Au bois n’est pas
superflu ! On la trouve, en effet, dans la broussaille des haies, dans les
ajoncs, au bord d'un chemin creux en début de saison, où son tir est si différent
que bien des chasseurs qui ne peuvent pas tuer de perdrix les tuent assez régulièrement.
La bécasse au bois : c'est la bécasse tout court, objet d'adoration fervente,
appartenant aux mortels dont le rêve et la passion s'unissent dans le désir de la
tuer. Elle est l'oiseau par excellence pour ses fidèles, êtres à part que le
Destin façonne, marque et claustre en une caste clairsemée dont ne fait point
partie qui veut.
De la bécasse de
rencontre à la bécasse d'élection, la distance est la même qu'entre les
promesses et les actes !
Le vrai bécassier est une
manière d'ascète sans le savoir, qui traîne son apostolat parmi les ronces, les
branches et les fourrés. Ceux-là lui tiennent lieu de chapelle. Un ciel souvent
pluvieux lui sert de toit. Son chien, quand il est doué, accepte sa préférence,
la partage et va jusqu'à la dépasser. Il n'a de nez que pour la bécasse, dédaigne
le reste et demeure au service de l'oiseau qui revient tous les ans risquer sa
vie et déployer ses ruses sur les mêmes terrains.
L'arrêt symbolise la chasse à la bécasse ! Il en fait
un Art, alors que, servie par d'autres chiens, elle revient au simple niveau de
la chasse physique, si l'on ose dire, trop active, trop précipitée pour que le
plus petit souffle de poésie ose s'en approcher.
La bécasse est un souffre-douleur quasi divin pour ses
amants, qui lui réservent un trépas lamentable dans le souci des formes. Le mécanisme
du tir s'y trouve à tel point enfermé qu'il prend une importance secondaire. Il
demeure sous le joug de la situation que le chien est le seul à créer dans la
mesure incertaine de son pouvoir. Et ce pouvoir, qui dépend de ses dons, se
heurte à l'humeur journalière de la bécasse autant qu'à la configuration des
bois où l'on vient troubler son repos.
On assure que le tir est beaucoup plus aisé lorsqu'elle se lève
dans l’affolement que lui cause l'irruption de plusieurs spaniels ratissant le
terrain de toute leur conscience forcenée. Cette ruée ne lui donnant pas le
loisir de combiner ses ruses, ni de repérer l'arbre épais qui saura la masquer,
ses chances de salut doivent s'en ressentir.
Dans un sens, cette croyance n'est pas dénuée de raison d'être.
Le tir proprement dit profite de la circonstance, en principe, c'est-à-dire à la
condition que la position du tireur, à l'instant de l'envoi, lui permette de
manier librement son fusil, ou de tenir son équilibre.
La formule a du bon, mais tout dépend du bois dans lequel on
la met en pratique. Judicieusement employée, elle est généralement plus
productive que celle de la chasse au chien d'arrêt, tout en restant également
dans la catégorie de la chasse devant soi. Cette recherche de la bécasse
pendant laquelle le tireur mène en personne ses spaniels n'a pas de rapport
avec la sorte de battue que représente l'action des spaniels conduits par un
tiers, alors que le tireur est posté aux endroits favorables.
Lorsqu'on affirme que inefficacité est plus grande du côté des
spaniels que du côté du chien d'arrêt, on a le grand tort de ne pas spécifier
qu'en l'occurrence surtout il y a chien d'arrêt et chien d'arrêt.
Avec le meilleur d'entre eux ne chassant
qu'occasionnellement la bécasse, la sûreté de ses arrêts ne vous dégagera pas
de l'obligation rituelle qui consiste à faire partir la pièce s'il n'a pas été dressé
à forcer au commandement. Une fois par hasard, le tireur trouvera l'occasion de
se placer à peu près convenablement et de rencontrer à portée de sa main un
bout de bois mort, une pierre, ou bien un peu de terre qu'il lancera vers le
point d'arrêt pour effrayer l'oiseau bloqué. Cela réussira dans les limites où cela
peut réussir, autrement dit : selon la direction du premier coup d'aile, et
selon le temps laissé par la reprise en mains du fusil, puis de sa mise en
joue, entre l'envoi du projectile jouant le rôle de starter et l'effet qu'il a
produit. Si tout se passe comme on l'espère, le tir rencontre les meilleures
conditions possibles, et celui dont vous font profiter les spaniels n'est pas
plus avantageux.
Mais, nous le répétons, ce cas est exceptionnel. Bien plus
des trois quarts du temps, il faut s'y prendre comme on peut pour se frayer un
passage jusqu'au lieu de l'arrêt, faire lever la bécasse et la tirer quand elle
veut bien se laisser voir, et qu'on est suffisamment maître de ses mouvements.
La bécasse au chien d'arrêt, quand celui-ci est de cet
acabit, offre le tir le plus incertain sous tous les rapports, et rien n'est
plus vrai que de le considérer comme beaucoup plus ardu que celui dont vous
gratifient les spaniels.
En revanche, lorsque l'association homme et chien est formée
par deux bécassiers de carrière, les choses ne se passent plus ainsi. Aussitôt
son chien en arrêt ferme, le maître se place le mieux qu'il peut avant
d'obliger son chien à forcer. Si le chasseur est moins surpris par son départ
que si des spaniels le lui avaient donné, la bécasse se trouve dans le même cas.
Pendant le temps qu'elle accepte l'arrêt, elle reprend ses
esprits et machine ses chances de salut. Ce n'est pas le forcement du chien qui
l’arrête, et auquel très certainement elle doit s'attendre, qui fera échouer
ses combinaisons.
Ce n'est pas un grand bénéfice pour le tir.
Il semble donc résulter de cette comparaison que les chances
sont égales des deux côtés.
La réalité ne partage pas cet avis, parce que, avec un chien
d'arrêt bien spécialisé, on a beaucoup de raisons d'éviter l'emprisonnement de
son fusil, désagrément qui réduit le chasseur à l'état de paralytique. Aussi
bouché que soit le champ de tir par l'enchevêtrement de la végétation, la
possibilité d'y jeter un coup de fusil représente beaucoup plus qu'une
situation favorable ; c'est une condition d'existence.
Le tir de la bécasse n'est guère qu'une succession de coups
risqués, par conséquent il apparaît qu'avant toutes choses il faut acquérir le
moyen de les tenter.
L'oiseau monte presque toujours et tend ainsi à se rendre
plus visible, mais avec une science de la dérobade qui abrège les secondes
pendant lesquelles on l'aperçoit. Encore, bien souvent, ne fait-on que
l'entrevoir, ou même que le deviner.
Lorsqu'on chasse vraiment la bécasse, lorsqu'on la cherche là
où elle se tient, c'est-à-dire dans les pires fourrés, la première grande
affaire est donc de pouvoir braquer son fusil dans sa direction. L'à-propos,
l'intuition, la décision se chargent du reste, et la chance décide en dernier
ressort.
La seconde grande affaire, intimement liée à la première, se
situe dans la confiance qu'on peut accorder à son chien comme trouveur de
gibier et comme retriever. L'indice de la plume qui vole haut dans l'air,
confirmé par le retour du chien rapportant l'oiseau dont rien d'autre n'avait
annoncé la chute, vous encourage et vous met dans la bonne voie, dont toute hésitation
est bannie.
Le tir de la bécasse n'est pas continuellement infernal,
mais il faut s'attendre à ce qu'il le soit. A son égard, le grand principe de
la chasse au bois : toujours tirer sauf emprisonnement complet, ne souffre pas
d'exceptions.
On sait qu'il faut tirer vite et haut. C'est tout ce qu'il
est raisonnable de conseiller aux bécassiers occasionnels au sujet d'un tir où l'on
ne fait jamais que ce qu'on peut.
Quant aux heureux que l'exclusive passion de chasser la bécasse
tient au cœur, ils ne sont généralement pas manchots et n'ont pas besoin
d'instructions.
Raymond DUEZ.
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