Accueil  > Années 1950  > N°646 Décembre 1950  > Page 742 Tous droits réservés

Le chêne de qualité

Dans un précédent article (n° 637 de mars 1950), nous avons donné les caractères des bois de chêne de qualité exceptionnelle, pour le tranchage et le déroulage, et des bois d'ébénisterie. Nous avons indiqué que ces bois ne pouvaient être produits que dans des conditions déterminées de climat et de sol, et en appliquant des règles de culture précises. Les bois de qualité sont généralement produits par le chêne rouvre, qui préfère les sols silico-argileux, pas trop compacts et bien drainés. Les meilleurs bois de chêne sont produits dans les forêts du Centre de la France : Allier, Cher, Indre-et-Loire, et en Normandie, du Maine-et-Loire à l'Orne, mais il existe aussi d'excellents crus de chêne en Bourgogne et dans l'Est de la France. Le chêne rouvre est sensible aux gélivures, fentes radiales du fût produites, semble-t-il, par l'action du froid conjuguée avec l'influence d'un excès d'eau dans le sol. Les climats trop chauds, les sols trop riches, en favorisant sa croissance en volume, diminuent sa qualité.

Mais, indépendamment des facteurs de climat et de sol, la production du chêne de qualité dépend surtout de l'influence humaine. Seul le régime de la futaie permet d'obtenir réellement du bois de qualité exceptionnelle. Nous savons bien qu'on tranche ou qu'on déroule des chênes champêtres et des arbres de taillis sous futaie, mais il est incontestable que les placages obtenus ont moins bel aspect et moins belle qualité que ceux obtenus avec des arbres de futaie (leurs accroissements sont trop larges et, surtout, trop irréguliers).

Bien entendu, c'est le traitement en futaie pleine régulière qui convient à la fois pour satisfaire aux exigences en lumière du chêne et pour obtenir des accroissements annuels réguliers. Pour obtenir les gros arbres recherchés par les utilisateurs, il est nécessaire d'adopter une révolution longue (on sait que la révolution est l'intervalle de temps qui sépare deux mises en régénération successives). Dans le cas du chêne rouvre, destiné au tranchage, on adopte des révolutions de deux cents à deux cent quatre-vingts ans. Pendant cette longue période de temps, toutes les opérations sylvicoles seront effectuées en songeant toujours à la production des bois de qualité.

Dans les régénérations, on recépera les jeunes sujets de mauvaise forme, afin d'éviter la production d'arbres ayant le cœur ondulé ; on luttera ensuite contre les charmes et les bois blancs, risquant d'étouffer les chênes ou de leur donner une mauvaise conformation. On s'efforcera d'obtenir des fourrés, puis des gaulis denses, dans lesquels hêtres, charmes et autres essences secondaires seront maintenus à l'état dominé sous les chênes. La densité du jeune peuplement et la présence d'un sous-étage, ombrageant les fûts des chênes, assureront un élagage naturel de ceux-ci, bien préférable à l'élagage artificiel des branches vivantes, porte ouverte aux altérations.

Tiges droites, bien élaguées, tel sera le souci dominant du sylviculteur quand le peuplement sera à l'état de gaulis et de bas perchis. Le peuplement contient à ce moment-là beaucoup plus de tiges qu'il n'y en aura dans la vieille futaie adulte. C'est le moment de repérer les tiges d'élite, futurs grands arbres de la futaie, et d'enlever, au cours des éclaircies, tout ce qui les gêne (arbres mal conformés et arbres d'essences secondaires qui risquent de les dominer ou qui, placés trop près, entravent leur croissance et rendent leur cœur excentré). Enlever aussi les arbres fouets, jeunes brins flexibles qui, sous l'action du vent, viennent frotter les tiges d'élite et risquent de les tarer. Au contraire, on maintiendra scrupuleusement tous les brins dominés, en particulier les essences d'ombre qui, entourant les fûts des tiges d'élite, empêchent la formation de gourmands et de branches, source de nœuds. C'est une grave erreur, malheureusement fréquente, que de procéder, comme le font beaucoup de propriétaires de forêts, au recépage du sous-étage dans de jeunes peuplements dont on voit immanquablement les fûts se couvrir de gourmands et dont, par conséquent, le bois se remplit de nœuds.

Évidemment, le sous-étage grandit, et les essences d'ombre, comme les hêtres, ont tendance à passer au travers de la cime des chênes pour les dépasser. Quand le peuplement de chêne a atteint l'âge de la moyenne ou de la vieille futaie, cette ascension du sous-étage d'essences d'ombre peut amener la mort de grosses branches dans les cimes des chênes d'élite. On aperçoit alors ces cornes de bois mort si fréquentes chez les vieux arbres. La chute d'un arbre voisin ou le vent peuvent les casser au ras du tronc. Si elles sont tournées vers le côté de la pluie, les sections ainsi ouvertes se transforment en gouttières. Diverses pourritures peuvent s'y installer, qui gagnent le cœur. Pour éviter cela, il faut renouveler le sous-étage d'essences d'ombre en le cultivant pour en faire une sorte de peuplement jardiné, les arbres ayant tendance à devenir trop grands étant remplacés, naturellement ou artificiellement, par des plus jeunes. Pour bien faire, il faudrait, sous la futaie pleine régulière de chênes, avoir une futaie jardinée dominée d'essences d'ombre.

Il faut penser, dans ces peuplements de futaie, à la santé des arbres d'élite. Il faut cesser de cultiver du bois pourri comme on le fait trop souvent. Si de nombreux utilisateurs se détournent du matériau bois, c'est parce qu'on leur livre des arbres pleins de nœuds, de roulures, de fentes ou d'altérations diverses. Il importe donc, dans les futaies, de faire la chasse aux champignons, cause d'altérations, et avant tout de maintenir le sol sain. Dans nos forêts, on trouve partout la trace d'anciens fossés de drainage créés par nos ancêtres et qu'on n'a pas entretenus par négligence ou dans un but d'économie, la rentabilité de l'opération ne sautant pas aux yeux. Le sol, primitivement sain et filtrant, devient compact, humide ou marécageux, conditions très favorables aux pourritures blanches et rouges du pied qui font perdre de nombreux mètres cubes de bois de qualité, aux gélivures qu'accompagnent souvent les roulures, sources de déchets, à la « queue de vache », altération grave qui semble monter le long des fentes de cadranure ou du cœur étoilé des vieux arbres, etc. ... Nous ne saurions donc trop recommander la création et l'entretien des fossés d'assainissement dans les futaies de chêne. Un simple calcul prouvera leur rentabilité.

Les éclaircies pratiquées dans les hauts perchis et dans les jeunes, moyennes et vieilles futaies, éclaircies toujours régulières et toujours prudentes pour ne pas créer d'irrégularités dans les accroissements annuels et éclaircies respectant et renouvelant le sous-étage, ont amené la futaie adulte à une densité inférieure à cent cinquante tiges d'élite par hectare. Les arbres ainsi placés ont des cimes régulières et bien développées, et ils sont tout à fait aptes à se régénérer naturellement si le sol a, de son côté, été maintenu en bon état, ce qu'un sous-étage suffisamment étoffé permet en général.

Soignons aussi nos bois de qualité au moment de l'exploitation et après celle-ci : enlèvement des grosses branches avant abatage pour éviter les fentes, chaînage du pied des arbres penchés, abatage à culée noire pour gagner du cube, enlèvement avant l'été hors de la forêt, stockage en endroit sain, débit rapide, empilage soigné des bois débités.

C'est en soignant les arbres d'un bout à l'autre de leur vie et les bois jusqu'à leur mise en œuvre qu'on assurera la production des bois de qualité et le débouché stable et rentable de ceux-ci.

LE FORESTIER.

Le Chasseur Français N°646 Décembre 1950 Page 742