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Le tir de chasse devant les chiens

La plume au bois

La plus belle chasse au chien d'arrêt que le bois puisse réserver à l'art de dresser un chien, et de l'utiliser, est certainement celle du gibier à plumes. Le tir de ses deux représentants les plus marquants : le faisan et la bécasse, est digne de ces deux pièces de choix. Il n'est pas de tout repos et ne se croit pas obligé d'offrir; au travail souvent très difficile qui lui permet d'intervenir, son remerciement mérité.

Assez rares sont, à notre époque, les privilégiés qui chassent des faisans vraiment sauvages dans le silence d'un bois sans apprêts, ou libres de leurs mouvements ; ils n'ont d'autres compagnons que leurs chiens. Ils y vivent des heures incomparables dans la complicité, unique au monde, du chasseur et du chien.

Ces instants sont inconnus de ceux en face desquels le sort place des oiseaux de tir, plus que de chasse, traînant un atavisme domestiqué, ne témoignant plus, chez les coqs, de leur superbe affaiblie que par la fierté de leurs plumes éclatantes brillant à l'image farouche de leur orgueil natif. Et cela dans des conditions éloignées du déduit véritable. Plaignons-les d'ignorer les émotions que vous fait ressentir la prudente poursuite de ce brutal et fuyard seigneur, quand il est lui-même ! Poursuite dont le dénouement n'a généralement pas lieu dans un clair.

A ce moment, la condition de pouvoir élever suffisamment son fusil pour un tir en hauteur qui doit précéder le but lui vaut la mort ou lui laisse la liberté. La chance, dont la considération envers le mérite se montre quelque peu fantaisiste, ne se gêne point d'intervenir. Elle désigne le point où l'oiseau acceptera l'arrêt avant son envolée. Elle joue également en raison de la taille dont elle a loti le tireur, lequel y perd ou bien y gagne.

Les branches rétablissent l'équilibre en faveur du faisan, qui sauve assez difficilement sa vie en espace découvert, quoique leur protection, malgré leur nombre et leur épaisseur, ne lui offre qu'une sécurité relative. Il y a lutte, en tout cas, avec des aléas à peu près égaux de chaque côté.

Le faisan a contre lui qu'il est un adversaire assez franc dans ses ruses comme dans son départ fracassant. Il est donc opportun de répondre à cette défense par une attaque de même style, c'est-à-dire par un tir sans tergiversations, quelle que soit l'opacité des obstacles à traverser, du moment qu'il existe une chance de les percer. Nous avons dit comment le mois dernier ; ce sont les circonstances qui créent la méthode.

L'oiseau est volumineux, bruyant dans sa fuite. On repère donc facilement le sens de sa direction quand on le distingue mal, ou pas du tout, ce qui permet de le tirer à l'intuition, et de réussir parfois, si cette dernière tient compte de l'élévation rapide particulier à son adversaire.

Quoiqu'il ne se pratique pas toujours au plus épais des bois, son tir a quelque analogie avec celui de la grouse américaine. On le chasse de bonne heure au chien d'arrêt, malgré les feuilles, parce que, dès novembre, il piète et ne se laisse que rarement bloquer. Il en est de même avec la grouse américaine, parce que, en début de saison, elle part de moins loin qu'après la chute des feuilles.

On ne peut cependant les comparer rigoureusement tous les deux, parce que, en réalité, ils se ressemblent comme le jour et la nuit, et que leurs mœurs, et bien entendu leur comportement, ne sont pas identiques. Le faisan n'a rien d'un coq de bruyère et ne dédaigne pas, comme on le sait, les éclaircies, pourvu que ça et là des ronciers leur donnent un air hostile et rabroueur, ennemi de l'hospitalité. La grouse américaine, qui, elle, a tout du coq de bruyère, se plaît au contraire dans les parties les plus touffues des bois, monte comme une fusée à travers les feuilles et disparaît instantanément.

L'analogie se tient dans leur tir, qui se pratique au jugé alors qu'un écran les dissimule déjà ; à cette différence près que cette condition accidentelle à l'actif du faisan est continuelle au compte de la grouse.

Avant que la vente du gibier fût interdite aux États-Unis, les professionnels, qui faisaient commerce de grouses, épaulaient avec une célérité extraordinaire, qui leur apportait des résultats auxquels une cadence d'une moindre virtuosité n'aurait jamais pu prétendre. Le coup arrivait presque toujours au but, grâce à la perfection de leur tour de main d'hommes de métier. Routine si l'on veut ; mais routine à multiples rameaux parce que les occasions de tirer en travers étaient loin d'être exclues.

Ils ne les laissaient d'ailleurs pas échapper, quoique le tir en travers, au bois, ne soit jamais bien commode. Même lorsqu'il se présente sous les meilleurs auspices, c'est-à-dire dans un taillis où les branches élevées n'ont que peu d'épaisseur, on a toujours l'impression de voir son oiseau à travers une grille. A moins d'être imprégné jusqu'à la moelle du principe qu'on ne doit tenir aucun compte, au bois, de ce qui, s'ingénie à contrarier le pointage et à barrer la route aux plombs, on ressent une gêne encline à s'exprimer par une hésitation.

Lorsque le bois est plus âgé, plus dense, et s'orne, parmi les autres, de vieux arbres plus élevés et plus épais, il n'y a pas d'autosuggestion qui compte, ni de grenaille capable de ne pas s'en soucier. Il faut agir en tentant le tout pour le tout, ou s'abstenir.

S'abstenir, c'est perdre une occasion, ou laisser passer peut-être la seule qui se présentera. Mieux vaut donc la manquer par insuccès que par excès de raisonnement.

Les professionnels américains, dont nous parlions plus haut, le savaient bien. Ils n'hésitaient jamais, lorsqu'un arbre volumineux masquait un oiseau passant en travers, à lancer le coup de l'autre côté du tronc, sur le point où ils supposaient que les plombs intercepteraient le passage à leur gibier. Cela leur réussissait d'ailleurs assez souvent.

La part de la spécialisation n'est pas sans influence, au bois, ou tout au moins de l'habitude qu'on a de le battre, pour la réussite des coups de fusil qu'on y tire sur la plume, en chassant. Nous disons en chassant, car on en tire bien davantage en ne chassant pas, quand on en tient pour la battue.

La pratique est la meilleure conseillère parce qu’elle s'appuie sur les circonstances. Elle vous confirme l'importance extrême du jeu de pieds et la nécessité, nous le répétons, de tirer haut le faisan, oiseau montant par excellence.

Nous verrons bientôt qu'il en est très souvent de même lorsqu'on chasse la bécasse au chien d'arrêt.

Raymond Duez.

Le Chasseur Français N°647 Janvier 1951 Page 8