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Où va le camping ?

Au moment où 1950 s'apprête à entrer dans le domaine des souvenirs, il nous paraît intéressant de faire le point.

Dans l'année qui vient de s'écouler, le camping s'est encore développé de façon considérable. Il est bien difficile d'évaluer le nombre exact des personnes qui ont cette année pratiqué le camping. D'après les informations recueillies auprès des fabricants de matériel, certains chiffres ont été avancés, variant de 500.000 à un million. Ces chiffres sont-ils fantaisistes ou approchent-ils de la vérité ? Je crois pour ma part qu'en prenant la moyenne on doit arriver à une approximation à peu près exacte.

Est-ce à dire qu'il y a en France 750.000 campeurs ? ... Voilà bien une question qui pose une foule de problèmes !

Avant tout, je prends position et je réponds tout de suite non à la question posée. Si 750.000 personnes ont, cette année, fait du camping, il n'y a pas là-dessus 750.000 campeurs, loin de là. Comment évaluer le nombre de ces derniers ? Cela est plus facile. Il y a d'abord tous ceux qui sont groupés au sein de la Fédération française de camping. Cette dernière contrôlait, fin 1949, 140.000 campeurs. Je n'ai pas encore le chiffre officiel pour 1950, mais je l'évalue à 180.000. Il y a ensuite les campeurs appartenant à des associations non fédérées, disons 50.000. Cela fait 230.000 campeurs, membres de clubs ou d'associations qui ont spontanément accepté la discipline amicale en usage et qui, par l'exemple de leurs camarades, par la revue de leur club, sont tenus au courant de la réglementation en vigueur et du savoir-vivre du campeur.

Faut-il dire qu'il ne se trouve pas de campeurs dans les 520.000 qui restent ? Non, car cela serait faux. Dans ces 520.000, il y a des milliers de bons, d'excellents campeurs. Tout d'abord, il y a les scouts, que je classe d'ailleurs un peu à part, car, en dehors des routiers, ils ne pratiquent pas, en général, le camping individuel. Puis il y a une immense foule de campeurs « sauvages », comme disent nos amis anglais, qui n'ont pas désiré ou ne voient pas l'utilité de faire partie d'une association. J'en connais pour moi-même quelques-uns qui sont de parfaits camarades. Mettons, pour être large, que cela représente encore 250.000 bons campeurs. Il n'en reste pas moins vrai que 250.000 personnes ont cette année fait du camping et à qui je refuse — pour l'instant — le titre de campeur !

Or c'est d'eux qu'est venu tout le mal. Ils sont — souvent involontairement d'ailleurs — la cause des attaques qui se sont déclenchées cet été contre le camping ! Car il est un fait que 1950 aura vu des attaques violentes contre le camping ! Cela était prévisible étant donné son succès foudroyant. L'industrie hôtelière, certaines municipalités de villes touristiques se sont émues de l'afflux des campeurs. Les maires ont saisi les préfets, et une masse d'arrêtés sont venus restreindre la liberté du camping. Fort heureusement, une circulaire édictée par la Direction de la jeunesse et des activités de plein air a permis d'éviter de trop grandes dissemblances entre ces arrêtés ; cependant il en subsiste encore, et cela est navrant, car, ainsi, la réglementation du camping n'est pas uniforme, et le malheureux campeur se trouvera — si on n'y porte pas remède — devant une réglementation différente dans chaque département.

J'ai dit un peu plus haut que le mal était venu, dans l'immense majorité des cas, du fait de personnes pratiquant le camping sans être des campeurs. Voilà une discrimination bien obscure, me direz-vous. Aussi vais-je m'expliquer. Avant tout, qu'on ne m'accuse pas de vouloir dresser l'un contre l'autre deux groupes de gens pratiquant le camping : les campeurs et les ... autres. Mais il est un fait que ces deux groupes existent.

On n'est pas « campeur » dès que l'on a acheté une tente et du matériel de popote. Ce titre, on l'acquiert au bout d'un certain temps de pratique, après avoir campé avec d'autres campeurs confirmés.

Il y a une technique du camping à apprendre : savoir monter sa tente correctement, savoir aménager son terrain, ranger son matériel, etc., etc. Mais il y a aussi des règles de savoir-vivre. Le campeur confirmé, au cours de rallyes, de camps en commun, de sorties de week-ends avec une équipe de bons copains, en applique les principes sans même y penser. Il a pris l'habitude de respecter le silence de la nuit, le sommeil de ses voisins; il sait qu'un camp ne doit pas avoir l'aspect de la zone, que l'étalage intempestif de vêtements ou de sous-vêtements est une affreuse injure au paysage. Le vieux randonneur aime la nature, les plantes, les animaux. Il est l'ami du paysan qui l'a autorisé à s'installer sur son champ ... Et le campeur sait le danger qu'il peut y avoir à allumer inconsidérément un feu de cuisine ... Presque tous les campeurs confirmés ont adopté le réchaud portatif, mais, lorsqu'ils se décident un jour à allumer un feu de bois pour griller un beefsteak, ils savent qu'un tout petit feu est suffisant et qu'il n'y a pas besoin d'allumer un feu de joie. Ils savent aussi que, dans ce cas, ils ne quitteront pas le camp sans avoir enterré ou noyé les cendres derrière eux ...

Aussi les réclamations que nous avons connues cette année ne se sont-elles adressées qu'exceptionnellement à de véritables campeurs ! Il n'en a pas été de même, hélas ! pour ceux qu'un confrère a nommés « les francs-tireurs du camping » et que je nommerai plus gentiment les néophytes ...

Néophytes ! ils l'étaient bien en effet, tous ces braves gens qui se sont sentis une âme de campeur quinze jours avant leur départ en vacances. Au hasard des annonces publicitaires, ils se sont empressés d'acheter un matériel quelconque, souvent très bon marché, et, pour éviter des frais, ont décidé d'emporter de la maison des ustensiles de ménage : poêles, casseroles, chaises et même, comme je l'ai vu de mes propres yeux, seau hygiénique. Il est facile d'imaginer le déballage que cela pouvait produire. Tous ces néophytes ont cru d'autre part que la campagne était à eux, que le camping signifiait liberté totale. Sont-ils vraiment fautifs ? Certes non, car on ne peut savoir quelque chose sans l'avoir appris ! Beaucoup — à part ceux qui sont mal élevés et le resteront toute leur vie — ont péché par ignorance et ne demandent qu'à être éclairés. Ils ont vu, au cours de leur premier camping, des campeurs, des purs, et au fond d'eux-mêmes ont fait la comparaison ...

Mais il n'en reste pas moins vrai qu'ils ont causé un grand tort au camping en général et aux campeurs en particulier. Tous les adversaires en ont profité pour généraliser et mettre dans le même sac campeurs et apprentis-campeurs ...

Le résultat navrant est que le camping est menacé. Tant pis pour la santé physique et morale de centaines de milliers de Français ...

Jacques-J. BOUSQUET,

Président du Camping-Club de France.

Le Chasseur Français N°646 Décembre 1950 Page 734