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Animaux étranges

Le pangolin

Le pangolin est un des animaux les plus curieux qui soient car il présente le fait exceptionnel de figurer, en plein XXe siècle, une espèce ayant vécu aux âges paléontologiques et dont les autres spécimens ont disparu.

A ce titre, c'est une relique zoologique.

Il se présente comme un petit format des immenses reptiles à pattes qui peuplèrent la terre il y a cinq cents millions d'années, et affectant quelque peu la forme des actuels crocodiles.

Longtemps on le classa du reste parmi eux en en faisant une variation terrestre, et même Buffon restait plus que réservé sur sa qualification.

Pour lui, c'était bien un crocodile, tandis que pour Daubenton on se trouvait en face d'un lézard.

Les zoologistes modernes lui ont restitué sa place parmi les mammifères de la catégorie des édentés, encore que ce terme soit devenu périmé et vague, car, si nombre d'entre eux n'ont effectivement pas de dents, d'autres en possèdent d'au moins rudimentaires, prismatiques, sans émail, mais à pulpe persistante.

Ces animaux ont une origine « phylogénique », c'est-à-dire de lignée héréditaire fixée, extrêmement lointaine. C'est en effet dans la seconde moitié du tertiaire que les édentés eurent leur plein développement avec des formes et des spécimens extrêmement géants. Par leur anatomie, ils sont d'ailleurs fort voisins des baleinoptères, et l'on peut reconstituer que, vivant en une époque chaude et humide où l'aspect de la terre était un vaste marécage, ils s'adaptèrent à la vie aquatique quand survint le dessèchement général.

C'est surtout en Amérique que l'on trouve encore des édentés, dans le groupe des paresseux, tatous et fourmiliers. Les tatous présentent, du reste, une particularité tout spécialement notée par les biologistes. Tous leurs descendants sont obligatoirement de vrais jumeaux au nombre de quatre pour un même arrière-faix, car ils sont placentaires.

En Europe-Afrique, les édentés sont représentés par les oryctéropes et les pangolins.

Certaines espèces asiatiques possèdent cinq doigts, mais celles africaines, de beaucoup les plus nombreuses dignes d'intérêt, en ont quatre.

Leur aspect est monstrueux et figure fort bien l’idée que l’on se fait de cette faune tertiaire. Leur corps est recouvert de plaques d'écailles s'imbriquant à la manière des tuiles d'un toit. Leurs bords sont tranchants, et leurs surfaces striées affectent une forme triangulaire aux angles quelque peu arrondis. De l’extrémité avant de la tête à la pointe terminale de la queue ces écailles les recouvrent.

A proprement parler, ces écailles n'en ont que l'aspect extérieur ce que les zoologistes nomment une « convergence de forme ». Ce sont des ensembles de poils accolés et unis par certaines substances. On peut du reste dissoudre chimiquement cette colle et on retrouve les poils initialement séparés. C'est sur le dos que ces plaques sont le plus solides et épaisses ; elles diminuent de solidité sur les flancs et toute la partie ventrale ; même le dessus de la tête n'est plus recouvert que de poils drus et plus ou moins soudés en touffes plates.

Si la partie postérieure de son corps affecte fort la forme d'un crocodile, il n'en est pas de même de celle antérieure, car la tête, au lieu d'être obtuse comme chez le caïman, est nettement conique, et beaucoup plus longue, régulière et affilée que chez le gavial.

Sa queue est extrêmement mobile et très longue par rapport au corps proprement dit qui semble très bref dans sa forme quasi cylindrique.

Ses quatre membres sont très courts et se terminent par quatre ou cinq doigts selon les espèces africaines ou asiatiques. Leur marche est très semblable à celle des ours, car ils avancent avec le « pied arrière » à plat, tandis que la patte avant voit se replier ses longues griffes pour former un double patin protecteur.

La taille des pangolins est voisine de celle des petits cochons ou mieux des pécaris, mais leur couleur est brune et peu franche, rappelant une brique mouillée, avec l'extrémité du groin plus claire. Pour le poids, ils arrivent à une vingtaine de kilos chez les spécimens exceptionnels d'une longueur de 75 centimètres.

Pour leur alimentation, les pangolins se rapprochent de leurs cousins, les fourmiliers américains. S'ils n'ont pas de dents et une bouche ronde et rudimentaire, ils ont une longue langue rétractile et déroulable qu'ils projettent à l'extérieur très loin pour attraper des insectes grâce à la salive gluante qui la recouvre. Leur aliment de choix est le termite, mais, à défaut, ils se délectent de fourmis géantes.

De leurs puissantes, griffes ils savent défoncer les terriers et nids de leurs proies et mettre à découvert leurs victimes alimentaires.

Quelques muséums en possèdent des spécimens, encore qu'il soit assez difficile de reconstituer leur habitat natif et de leur procurer l'abondance de fourmis. On y supplée par de la viande finement hachée avec des œufs.

A l'état de liberté naturelle, ils vivent par couples, dans un long terrier relié à l'extérieur par un conduit d'accès qu'ils obturent pour leur sécurité.

Tout au début du printemps et parfois en fin de l'hiver, la « pangoline » donne le jour à un petit qu'elle nourrit à la mamelle.

Le grand ennemi du pangolin n'est pas un des cruels habitants de la jungle, car ses puissantes écailles tranchantes constituent des boucliers inviolables ; du reste, dès qu'il se croit en danger, l'animal se met en boule à la manière des hérissons. Mais il ne saurait échapper à la vermine et aux insectes parasites. Ces mêmes écailles qui le protègent contre les fauves l'empêchent de se gratter et arrivent à créer des plaies dont il meurt par infection.

Ce n'est pas un animal intelligent, et son esprit est aussi lourd que son corps. Il reste toujours très sauvage et craintif, et les tentatives d'acclimatation ont été des échecs. Il pousse un petit cri extrêmement désagréable et dégage une odeur fort puante, ce qui ne l'empêche pas d'être d'une rigoureuse propreté pour le dépôt en un lit discret de ses excréments.

Animal primitif, représentant des âges disparus, le pangolin reste pour nous un mystère, car on n'arrive point à expliquer sa survivance en face des autres groupes disparus.

Louis Andrieu.

Le Chasseur Français N°647 Janvier 1951 Page 55