui constitue la différence fondamentale
entre le patinage ordinaire (promenade ou course), lequel consiste en une
progression vers la ligne droite, et le patinage artistique, c'est que, dans ce
dernier, l'obstacle à vaincre est la force centrifuge.
Or les deux moyens de vaincre celle-ci sont d'une part la
force vive, d'autre part la force d'inertie.
La force d'inertie d'un corps dépend de son propre poids et
ne le quitte jamais, même au repos. Elle est égale à la résistance qu'il nous
oppose quand nous cherchons à le déplacer. Au repos, cette force, pour un même
corps, ne varie pas.
L'effort que nous produisons pour le déplacer n'est jamais
perdu ; il est emmagasiné par lui, puis restitué progressivement avec la
même puissance et dans la même direction. C'est là sa « force vive ».
Si nous cherchons à arrêter ce corps avant qu'il n'ait
amorti toute cette puissance accumulée, il nous faudra produire un effort
inverse correspondant à la force qui lui reste.
Par exemple, si, poussant un véhicule en restant accroché
derrière lui, vous ne faites pas, pour l'arrêter rapidement, un nouvel effort
inverse correspondant au premier diminué de ce qu'il a déjà perdu, vous êtes
entraîné par lui, même s'il est beaucoup moins lourd que vous, et avec une
vitesse d'autant plus grande qu'il sera plus lourd. C'est aussi ce qui se passe
lorsque, frappant d'un coup de pied une balle, si vous la manquez, la force
vive que vous aviez imprimée à votre pied vous entraîne tout entier, et cela
d'autant plus que cette force vive de propulsion aura été plus grande. Plus le
lancement de jambe est rapide, plus il sera capable d'entraîner le reste du
corps.
Tel est le cas dans le patinage artistique (patinage « de
figures ») : tout corps en mouvement quittant la ligne droite subit
l'effet de la force centrifuge qui tend toujours à l'y ramener, et elle
s'accroît avec la vitesse progressivement, selon une loi comparable à celle qui
régit la chute des corps dans le vide, toutes proportions gardées.
Sur la glace, les choses se passent, au degré de résistance
près entre le frottement dû à la résistance de l'air et celui dû à l'adhérence
de la glace, comme dans le vide.
Le patineur doit donc, dans un premier temps, par une
poussée d'intensité calculée selon la figure à dessiner, acquérir la force vive
qui lui permettra de parcourir la distance prévue, et la force centrifuge sera
exactement correspondante à l'intensité de l'effort déployé.
Dans un deuxième temps, il devra rétablir, en se laissant
tomber du côté opposé, l'équilibre très instable où il se trouve dans ces
conditions, combattant la force centrifuge par l'action de sa propre pesanteur.
Entre ces deux forces, l'une en direction horizontale (centrifuge), l'autre en
direction verticale (pesanteur), s'établira une « résultante », qui
fixera à la fois l'équilibre et l'attitude recherchées.
Et si le patineur ne se relève pas quand la vitesse diminue,
il ne tombera pas (à condition qu'il ait acquis une certaine expérience), car,
sur la glace, le patin décrit automatiquement une courbe dont le rayon diminue
progressivement, formant une spirale, exactement comme le cerceau de notre
enfance, quand sa vitesse n'est plus suffisante pour le maintenir en position
verticale.
Dans cet apprentissage du dosage du renversement et du
redressement du corps selon la nécessité, c'est-à-dire selon l'augmentation ou
la perte de vitesse, réside tout l'art du patineur. Lorsqu'il l'aura acquis,
ses progrès seront rapides et toutes les fantaisies que lui inspire son sens
musical et chorégraphique lui seront permises.
Et, si j'osais une comparaison un peu hardie, je serais
tenté de dire que l'évolution du patineur sur la glace s'apparente à celle du
plus lourd que l'air dans le vol à voile.
Dr Robert JEUDON.
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