L'article 1641 du Code civil, à propos de la garantie des
défauts de la chose vendue, est ainsi libellé : « Le vendeur est tenu
de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent
impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage
que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre
prix, s'il les avait connus. »
De toute évidence, la méchanceté et la rétivité
chez les chevaux, défauts de caractère sinon toujours dangereux, mais certainement
nuisibles à la bonne utilisation d'un animal, répondent à l'intention de cet
article.
Malgré cela, les parlementaires, qui ont eu naguère à en
décider, n'ont pas voulu que ces vices soient compris dans la liste des vices
rédhibitoires (loi du 2 août 1884) à cause des difficultés inévitables qui
ne manqueraient pas de se présenter pour leur constatation et l'appréciation du
préjudice dont ils peuvent être rendus responsables.
Le cheval le mieux dressé et le plus doux peut, dans
certains cas, décocher une ruade et occasionner un grave accident à un homme
imprudent pénétrant brusquement dans sa stalle, ou le touchant sur la croupe
sans avoir pris la précaution de l'avertir en lui parlant. Il n'y a pas là
manifestation de méchanceté, mais plus exactement un mouvement réflexe
instinctif, qui fait que l'animal, surpris et se croyant en danger, réagit par
un mouvement naturel de défense. D'autre part, il est des chevaux foncièrement
méchants et dangereux pour les personnes qu'ils n'ont pas l'habitude de voir,
qui, sous la conduite d'hommes prévenus et adroits, se montrent au travail, d'« excellents
ouvriers », ardents, énergiques, sans rien laisser voir ou deviner du vice
dont ils sont atteints. En général, l'aspect extérieur d'un animal, que ce soit
à l'écurie ou au travail, ou à la présentation chez un marchand, est presque
toujours insuffisant pour déceler ou même suspecter sa méchanceté. Néanmoins,
il est certains signes qui peuvent éveiller l'attention et inciter à la
prudence. Un cheval méchant a ordinairement l'œil sombre, farouche, inquiet ;
il couche les oreilles en arrière quand on l'approche et souvent grince des
dents ; il est plus fréquemment mordeur que rueur, mais il peut être les
deux à la fois.
La rétivité, qui est le refus d'obéissance du cheval
à l'homme qui le conduit ou le monte, moins spectaculaire dans ses
manifestations que la méchanceté, n'en est pas moins fort préjudiciable au bon
service d'un animal qui peut devenir tout à fait inutilisable. Ce vice, comme
la méchanceté, du reste, peut être congénital, mais il est plus généralement
admis qu'il est la conséquence de réactions et de mauvaises habitudes
contractées au cours d'un dressage insuffisant, brutal et maladroit.
L'ajustement défectueux du harnachement, la douleur provoquée par la présence
d'un cor à un point d'appui du collier, des blessures douloureuses des barres,
une ferrure mal appliquée, rendant la marche pénible, sont autant de causes
pouvant provoquer une rétivité passagère, passant facilement à l'habitude, sauf
intervention appropriée.
Bien que ces deux vices ne soient pas inscrits, comme l’« immobilité »,
par exemple, dans la liste des vices rédhibitoires prévus par la loi du 2 août
1884 et modifications successives, l'acheteur dispose pour sa sauvegarde de
l'article 1645 du Code civil, ainsi libellé : « Si le vendeur connaissait
les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a
reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur. »
Malheureusement, le dol ne se présume pas, il doit être
prouvé, et il y a là matière à discussions et contradictions de toutes sortes,
où experts, avocats et magistrats ne trouvent pas facilement à se mettre
d'accord, et trop souvent des plaideurs sont renvoyés dos à dos, faute d'une
décision de justice qui aurait pu empêcher qu'un acheteur soit « enrossé »
par un vendeur peu consciencieux.
En tout cas, pour la sauvegarde de ses intérêts, un acheteur
qui estimera avoir été trompé et lésé pourra recourir à une des actions
ci-dessous indiquées :
1° Action rédhibitoire si le vice a été l'objet d'une
garantie conventionnelle ;
2° Action en nullité si la vente du cheval est entachée de
dol (administration de médicaments stupéfiants pour la présentation à la vente ;
coton dans les oreilles, œillères, etc.) ;
3° Action en dommages et intérêts si l'acheteur a éprouvé un
préjudice quelconque des suites de son acquisition.
De ces trois actions — rédhibitoire, en nullité ou en
dommages-intérêts, — c'est la première qui est la plus recommandable; elle
est à la fois sûre, rapide et économique, parce qu'elle repose sur la
stipulation d'une garantie spéciale faite par écrit, concernant le parfait
dressage et la docilité de l'animal vendu.
Des garanties, du reste, on n'en saurait trop prendre,
d'abord à cause des risques personnels auxquels l'acheteur se trouve exposé,
mais aussi et surtout à cause de ceux que peuvent faire courir à des tiers des
chevaux rétifs ou méchants, dont le propriétaire est toujours responsable, ce
que précise l'article 1385 du Code civil, ainsi conçu :
« Le propriétaire d'un animal ou celui qui s'en sert,
pendant qu'il est à son usage, est responsable du dommage que l'animal a causé,
soit que l'animal soit sous sa garde, soit qu'il ait été égaré ou échappé. »
L'administration des haras et aussi les dépôts de remonte de
l'armée spécifient que, dans leurs achats de chevaux, la méchanceté et la
rétivité seront dans tous les cas des causes d'annulation de la vente, au même
titre que les vices rédhibitoires légaux.
En conclusion, se rappeler que les paroles s'envolent, mais
que les écrits restent et peuvent avoir force de loi.
J.-H. BERNARD.
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