Le 37e Salon de l'automobile vient de clore ses
portes sur un succès des plus flatteurs. Si, au point de vue technique, on n'a
pas assisté à la présentation de mécaniques révolutionnaires — le temps
des grandes révolutions étant terminé pour l'instant dans l'automobile — nos
ingénieurs, par contre, ont perfectionné dans le détail.
Pour aujourd'hui, nous nous pencherons donc sur le côté
commercial du Salon, nous réservant de revenir, au cours de notre prochaine
causerie, sur la technique.
Et, tout d'abord, nous sommes bien obligés de constater
l'ahurissant problème posé par les délais de livraison, l'acheminement des
commandes, l'échelle des prix du neuf et de l'occasion.
Pour ne parler que des grandes marques, nous constatons que,
chez Citroën, les délais de livraison sont indéterminés. Quel que soit le
modèle, même pour la 2 CV, aucun versement à l'inscription ; quand votre
commande est enregistrée définitivement, c'est-à-dire deux ou trois mois avant
la livraison, vous êtes invités à payer un acompte de 50.000 francs. Chez
Renault, le délai est approximativement d'un an pour la 4 CV, 10.000 francs à
la commande, plus un quart du prix six mois avant la date présumée de la
livraison. Peugeot est plus formel : un an de délai pour la 203 et 100.000
francs à la commande. Problème d'arithmétique ! Connaissant la cadence
actuelle de production (voir plus loin) de chaque constructeur, déterminer le
capital représenté par les acomptes ou arrhes des clients. Faites le calcul et
sans commentaires. Où est-il le bon temps d'avant guerre où, dans les quinze
jours, avec ou sans acompte, on vous livrait le véhicule de votre choix dans
toutes les teintes désirées, avec reprise au besoin, et au prix fort, de votre
ancien tacot ! Chez les autres marques, Simca demande six ou sept mois,
Ford trois mois, et les marques de luxe entre un et deux mois.
Loin de diminuer avec le temps, ces délais ne font que
s'accroître. Un moment, au début de l'année, il semblait se produire un certain
flottement, qui se lisait d'ailleurs sur la cote des voitures d'occasion
sorties depuis moins d'un an de l'usine. La perspective du réarmement, qui ne
peut qu'entraîner une raréfaction de la main-d'œuvre qualifiée et des matières
premières, la période des vacances également, ont fait affluer de nombreuses
commandes. Certes, nous avons un besoin urgent de reconstituer notre parc de
voitures et, de plus en plus, en France, l'usage de l'automobile se répand dans
de nouvelles couches de la population, recrutant ainsi de nouveaux et fervents
adeptes. Or jamais, en France, la production automobile n'a atteint de
semblables records. Au cours de la présente année, et pour le premier semestre,
l'industrie française de l'automobile a produit 168.255 véhicules, se
décomposant en 122.759 voitures de tourisme et 45.496 véhicules industriels et
spéciaux. Notons la production mensuelle de Peugeot : 4.775 voitures de
tourisme ; Renault : 8.294 ; Simca : 2.582 ; Panhard :
1.129. Le nombre d'automobiles en circulation dépasse le chiffre d'avant
guerre. Il est vrai que le marché n'a pas le soutien des voitures de seconde
main, de deux ou trois ans d'âge, que l'on trouvait jadis. Il y a le trou de la
guerre, au delà duquel il y a beaucoup d'usure. Si l'on se penche sur la cote
des voitures d'occasion, nous constatons ce paradoxe que le prix de la voiture
d'occasion récente, disons sortie de l'année précédente, et dans ses 25.000
premiers kilomètres, dépasse le prix catalogue du neuf, et souvent de loin. Avant
guerre, dès que le véhicule avait franchi le porche de l'usine, il perdait
automatiquement 30 p. 100 de sa valeur. Aussi s'est-il greffé sur cet état
de choses une spéculation et un marché noir qui viennent fausser tout le
système de distribution. La même personne passe de multiples commandes à des
constructeurs différents. Que risque-t-elle ? Si on livre, elle trouvera
toujours un acheteur qui paiera plus cher et lui apportera un coquet bénéfice. Il
y a le trafic des priorités. C'est pour parer à cet état de choses qu'on avait
jadis fixé à un an le délai pour la revente des véhicules, neufs. C'était une
précaution utile, mais qui, dans la pratique, ne s'avéra pas toujours bien
efficace. Et c'était encore là les derniers soubresauts d'un dirigisme que la
majorité des Français avait en horreur.
Bref, avant de chanter victoire et de brandir des carnets de
commande débordants, il serait nécessaire de tenir compte de ce qui est exposé
plus haut et noter qu'un revirement de la situation est toujours possible, si
les usines maintiennent ou, mieux, accroissent encore leur production. Le
marché sera assaini dès que l'occasion récente ne fera plus prime.
Espérons que le prochain Salon nous apportera une telle
satisfaction. Sans demander la bagarre des prix d'antan, il est possible de
trouver un équilibre qui donnera satisfaction à la fois à l'usager et au
constructeur.
Mentionnons pour mémoire l'exportation mensuelle de
véhicules automobiles, qui est considérable et qui draine sérieusement la production
de nos usines, savoir : exportation hors métropole, 11.440 voitures
particulières, 2.484 véhicules utilitaires ; territoires d'outre-mer,
2.430 voitures de tourisme et 1.614 voitures utilitaires ; étranger, 9.017
voitures de tourisme et 870 voitures utilitaires. Et les marchés extérieurs ne
manifestent aucun symptôme de saturation puisque les 4 CV sont demandés même en
Amérique, et à plus forte raison dans le Benelux et les pays Scandinaves, et
que les 203 et 11 Citroën connaissent un véritable engouement un peu partout. Ceci
explique la répugnance naturelle de certains constructeurs pour modifier un
modèle qui plaît et pour se lancer dans des présentations nouvelles entraînant
des frais considérables d'outillage pouvant se chiffrer par milliards.
Il faut espérer que ces constructeurs par trop favorisés ne
s'endorment pas dans leur douce quiétude, et il est bien permis de dire que
beaucoup travaillent dans l'ombre leurs futures productions, qui seront lancées
lorsque des temps plus difficiles apparaîtront.
Ce serait mauvaise politique que de profiter du moment pour
mécontenter le client par une présentation moins impeccable, par des méthodes
pas très élégantes, consistant par exemple à ne livrer, dans des délais
acceptables, que les modèles grand luxe, ces derniers comportant souvent un
supplément de prix considérable, non justifié par les quelques chromages
généralisés ou garnitures spéciales.
Cependant que le service client laisse à désirer sous le
rapport du concours apporté par l'usine lors des premiers kilomètres, sur une
garantie illusoire et souvent discutée, sur le choix des accessoires ou la
réalisation de petits détails qui rendent la conduite agréable et qui
permettent, à peu de frais, de donner pleine satisfaction au client.
Le client paye. Il paye même largement pour certains
modèles, certes très demandés, mais où l'outillage, amorti depuis longtemps,
devrait permettre un abaissement sensible des prix au lieu de hausses que rien
ne justifie. Messieurs les constructeurs, pensez au lendemain. Vous n'aurez pas
toujours des lendemains qui vendent.
G. AVANDO,
Ingénieur E. T. P.
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