Dans un précédent article (n° 637 de mars 1950), nous avons
donné les caractères des bois de chêne de qualité exceptionnelle, pour le
tranchage et le déroulage, et des bois d'ébénisterie. Nous avons indiqué que
ces bois ne pouvaient être produits que dans des conditions déterminées de
climat et de sol, et en appliquant des règles de culture précises. Les bois de
qualité sont généralement produits par le chêne rouvre, qui préfère les
sols silico-argileux, pas trop compacts et bien drainés. Les meilleurs bois de
chêne sont produits dans les forêts du Centre de la France : Allier, Cher,
Indre-et-Loire, et en Normandie, du Maine-et-Loire à l'Orne, mais il existe
aussi d'excellents crus de chêne en Bourgogne et dans l'Est de la France. Le
chêne rouvre est sensible aux gélivures, fentes radiales du fût produites,
semble-t-il, par l'action du froid conjuguée avec l'influence d'un excès d'eau
dans le sol. Les climats trop chauds, les sols trop riches, en favorisant sa
croissance en volume, diminuent sa qualité.
Mais, indépendamment des facteurs de climat et de sol, la
production du chêne de qualité dépend surtout de l'influence humaine.
Seul le régime de la futaie permet d'obtenir réellement du bois de qualité
exceptionnelle. Nous savons bien qu'on tranche ou qu'on déroule des chênes
champêtres et des arbres de taillis sous futaie, mais il est incontestable que
les placages obtenus ont moins bel aspect et moins belle qualité que ceux
obtenus avec des arbres de futaie (leurs accroissements sont trop larges et,
surtout, trop irréguliers).
Bien entendu, c'est le traitement en futaie pleine régulière
qui convient à la fois pour satisfaire aux exigences en lumière du chêne et
pour obtenir des accroissements annuels réguliers. Pour obtenir les gros arbres
recherchés par les utilisateurs, il est nécessaire d'adopter une révolution
longue (on sait que la révolution est l'intervalle de temps qui sépare deux
mises en régénération successives). Dans le cas du chêne rouvre, destiné au
tranchage, on adopte des révolutions de deux cents à deux cent quatre-vingts
ans. Pendant cette longue période de temps, toutes les opérations sylvicoles
seront effectuées en songeant toujours à la production des bois de qualité.
Dans les régénérations, on recépera les jeunes sujets de
mauvaise forme, afin d'éviter la production d'arbres ayant le cœur ondulé ;
on luttera ensuite contre les charmes et les bois blancs, risquant d'étouffer
les chênes ou de leur donner une mauvaise conformation. On s'efforcera
d'obtenir des fourrés, puis des gaulis denses, dans lesquels
hêtres, charmes et autres essences secondaires seront maintenus à l'état dominé
sous les chênes. La densité du jeune peuplement et la présence d'un sous-étage,
ombrageant les fûts des chênes, assureront un élagage naturel de
ceux-ci, bien préférable à l'élagage artificiel des branches vivantes, porte
ouverte aux altérations.
Tiges droites, bien élaguées, tel sera le souci dominant du
sylviculteur quand le peuplement sera à l'état de gaulis et de bas perchis. Le
peuplement contient à ce moment-là beaucoup plus de tiges qu'il n'y en aura
dans la vieille futaie adulte. C'est le moment de repérer les tiges d'élite,
futurs grands arbres de la futaie, et d'enlever, au cours des éclaircies, tout
ce qui les gêne (arbres mal conformés et arbres d'essences secondaires qui
risquent de les dominer ou qui, placés trop près, entravent leur croissance et
rendent leur cœur excentré). Enlever aussi les arbres fouets, jeunes brins
flexibles qui, sous l'action du vent, viennent frotter les tiges d'élite et
risquent de les tarer. Au contraire, on maintiendra scrupuleusement tous les
brins dominés, en particulier les essences d'ombre qui, entourant les fûts des
tiges d'élite, empêchent la formation de gourmands et de branches, source de
nœuds. C'est une grave erreur, malheureusement fréquente, que de procéder,
comme le font beaucoup de propriétaires de forêts, au recépage du sous-étage
dans de jeunes peuplements dont on voit immanquablement les fûts se couvrir de
gourmands et dont, par conséquent, le bois se remplit de nœuds.
Évidemment, le sous-étage grandit, et les essences d'ombre,
comme les hêtres, ont tendance à passer au travers de la cime des chênes pour
les dépasser. Quand le peuplement de chêne a atteint l'âge de la moyenne ou de
la vieille futaie, cette ascension du sous-étage d'essences d'ombre peut amener
la mort de grosses branches dans les cimes des chênes d'élite. On aperçoit
alors ces cornes de bois mort si fréquentes chez les vieux arbres. La chute
d'un arbre voisin ou le vent peuvent les casser au ras du tronc. Si elles sont
tournées vers le côté de la pluie, les sections ainsi ouvertes se transforment
en gouttières. Diverses pourritures peuvent s'y installer, qui gagnent le cœur.
Pour éviter cela, il faut renouveler le sous-étage d'essences d'ombre en
le cultivant pour en faire une sorte de peuplement jardiné, les arbres ayant
tendance à devenir trop grands étant remplacés, naturellement ou
artificiellement, par des plus jeunes. Pour bien faire, il faudrait, sous la
futaie pleine régulière de chênes, avoir une futaie jardinée dominée d'essences
d'ombre.
Il faut penser, dans ces peuplements de futaie, à la santé
des arbres d'élite. Il faut cesser de cultiver du bois pourri comme on le
fait trop souvent. Si de nombreux utilisateurs se détournent du matériau bois,
c'est parce qu'on leur livre des arbres pleins de nœuds, de roulures, de fentes
ou d'altérations diverses. Il importe donc, dans les futaies, de faire la
chasse aux champignons, cause d'altérations, et avant tout de maintenir le
sol sain. Dans nos forêts, on trouve partout la trace d'anciens fossés de
drainage créés par nos ancêtres et qu'on n'a pas entretenus par négligence ou
dans un but d'économie, la rentabilité de l'opération ne sautant pas aux yeux.
Le sol, primitivement sain et filtrant, devient compact, humide ou marécageux,
conditions très favorables aux pourritures blanches et rouges du pied qui font
perdre de nombreux mètres cubes de bois de qualité, aux gélivures
qu'accompagnent souvent les roulures, sources de déchets, à la « queue de
vache », altération grave qui semble monter le long des fentes de
cadranure ou du cœur étoilé des vieux arbres, etc. ... Nous ne saurions
donc trop recommander la création et l'entretien des fossés d'assainissement
dans les futaies de chêne. Un simple calcul prouvera leur rentabilité.
Les éclaircies pratiquées dans les hauts perchis et dans les
jeunes, moyennes et vieilles futaies, éclaircies toujours régulières et
toujours prudentes pour ne pas créer d'irrégularités dans les accroissements
annuels et éclaircies respectant et renouvelant le sous-étage, ont amené la
futaie adulte à une densité inférieure à cent cinquante tiges d'élite par
hectare. Les arbres ainsi placés ont des cimes régulières et bien développées,
et ils sont tout à fait aptes à se régénérer naturellement si le sol a, de son
côté, été maintenu en bon état, ce qu'un sous-étage suffisamment étoffé permet
en général.
Soignons aussi nos bois de qualité au moment de
l'exploitation et après celle-ci : enlèvement des grosses branches avant
abatage pour éviter les fentes, chaînage du pied des arbres penchés, abatage à
culée noire pour gagner du cube, enlèvement avant l'été hors de la forêt,
stockage en endroit sain, débit rapide, empilage soigné des bois débités.
C'est en soignant les arbres d'un bout à l'autre de leur vie
et les bois jusqu'à leur mise en œuvre qu'on assurera la production des bois de
qualité et le débouché stable et rentable de ceux-ci.
LE FORESTIER.
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