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Sports d'hiver

Le temps des entorses

La saison de ski, tous les ans, ramène une importante clientèle dans les cliniques de Sallanches, d'Annecy et de Grenoble. Entorses, foulures, fractures même, à la suite de mauvaises chutes dans de fausses positions.

A cela, il y a deux causes principales.

D'abord l'immense majorité des skieurs ne sait pas régler une attache. Sous prétexte de « mieux guider » le ski, ils ouvrent l'étrier presque au maximum, pour que le soulier s'engage à fond. Assurément, fixé ainsi de façon immuable, serré latéralement à hauteur de la plante du pied, le soulier dirige aussi net qu'un patin à glace, mais cette rigidité se paye par un danger. Normalement, l'étrier du ski doit bloquer le bout du pied, sans plus, à la hauteur du plus petit doigt, la flexion du pied en avant demeurant permise sur une vaste ampleur. II fut un temps où les instructeurs exigeaient que leurs élèves pussent s'agenouiller sur leurs skis. Avec les chaussures actuelles à semelles rigides et les étriers chaussés à fond, cela serait pratiquement impossible.

Alors... quand le skieur fait une chute dans une position de pied quelque peu forcée, c'est sa cheville qui encaisse, ou plutôt qui n'encaisse pas. Le pied ne pouvant se permettre, dans l'étrier, aucun déplacement, même de quelques millimètres, il y a fracture dans un trop grand nombre de cas. Le mal est si évident que divers fabricants de chaussures de ski, et non des moindres, ont fait des modèles avec un. laçage élastique de l'arrière du soulier, permettant au pied de s'échapper lors d'une chute compliquée. Mais le plus •grand nombre se contentent de renforcer la solidité de la cheville par des courroies ou par un double laçage, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus au bout de la Jambe qu'un bloc ski-soulier-pied, parfait pour pratiquer la méthode de descente en avancé, mais vulnérable en cas de mauvaise culbute.

« Pourtant, nous dira-t-on, les montagnards et les grands champions emploient l'assemblage le plus rigide possible, et ne s'en portent pas plus mal... » C'est là le second point sur lequel nous voulons insister. De même qu'on ne peut pas comparer les biceps d'un leveur de poids ou d'un boxeur avec les muscles correspondants d'un paisible bureaucrate, il n'y a point de commune mesure entre la résistance des genoux, des jarrets et des chevilles d'un Savoyard ou d'un Dauphinois, toujours par monts et par chemins, et ceux d'un abonné du métro.

Le skieur de la ville, qui s'échappe le samedi pour aller faire une partie de neige, arrive en auto ou en car au pied du téléférique qui le hisse au sommet de la pente et le bascule séance tenante dans une piste de descente. Alors que les chevaux de course, tout comme les coureurs à pied, se livrent à des galops d'essai pour s'échauffer avant l'effort, le skieur se présente au départ de pied ferme, tel qu il a quitté la ville, rouillé et raide comme un passe-lacet !

II n'y a pas, à ma connaissance, de sport que ses amateurs abordent avec aussi peu de préparation, alors qu'il exige tant de qualités de force et surtout de souplesse. On peut dire sans risquer de se tromper que le citadin qui, venant skier deux ou trois jours, consacrerait sa première matinée à marcher à plat ou à évoluer à petite allure en terrain varié pourrait le soir même aborder les pistes avec des articulations à l'abri de tout accident.

Et c'est là, très excellemment, que se révèlent les bienfaits de la gymnastique de chambre. Quelques mouvements d'assouplissement tous les matins, et le skieur reste en forme. C'est une véritable assurance contre les risques du ski. Le célèbre Guido Rey, lorsqu'il se hissa le premier, en grande partie à la corde lisse, sur la formidable arête surplombante du Cervin de Furggen, avait depuis des mois installé dans sa chambre un trapèze où il s'exerçait tous les: jours, et il m'a souvent répété que, sans cet entraînement progressif, il n'eût jamais réussi dans sa tentative. Il serait donc paradoxal de vouloir, de pied ferme, exiger de tous nos membres les souples flexions extrêmes qu'exige le ski, sans au préalable les avoir pratiquées quelque peu au saut du lit.

Donc, étriers où le pied s'engage juste au point voulu, et pas plus, et corps préparé par un entraînement qui n'exige que quelques minutes chaque jour aux culbutes éventuelles qui guettent les plus grands skieurs. Est-ce trop, demander, en échange de la certitude presque absolue de ne jamais faire connaissance avec la clinique ?

Robert Laravire

Le Chasseur Français N°647 Janvier 1951 Page 31