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La régénération des prairies

Une prairie (le mot étant pris ici dans le sens large et comprenant aussi bien les prairies de fauche que les pâtures) ne dure pas éternellement, ou tout au moins voit son rendement diminuer, ainsi que sa qualité, chaque fois qu'une circonstance défavorable vient agir sur sa végétation et sur la flore qui la constitue.

Au nombre de ses ennemis, il convient de citer, en premier lieu, les sécheresses prolongées, type 1949, ainsi que les hivers trop pluvieux, qui recouvrent la prairie d'eau stagnante. Dans les deux cas, ce sont les plantes rustiques qui prennent le dessus et tendent à se substituer aux essences de choix. Quantité et qualité sont affectées par ce phénomène naturel contre lequel il convient de lutter par des soins assidus et constants. Parmi les plus importants figurent les travaux d'assainissement, d'autant plus indispensables que la prairie est plus facilement submergée.

S'il est commun de labourer, de retourner et d'aérer la terre pour effectuer les diverses cultures, on oublie trop souvent que le travail du sol des prairies est lui aussi nécessaire, et, s'il ne saurait être question, dans la pratique courante, de les labourer, il devrait être habituel de les herser énergiquement et même d'employer de temps à autre des appareils capables de travailler le sol plus profondément, genre régénérateurs. Il ne faut pas oublier que le sol a besoin d'oxygène pour assurer les transformations chimiques qui rendront assimilables les principes nutritifs qu'il contient et pour permettre une vie microbienne intense qui conditionne la vie et la prospérité des plantes.

Une prairie abandonnée à elle-même devient vite acide, la nitrification ne se fait plus qu'au ralenti, et l'azote organique s'accumule, inutile. Au travail du sol, il faut alors associer le chaulage, qui ramènera le ph à un chiffre normal.

La végétation des légumineuses, élément de qualité, sensibles à l'excès d'acidité, se fera dans de meilleures conditions, et cela paiera les frais de l'opération. Notons, au passage, que le purinage, opération qui donne d'excellents résultats, a cependant l'inconvénient de fermer la terre et de l'acidifier. Il devra donc être compensé par des hersages et, éventuellement, par un apport de chaux ou, tout au moins, d'engrais à base de chaux, comme les scories de déphosphoration.

Mais il arrive que ces travaux d'entretien ne suffisent pas. C'est le cas, notamment, quand la prairie a été trop longtemps négligée et qu'il serait très long, sinon vain, d'espérer qu'elle puisse s'améliorer spontanément ; c'est le cas aussi quand elle est envahie de parasites tels que les douves ou les strongles. Il faut alors recourir aux solutions énergiques et se décider à la retourner. Ce sont des frais importants et, là où on utilise la traction animale, un gros travail. On l'effectue souvent en deux fois. On commence par décaper la couche superficielle rendue résistante par l'enchevêtrement des racines, puis on attaque ensuite le sol dans toute sa profondeur. Avec l'excédent de puissance que donne le tracteur, le travail est simplifié et ne présente plus de difficultés.

Il ne saurait être question de réensemencer immédiatement la prairie, mais on la laissera en culture pendant quelques années au cours desquelles on fera des pommes de terre, de l'avoine, du blé, puis une avoine ou une orge qui servira d'abri aux pousses délicates de la nouvelle prairie.

Dans ce sol bien aéré, l'azote accumulé pourra se transformer, la vie microbienne ralentie connaîtra un nouvel essor et, pour peu qu'on prenne la précaution d'apporter l'acide phosphorique et la potasse nécessaires pour équilibrer la fumure, on pourra espérer des récoltes très profitables et des conditions favorables à la végétation de la nouvelle prairie.

Divers procédés sont en usage pour cette opération. On ne saurait trop condamner celui qui consiste à utiliser des fenasses, même si elles proviennent d'un tas de foin de très bonne qualité. C'est que leur composition n'a aucun rapport avec ce foin, et elles seront constituées essentiellement de houque laineuse et de plantain, qui n'ont guère d'autre qualité que leur rusticité. Ce ne serait pas la peine de défricher une prairie pour la reconstituer aussi mal.

Certains se contentent de semer une luzerne et la laissent s'enherber naturellement. Le procédé est économique et permet, dès le début, d'avoir une masse importante de fourrage, mais il ne saurait donner une prairie de qualité, car les plantes qui remplaceront spontanément la luzerne seront bien rarement celles qu'on désirerait rencontrer.

La seule solution à conseiller est celle qui consiste à semer exactement les graines des plantes dont on veut voir se couvrir la prairie. On objectera que la végétation spontanée aura toujours tendance à reprendre le dessus et à se substituer au semis effectué. Peut-être, mais, si la prairie est régulièrement entretenue, elle gardera longtemps sa qualité et même ne la perdra jamais entièrement. Certaines essences délicates ou tardives, qui seraient incapables de s'imposer seules, arriveront à se maintenir une fois installées.

Deux méthodes s'offrent pour le choix des plantes, qui doivent, évidemment, être fonction de la nature du sol, de la destination de la prairie et du climat. La plus simple consiste à acheter un des mélanges offerts par le commerce. L'autre est de faire ses mélanges soi-même. C'est la plus recommandable et la seule qui permette de semer exactement ce que l'on veut. Elle est généralement plus coûteuse que l'autre. Sur l'ensemble des frais nécessités par cette reconstitution, c'est bien peu de chose.

S'il est nécessaire de soigner et de fertiliser les vieilles prairies, il apparaît encore plus important de surveiller attentivement les jeunes, afin de leur garder leurs qualités et d'en obtenir le maximum de rendement. Il n'y a pas de bétail de qualité avec des fourrages médiocres, et tout effort de ce côté se traduit rapidement par des profits fort importants, susceptibles de se poursuivre pendant de longues années.

R. GRANDMOTTET,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°646 Décembre 1950 Page 741