Il est tout petit, modeste et gai, très gentil. Son nom même
a la consonance un peu câline des diminutifs enfantins, car, bien que les savants
l'aient catalogué « serin méridional », nous l'appelons en France : le
cini.
Tôt arrivé, tard reparti, il reste avec nous plus que la belle
saison. Ses déplacements hivernaux ne l'emmènent guère au delà des côtes méditerranéennes,
d'où il est, d'ailleurs, originaire. Dès le commencement de mars, son curieux
petit crissement chanté, un peu analogue à celui d'une sauterelle, nous avertit
de son arrivée et, bientôt, nous le verrons, dans les allées de nos jardins, poursuivre
par petits bonds joyeux les menues graines du pâturin annuel, que sa taille exiguë,
proportionnée à celle de l'oiseau, laisse facilement échapper à la vigilance du
jardinier. En octobre, le même petit ramage d’insecte, réduit à quelques notes,
auxquelles leur brièveté semble communiquer une tonalité un -peu différente, décèlera
encore, dans le sapin ou le cèdre touffu, la présence tardive du mignon petit
oiseau, vert et jaune, tout tacheté de brun.
Son bec court et bombé l'apparente aux bouvreuils. Son nid douillet,
moelleusement capitonné, ses oeufs d'un blanc bleuâtre pointillés de pourpre
foncé sont une réduction de ceux du chardonneret. Comme ce dernier, .il aime à
placer sa minuscule demeure tout à l'extrémité d'un long rameau souple et
semble se plaire aux balancements que lui imprime la moindre brise. Les chats
et autres bêtes carnassières ne peuvent évidemment s'aventurer sur un appui
aussi instable, et contre les pilleurs de l'air : éperviers, crécerelles, le
défend quelque peu sa prédilection pour les conifères les plus touffus.
Aussi, toujours joyeuse, la petite espèce prospère et jette
à tous les vents de l'été l'écho de sa gentille gaîté. Jacques Delamain, dans
une de ses merveilleuses études sur les oiseaux, nous a raconté le surprenant
destin d'envahisseur du pacifique petit cini. Parti des rives de la
-Méditerranée, il est,depuis des siècles, en train de remonter vers le nord,
pour arriver, à notre époque, jusqu'à la Belgique et à l'Angleterre. Dans le
pays où j'ai passé tous les étés de mon enfance et de ma jeunesse, la côtière
des Dombes, il était installé depuis un temps -immémorial. Dès que nous
arrivions au printemps, nous l'entendions chanter à longueur de journée, sur les
arceaux arrondis d'une allée de vignes en tonnelles ou sur les fils de la ligne
télégraphique bordant la route au-dessous de notre terrasse. Et, quand nous
repartions en ville, à la rentrée des classes, souvent, dans la petite cage que
je portais avec prédilection, se distinguait, parmi la livrée jaune clair de
nos canaris domestiques, la robe verdâtre d'un ou deux de leurs petits cousins cinis.
Car mon .père, chasseur passionné mais naturaliste convaincu, s'il s'opposait
impitoyablement à toute capture des petits oiseaux utiles, tolérait cependant
une exception en faveur du cini. Sans doute se disait-il, dans son désir de
voir ses filles contentes, que la captivité deviendrait supportable a ce petit Serin,
proche parent de celui des Canaries, qui s'est si bien habitué à vivre et à se
reproduire dans nos demeures. On aurait pu le croire, en effet, et les premiers
mois se passaient assez bien. Le cini chantait gaîment avec les autres serins,
et son chant devenait frénétique lorsque ma mère s'installait à sa machine à
coudre ; son petit timbre métallique rivalisait de vitesse et d'intensité avec
le roulement de la machine. Mais, à mesure que l'hiver s'avançait, sa gaîté
s'éteignait ; il devenait silencieux et succombait généralement avant le
printemps. Si bien que, devenue plus grande, je renonçai de moi-même à ces
captures, dont je comprenais enfin l'inutile cruauté.
De ces expériences, j'ai gardé envers le cini un sentiment
d'amitié et de familiarité particulière. Il s'y prête, du reste, n'étant pas du
tout sauvage. Souvent j'ai pu observer de tout près la petite femelle,
mollement balancée sur son tout petit nid, à l'extrémité d'une branche, sans
qu'elle prit ombrage de ma proche présence. Ses enfants sont moins faciles, et
les poils qui, dans leur premier âge, hérissent le pourtour de leur bec et de
leurs yeux parviennent malgré leur petitesse à leur donner un air farouche. A
la moindre alerte, ils décampent, même incapables de voler encore, l'ourlet
jaune au bord du bec et tout juste pourvus d'un centimètre de queue.
J'ai trouvé un jour, égrenés ainsi un à un, dans mon jardin,
quelques membres d'une petite famille trop tôt émancipée, piaillant
misérablement et destinés à devenir la proie des chats, qui s'y promènent dès
la nuit tombée. L'ancienne petite cage reléguée au grenier est venue expier ses
méfaits d'autrefois. Dûment garnie de foin pour leur rappeler la tiédeur du
nid, les petits vagabonds y furent installés et le tout suspendu à une haute
rame dans une planche de pois. Toute la nuit, je fus inquiète à leur sujet,
mais le matin me rassura. Descendue dès l'aube et postée en observation, je fus
bien vite convaincue qu'ils n'étaient pas abandonnés, les parents leur
apportant à toute minute leur nourriture à travers les barreaux de la grille.
Une semaine durant, le gentil manège continua ; puis je donnai la volée à la
petite nichée, désormais en état de prendre soin d'elle-même.
Hélas ! tout n'est pas idylle dans la nature. Sa riante
beauté printanière nous leurre sur les sombres drames qui se déroulent
invisibles dans l'épaisseur des arbres et du feuillage. Je fus, un soir de
juin, impuissante et attristée, témoin d'un d'entre eux, bien cruel pour mes
petits amis. J'avais passé une partie de l'après-midi à tricoter assise au bord
d'un bois limitant une immense prairie, semée de magnifiques noyers. A plus
d'une reprise, il m'avait semblé entendre des cris d'oiseaux, mais, attentive à
mon travail, je n'y avais pas prêté attention. Leur intensité croissante me fit
cependant lever la tête et je vis deux petits oiseaux qui, tout en criant de
toutes leurs forces, en poursuivaient un plus gros de toute la vitesse de leurs
petites ailes. Deux fois, trois fois le manège recommença, et je compris. Une
pie-grièche, le sanguinaire « oiseau-boucher » des Anglais, pillait
la couvée des cinis, emportant chaque fois un des petits pour sa nichée à elle ou
pour les empaler en réserve, comme elle sait faire, sur les longues épines
acérées de certaines haies proches de sa demeure. Et les pauvres petits
parents, désespérés, poursuivaient chaque fois le ravisseur, exprimant leur
douleur croissante par des cris de détresse aussi pitoyables qu'inutiles. Le
lendemain, il n'y avait plus de chants au bord du douillet petit nid.
Pierrette Magne.
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