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Photographie

L'esthétique visuelle

La photographie a actuellement droit de cité, et bien rares sont ceux qui ne possedent point un appareil de prise de vues. On est fort loin, du reste, du temps héroïque où le photographe faisait quelque peu sourire avec son trépied monumental, son voile noir et sa chambre à plaques avec tirage à soufflets.

Les appareils modernes se nomment « photocameras », suivant un nouvel usage, et par opposition aux cinécamera, télécamera, vidéocamera, mais ils sont tous extrêmement perfectionnés, et l'on peut posséder un « format réduit » ou un 6 x 9 depuis 1.500 francs, et même moins, jusqu'aux merveilles de précision coûtant 100.000 francs et plus.

Avec ces appareils perfectionnés, il n'en demeure pas moins que l'oeil humain, servant au choix des fresques visuelles ou à l'esthétique des images, n'a, lui, aucunement changé. Or notre œil ne voit aucunement net, et encore sous un très petit angle ne dépassant pas 5°, et il est bien souvent —-et même dans 60 p. 100 des cas, aux dires des oculistes — atteint de myopie, astigmatisme, chromatisme et autres défauts. Mieux, les biologistes du temps présent prétendent que la lumière blanche ne touche pas le point rétinien en un seul lieu, mais selon une véritable échelle de pénétration en profondeur, en fonction de la couleur. L'œil, en conclusion, ne saurait être qu'un très mauvais appréciateur de la valeur esthétique.

Cependant, nonobstant les savants, l'œil est ce qu'il est et il faut s'en contenter. Pour le physiologiste, l'œil reste un objectif extraordinaire, adapté à une chambre noire parfaite, et il constitue à lui seul une véritable caméra. Mais il faut savoir que, s'il est caméra, son objectif a une focale extrêmement courte, avec une très grande ouverture relative, avec un diaphragme automatique, avec une vision extra-globale elle-même extra-grandangulaire, avec encore un pouvoir séparateur énorme, et avec un champ en profondeur colossal et toujours automatiquement au point.

Le système nerveux, qui reçoit ses impressions, est lui-même d'une sensibilité autrement importante que les meilleures émulsions photographiques de films.

Sa focale est très courte et descend à 20 mm. environ. D'où un énorme champ, d'où une netteté constante sans tenir véritablement compte de la distance. Mais l'ouverture reste aussi immense avec une très grande supériorité sur l'objectif des appareils ; son iris constitue un diaphragme automatique se mettant en accord immédiat avec la quantité de lumière ambiante. Ouverture démesurée dans l'obscurité et yeux quasi fermés en plein soleil d'été.

Grand angulaires sont aussi les yeux, puisque, par leurs déplacements, ils arrivent à atteindre 180° contre 140° au plus perfectionné et exceptionnel objectif optique. Mais cette vision n'est point alors uniforme. Seul le point considéré est net et le reste flou et vague, et l'angle de bonne observation tombe de 4 à 6°. Pour y suppléer, il y a, il est vrai, les mouvements de l'œil.

Mais ce n'est pas tout : le cristallin n'est pas fixe, sa courbure varie, et il constitue alors une sorte d'objectif à focale variable, dont il a fallu, en optique, attendre 1950 pour trouver un seul exemplaire dans le commerce.

L'œil humain a aussi un immense pouvoir séparateur et un autre avantage, celui de la sensibilité immédiate dans l'obscurité. Où il faut une longue pose, il suffit de quelques secondes pour avoir une vue d'ensemble nocturne. Le pouvoir séparateur atteint, lui, facilement le 1/10 de millimètre, et même le 1/100 chez les myopes, dont c'est un privilège.

Que faut-il réaliser dans le choix d'un appareil pour atteindre ces performances étudiées et mises au point par Michel Ardan ?

Pratiquement, la photocamera reste inférieure, même avec les plus onéreuses réalisations. L'objectif absorbe de la lumière et diminue toujours les détails. Il faut, pour restituer sur un film ce que l'œil distingue à 100 mètres, utiliser des focales de 210 millimètres, sinon de 300, et si possible de 500 millimètres. Or la majorité des appareils utilisent des objectifs de 50 à 150 millimètres, le premier de 50 étant le plus courant.

Pour toutes ces raisons, il faut savoir apprécier les possibilités de son appareil et ne pas se contenter du charme visuel d'une vue, d'un monument, d'un paysage, pour croire devoir réaliser un parfait cliché.

On doit bien prendre comme base ce que l'on voit, mais il faut savoir le corriger, et cela s'obtient par les jeux de temps de pose, d'ouverture du diaphragme, du choix des objectifs et du calcul des distances.

Une grande erreur réside souvent dans les corrections et la mode du « flou artistique ». On n'obtient que de mauvaises photos, si l'ambiance est déjà floue ou brumeuse. On ajoute en effet du flou au déjà flou. Ce qu'il faut, c'est donc toujours rechercher d'abord à reproduire la nature et, si l'on veut se livrer à des truquages, on doit les réaliser au laboratoire, sur le tirage des épreuves et non sur la prise de vue des clichés.

La nature elle-même provoque un flou judicieux en fonction de la distance, et c'est commettre le péché d'orgueil que de vouloir faire mieux qu'elle au nom d'une esthétique purement conventionnelle.

Ce qui fait justement la valeur d'une photographie, comme la précision d'un objectif, c'est la netteté des détails.

Il en est de même dans le portrait, et il faut se garder des clichés mous ou granulés. Vus avec le recul du temps, comme il se doit quand il s'agit de souvenirs, ils paraîtront toujours de simple ratages dont on a voulu tirer profit.

Un appareil photo ne doit pas être considéré comme donnant automatiquement un talent égal à celui d'un Michel-Ange ou d'un Vélasquez. Il a fallu cinquante ans de perfectionnements pour arriver à une mise au point totalement scientifique et artistique. C'est pour vouloir trop réaliser que beaucoup de novices se découragent. Il faut savoir modérer ses aspirations et commencer avec des caméras adaptées aux connaissances photographiques. Quand on sera familiarisé avec ces modestes caméras, on aura alors la ressource d'acquérir un appareil plus perfectionné.

Lajouse.

Le Chasseur Français N°647 Janvier 1951 Page 55