Tout le monde parle du mistral ( 1 ), et chacun a sur lui sa
petite théorie personnelle, surtout dans les régions où il est le vent
dominant. Mais toutes ces explications, si elles ont un fond de vérité, sont
dans l'ensemble assez loin de l'exactitude.
Tâchons d'être, aujourd'hui, un peu plus précis.
Comme tous les vents, le mistral est causé par une
différence de pression atmosphérique entre deux régions relativement voisines.
Si nous soufflons dans l'une des extrémités d'un tube en U
plein d'eau, le liquide s'écoulera par l'extrémité libre du tube, et cela
d'autant plus fort que notre souffle aura été plus puissant. C'est-à-dire
d'autant plus fort que la différence de pression entre les deux extrémités aura
été plus considérable.
Si notre tube était un tuyau d'un diamètre beaucoup plus
important, et si notre bouche était remplacée par une forte pompe, nous aurions
une sortie de liquide beaucoup plus considérable, parce que le tuyau serait
plus large et la pression fournie par la pompe plus grande. Nous n'aurions
cependant pas un jet puissant, l'eau tomberait sans force tout près de
l'extrémité du conduit.
Nous n'obtiendrions un jet puissant qu'en étranglant
la sortie, c'est-à-dire en installant à ce bout quelque chose comme la lance
métallique dont se servent les pompiers.
Alors le liquide serait projeté avec force et le jet obtenu
conserverait sur une assez longue distance sa puissance d'origine et la
direction, l'orientation, qui lui auraient été données par la lance.
Ceci resume et explique assez bien une des principales
caractéristiques de la naissance du mistral.
En effet, à part quelques cas où il est d'origine thermique
et alors de peu d'importance, le mistral est dû à une différence de pression
entre la région au sud des Alpes, (ou le golfe de Gênes) et l'ouest du Massif
central, restant biens entendu que les pressions seront moins élevées au sud
des Alpes qu'à l'ouest du Massif central. II y a alors déplacement d'air des hautes
vers les basses pressions.
Voici donc notre air en mouvement. Ce serait un vent
ordinaire... .si n'existait pas la vallée du Rhône.
Le courant d'air général d'ouest qui, venant de l’Atlantique,
ventile presque continuellement notre atmosphère est dévié par la dépression
relative qui existe dans le golfe de Gênes, et serait sans doute drainé
directement vers elle si le Jura et les Alpes n'existaient pas. Mais, gêné par
ces montagnes, il s'engouffre dans le couloir entre Massif central et Alpes, et
descend vers la mer suivant une direction axée en moyenne nord-sud. En même
temps que ce « couloir » impose une direction, l'étranglement
augmente la puissance de l'écoulement.
C'est alors le phénomène dont nous parlions à propos de la lance
des pompiers, et voilà le mistral né.
Ceci aide à comprendre que peu de gens soient d'accord sur
la direction du mistral. Les uns le disent vent du nord, les autres vent de
nord-est, d'autres le voient vent de nord-ouest. Dans ce cas, on peut dire que
tout le monde a raison, puisque tout dépend de la situation de l'observateur :
ce vent canalisé suit la direction du conduit qui l'enserre.
Ainsi du côté de Valence, c’est un vent du nord ; en
approchant d'Avignon, il est nord-est ; mais entre Avignon et Arles, il devient
nord-ouest...
Du côté de Mirabeau, il se dirige vers Manosque en suivant
la vallée de la Durance. Dans presque toute la Provence, il joue entre nord-est
et nord-ouest suivant l'influence des collines qui font écran.
Sur la côte (et sur mer près de terre), c'est un vent d'ouest
entre Marseille et Nice ; plus au large, dans le bassin situé entre les
Baléares, la Corse et la Sardaigne, c'est un vent franchement nord-ouest.
On a cherché à expliquer ces différentes directions du
mistral en mer en disant qu'il se comportait comme l'eau entrant latéralement
dans un bassin plein où elle donne naissance à un tourbillon. Beaucoup plus
simplement, on n'a qu'à se souvenir de la loi de Buys-Ballot et de la
giration des vents autour d'une dépression dans le sens opposé aux aiguilles
d'une montre. Cette loi nous aidera à comprendre pourquoi la Côte d'Azur est
rarement visitée par le mistral. Ce n'est pas, pomme on pouvait le croire,
uniquement grâce à l'abri que lui procure les montagnes de l'Esterel, des
Maures, etc., mais surtout parce que les vents, tournant comme dit ci-dessus,
soufflent du -nord-ouest ou du nord dans la partie située à l'ouest de Toulon,
alors qu'ils halent l'est et le sud-est vers la Côte d'Azur.
Comme cette dépression se déplace vers l'Europe orientale en
passant neuf fois sur dix par l'Italie centrale, il ne peut y avoir que peu
fréquemment des vents de nord violents sur la Côte d'Azur : les rares fois où
la dépression suit l’itinéraire par le Nord de l’Italie.
Les marins, en particulier (bien que tout le monde en
pâtisse), se plaignent d'essuyer en Méditerranée de violentes tempêtes de
mistral, alors que leur baromètre n'a pas bougé d'un cheveu, cependant que les
autres vents, surtout dans l'Atlantique, sont annoncés longtemps à l'avance par
ce fidèle instrument.
Ceci tient a ce que très souvent les coups de mistral sont
déclenchés par des dépressions trop peu creuses pour être décelées facilement
et qui agissent surtout par contraste avec les hautes pressions de l'ouest du
Massif central, du golfe de Gascogne ou du proche océan. Il faudrait, pour
faire de la prévision avec quelques chances de succès, connaître la pression
non seulement en Méditerranée, mais encore dans de vastes régions au nord et à
l'ouest. Voilà pourquoi le baromètre n’est pas d'un bien grand secours pour
l'avertissement d'un temps de mistral, quand il s'agit d'un baromètre isolé. Cette
impuissance de l'observateur isolé est, du reste, générale pour presque tous
les cas de temps.
Je vais sans doute m'aliéner bien des sympathies, mais il
faut bien que je dise ce qu'on doit penser de la règle des 3-6-9, suivant
laquelle le mistral durerait trois, six ou neuf jours. Cela est aussi faux que les
règles qui veulent que le temps change avec la lune. Ce n'est pas peu dire. Il n'y
a pas plus de raison pour que le mistral dure trois, six ou neuf jours que
deux, trois et six ou quatre, huit ou douze... En réalité, il est de durée très
variable. Les petites dépressions qui l'engendrent se suivent un peu à la
manière des grains d'un chapelet, inégalement espacés. Quand la dépression
n'est plus à l'endroit voulu, le vent cesse, mais reprend dès l'arrivée d'un
autre « cyclone », sous réserve, bien sûr, que l'anticyclone subsiste dans
l'ouest du Massif central. De plus, nous avons vu que le mistral soufflait à
peu près la moitié de l'année, avec des intensités allant du « presque calme »
à l’« ouragan ».
Il peut donc très bien durer en dehors des limites
légendaires sans que personne ne s'en rende compte, sauf ceux qui s'intéressent
à la chose et possèdent une girouette sensible.
Le mistral violent est; en fait, ce qu'on appelle un vent solaire.
C'est-à-dire qu'il prend le matin, se renforce en cours de journée, arrive
généralement à son paroxysme aux environs de la méridienne, puis perd de sa
violence jusqu'au moment du coucher du soleil. Il reprend alors assez souvent
après une accalmie d’une petite heure, mais il est assez rare qu’il atteigne de
nuit la rage et la démence qu’il atteint en plein jour. Le matin, le même cycle
recommence.
J'ai parlé jusqu'à maintenant du mistral général, qui
intéresse toute la vallée du Rhône, la Provence, le Roussillon et une bonne
partie de la Méditerranée occidentale.
Disons quelques mots du mistral local. Ce vent est
produit uniquement par les différences de température entre la partie nord de
la vallée du Rhône et la côte de la Méditerranée. Il est le résultat d'un tirage
thermique entre les régions « relativement » froides du nord de la vallée
du Rhône et les régions beaucoup plus chaudes de la Crau et de la Camargue.
Ce vent est caractérisé d'abord par son manque de violence,
puis par le peu de différence de pression entra la région de Lyon et la côte,
et surtout par son peu d'expansion latérale. Car, si le mistral général se fait
sentir à Privas, Alès, Montpellier, Carcassonne et Perpignan, d’une part, à
l'ouest ; Pertuis, Marseille et Toulon, d'autre part, à l’est, le mistral
local, beaucoup plus « étriqué », n'intéresse que la vallée du Rhône et ne
dépasse guère les Saintes-Maries-de- la-Mer à l'ouest, l'étang de Berre à
l'est.
Pour donner une autre différence entre ces deux vents, je
dirai, d'après MM. Dedebant et Viaut, que le mistral général arrive jusqu'à
3.000 mètres en altitude, tandis que l'effet du mistral local ne dépasse guère
1.500 mètres.
Pyx.
(1) Voir Le Chasseur Français de juillet et d'octobre 1950.
|