Accueil  > Années 1951  > N°648 Février 1951  > Page 68 Tous droits réservés

Le tir de chasse devant les chiens

La bécasse au bois

Au bois n’est pas superflu ! On la trouve, en effet, dans la broussaille des haies, dans les ajoncs, au bord d'un chemin creux en début de saison, où son tir est si différent que bien des chasseurs qui ne peuvent pas tuer de perdrix les tuent assez régulièrement. La bécasse au bois : c'est la bécasse tout court, objet d'adoration fervente, appartenant aux mortels dont le rêve et la passion s'unissent dans le désir de la tuer. Elle est l'oiseau par excellence pour ses fidèles, êtres à part que le Destin façonne, marque et claustre en une caste clairsemée dont ne fait point partie qui veut.

De la bécasse de rencontre à la bécasse d'élection, la distance est la même qu'entre les promesses et les actes !

Le vrai bécassier est une manière d'ascète sans le savoir, qui traîne son apostolat parmi les ronces, les branches et les fourrés. Ceux-là lui tiennent lieu de chapelle. Un ciel souvent pluvieux lui sert de toit. Son chien, quand il est doué, accepte sa préférence, la partage et va jusqu'à la dépasser. Il n'a de nez que pour la bécasse, dédaigne le reste et demeure au service de l'oiseau qui revient tous les ans risquer sa vie et déployer ses ruses sur les mêmes terrains.

L'arrêt symbolise la chasse à la bécasse ! Il en fait un Art, alors que, servie par d'autres chiens, elle revient au simple niveau de la chasse physique, si l'on ose dire, trop active, trop précipitée pour que le plus petit souffle de poésie ose s'en approcher.

La bécasse est un souffre-douleur quasi divin pour ses amants, qui lui réservent un trépas lamentable dans le souci des formes. Le mécanisme du tir s'y trouve à tel point enfermé qu'il prend une importance secondaire. Il demeure sous le joug de la situation que le chien est le seul à créer dans la mesure incertaine de son pouvoir. Et ce pouvoir, qui dépend de ses dons, se heurte à l'humeur journalière de la bécasse autant qu'à la configuration des bois où l'on vient troubler son repos.

On assure que le tir est beaucoup plus aisé lorsqu'elle se lève dans l’affolement que lui cause l'irruption de plusieurs spaniels ratissant le terrain de toute leur conscience forcenée. Cette ruée ne lui donnant pas le loisir de combiner ses ruses, ni de repérer l'arbre épais qui saura la masquer, ses chances de salut doivent s'en ressentir.

Dans un sens, cette croyance n'est pas dénuée de raison d'être. Le tir proprement dit profite de la circonstance, en principe, c'est-à-dire à la condition que la position du tireur, à l'instant de l'envoi, lui permette de manier librement son fusil, ou de tenir son équilibre.

La formule a du bon, mais tout dépend du bois dans lequel on la met en pratique. Judicieusement employée, elle est généralement plus productive que celle de la chasse au chien d'arrêt, tout en restant également dans la catégorie de la chasse devant soi. Cette recherche de la bécasse pendant laquelle le tireur mène en personne ses spaniels n'a pas de rapport avec la sorte de battue que représente l'action des spaniels conduits par un tiers, alors que le tireur est posté aux endroits favorables.

Lorsqu'on affirme que inefficacité est plus grande du côté des spaniels que du côté du chien d'arrêt, on a le grand tort de ne pas spécifier qu'en l'occurrence surtout il y a chien d'arrêt et chien d'arrêt.

Avec le meilleur d'entre eux ne chassant qu'occasionnellement la bécasse, la sûreté de ses arrêts ne vous dégagera pas de l'obligation rituelle qui consiste à faire partir la pièce s'il n'a pas été dressé à forcer au commandement. Une fois par hasard, le tireur trouvera l'occasion de se placer à peu près convenablement et de rencontrer à portée de sa main un bout de bois mort, une pierre, ou bien un peu de terre qu'il lancera vers le point d'arrêt pour effrayer l'oiseau bloqué. Cela réussira dans les limites où cela peut réussir, autrement dit : selon la direction du premier coup d'aile, et selon le temps laissé par la reprise en mains du fusil, puis de sa mise en joue, entre l'envoi du projectile jouant le rôle de starter et l'effet qu'il a produit. Si tout se passe comme on l'espère, le tir rencontre les meilleures conditions possibles, et celui dont vous font profiter les spaniels n'est pas plus avantageux.

Mais, nous le répétons, ce cas est exceptionnel. Bien plus des trois quarts du temps, il faut s'y prendre comme on peut pour se frayer un passage jusqu'au lieu de l'arrêt, faire lever la bécasse et la tirer quand elle veut bien se laisser voir, et qu'on est suffisamment maître de ses mouvements.

La bécasse au chien d'arrêt, quand celui-ci est de cet acabit, offre le tir le plus incertain sous tous les rapports, et rien n'est plus vrai que de le considérer comme beaucoup plus ardu que celui dont vous gratifient les spaniels.

En revanche, lorsque l'association homme et chien est formée par deux bécassiers de carrière, les choses ne se passent plus ainsi. Aussitôt son chien en arrêt ferme, le maître se place le mieux qu'il peut avant d'obliger son chien à forcer. Si le chasseur est moins surpris par son départ que si des spaniels le lui avaient donné, la bécasse se trouve dans le même cas.

Pendant le temps qu'elle accepte l'arrêt, elle reprend ses esprits et machine ses chances de salut. Ce n'est pas le forcement du chien qui l’arrête, et auquel très certainement elle doit s'attendre, qui fera échouer ses combinaisons.

Ce n'est pas un grand bénéfice pour le tir.

Il semble donc résulter de cette comparaison que les chances sont égales des deux côtés.

La réalité ne partage pas cet avis, parce que, avec un chien d'arrêt bien spécialisé, on a beaucoup de raisons d'éviter l'emprisonnement de son fusil, désagrément qui réduit le chasseur à l'état de paralytique. Aussi bouché que soit le champ de tir par l'enchevêtrement de la végétation, la possibilité d'y jeter un coup de fusil représente beaucoup plus qu'une situation favorable ; c'est une condition d'existence.

Le tir de la bécasse n'est guère qu'une succession de coups risqués, par conséquent il apparaît qu'avant toutes choses il faut acquérir le moyen de les tenter.

L'oiseau monte presque toujours et tend ainsi à se rendre plus visible, mais avec une science de la dérobade qui abrège les secondes pendant lesquelles on l'aperçoit. Encore, bien souvent, ne fait-on que l'entrevoir, ou même que le deviner.

Lorsqu'on chasse vraiment la bécasse, lorsqu'on la cherche là où elle se tient, c'est-à-dire dans les pires fourrés, la première grande affaire est donc de pouvoir braquer son fusil dans sa direction. L'à-propos, l'intuition, la décision se chargent du reste, et la chance décide en dernier ressort.

La seconde grande affaire, intimement liée à la première, se situe dans la confiance qu'on peut accorder à son chien comme trouveur de gibier et comme retriever. L'indice de la plume qui vole haut dans l'air, confirmé par le retour du chien rapportant l'oiseau dont rien d'autre n'avait annoncé la chute, vous encourage et vous met dans la bonne voie, dont toute hésitation est bannie.

Le tir de la bécasse n'est pas continuellement infernal, mais il faut s'attendre à ce qu'il le soit. A son égard, le grand principe de la chasse au bois : toujours tirer sauf emprisonnement complet, ne souffre pas d'exceptions.

On sait qu'il faut tirer vite et haut. C'est tout ce qu'il est raisonnable de conseiller aux bécassiers occasionnels au sujet d'un tir où l'on ne fait jamais que ce qu'on peut.

Quant aux heureux que l'exclusive passion de chasser la bécasse tient au cœur, ils ne sont généralement pas manchots et n'ont pas besoin d'instructions.

Raymond DUEZ.

Le Chasseur Français N°648 Février 1951 Page 68