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Le Setter Anglais

et ses vertus

Le setter anglais connaît près du chasseur français une telle faveur qu'il n'est pas téméraire de le dire le chien d'arrêt le plus répandu dans notre pays, en tout cas tout au long de la zone côtière qui va des départements du Nord à ceux du Sud-Ouest. En Bretagne en particulier, il a autant de fervents que l'épagneul breton et, il n'est pas si longtemps, l'emportait sur lui.

L'ensemble de ses qualités, sa faculté d'adaptation à la chasse des gibiers les plus divers, l'excellence de son nez, la fermeté de son arrêt et même son aptitude depuis longtemps reconnue à produire des métis avec les épagneuls indigènes l'ont fait connaître et apprécier. J'ose dire que c'est à cette faculté qu'il doit, dans une large mesure, sa diffusion. Il y aura bientôt soixante ans qu'il a été introduit en nombre dans le Nord de la Bretagne, où existait alors une variété légère de l'épagneul français atteignant la taille moyenne de 0m,55. Dans mon enfance, c'était le chien que je voyais autour de toutes les propriétés abritant un chasseur. Lorsque je pris mon premier permis, c'est avec un représentant de la race que je fis mes débuts. Ces chiens avaient très bon nez et arrêtaient très ferme. Ils étaient sous robe blanc marron ou blanc noir, mais non bleue. Des marques noires nettement délimitées et les membres pastillés de taches de même couleur. Aucun chien tricolore. Un moment alliés au gordon, d'où des métis tricolores à manteau, ils furent surtout et à répétition croisés avec le setter anglais. D'où, par voie de substitution, obtention de métis de plus en plus imprégnés de sang setter, dont ils avaient pris la physionomie et le comportement.

A remarquer que cette alliance anglo-française, qui avec d'autres races continentales donne des produits de trop grande vitesse pour la puissance de leur nez, ne présenta jamais cet inconvénient chez nos métis du premier degré, preuve de la qualité de la race indigène vouée à l'élimination. En effet, c'est à l'observation de ce succès qu'on se livra au croisement d'élimination. D'où, après un petit nombre d'années, les métis aux 7/8 ou aux 15/16 de sang setter si malaisés à distinguer du setter pur. Avant l'ère de la diffusion de l'épagneul breton en dehors des limites étroites de son berceau, les chasseurs des régions maritimes et même d'ailleurs se servaient exclusivement de ces « laveracks », comme ils les appelaient, et n'en voulaient point d'autres. Je n'assurerai pas qu'à l'heure où j'écris beaucoup encore ne professent pas la même opinion à l'égard du setter pur ou croisé. Cette expérience, entreprise sur une vaste échelle, a servi à démontrer la valeur du setter comme étalon de croisement. En l'occurrence, l'opération entreprise ne s'imposait pas absolument. En tout cas, elle nous a renseigné et, comme je l'ai dit, a beaucoup influé sur la diffusion du setter, excellent serviteur, ainsi qu'il est prouvé.

Beaucoup de setters anglais de ces temps lointains, j'ose dire presque tous, longilignes et près de terre, la tête légère, longue et bien ciselée, pratiquaient ces allures coulantes, couleuvrines, maintenant rares en France, où le setter, plus qu'en Grande-Bretagne, a pris tête, corps et allures manifestement influencés par une touche de sang pointer. Simple constatation sans insinuation malveillante ; ces setters, en vérité quelque peu autres que ceux d'autrefois, sont d'excellents chiens, ainsi qu'enseigne le spectacle de leur faveur jamais démentie.

Il faut pourtant dire de leur souplesse qu'elle n'est plus la même. Ceux chez qui le sang pointer domine présentent le quant-à-soi plus affirmé de celui-ci et des caractères physiques qui ne trompent pas, depuis la tête au crâne plus épanoui, avec ligne cranio-faciale tendant à converger en avant, la structure huntéroïde, jusqu'à ce joli fouet court et trop dépourvu de franges dont l'origine n'est pas douteuse. J'ai pu comparer les comportements de l'ancien et du moderne, et suis assez -fixé pour regretter l'introduction du sang pointer, que je révère, mais qui n'est pas à sa place ici. Les setters pointérisés, même pointéroïdes, demandent un dressage administré d'une main ferme, certains personnages montrant de la tête ou une excitabilité nerveuse incompatible, sans qu'il y ait de leur faute, avec l'obéissance naturelle du plus grand nombre des épagneuls. C'est pour avoir chassé avec un chien consciemment têtu et d'aspect très pointéroïde et une lice peu maîtresse de ses nerfs que je suis fixé. Celle-ci, très jolie bête, mais de haut potentiel nerveux, alliée à un trialer de beaucoup de sang, donna un trialer dont le dressage fut malaisé, et le reste de la portée comprit quelques sujets proprement odieux. En vérité, l'union du setter avec le pointer ne se recommandait pas.

A l'examen des revues illustrées britanniques, il apparaît qu’outre-Manche le type ancien, et d'ailleurs conforme aux données de l'histoire de la race, s'est conservé, il semble même qu'il y ait tendance à en exagérer certains caractères, ce qui est assez dans les habitudes sous l'influence des expositions. Certaines têtes manifestent d'une longueur vraiment excessive, si par contre, chez nous, il en est de trop refoulées. Enfin l'on sait que certains élevages pratiquent la production exclusive du chien d'exposition, d'où évanouissement de la qualité, comme il est à prévoir en l'occurrence. En France, où nous sélectionnons surtout sur celle-ci, la grande majorité de nos setters donnent satisfaction aux chasseurs, en tout cas manifestent du goût pour la chasse ; c'est pourquoi ils méritent indulgence pour les licences que certains prennent avec le prototype.

Ceci ne veut pas dire qu'il faille les accueillir d'une âme indifférente, il est à souhaiter, au contraire, de voir se multiplier les setters dans le modèle classique bien connu, qui d'ailleurs ne nous fait pas défaut.

Comme il est dit plus haut, le setter anglais doit sa grande diffusion aux nombreuses aptitudes dont il fait montre. Sa valeur pour la plaine n'est pas à évoquer. C'est un des rois de la plaine avec le pointer. Quiconque l'a essayé à la bécassine est fixé sur ses aptitudes comme chien de marais, s'il est entendu que celle-ci en est la reine. C'est là où le chien naturellement souple et pourvu du tempérament propre à l'épagneul est le seul indiqué.

La chasse à la bécassine postule le compagnon qui, tout en ne renonçant à aucune initiative, demeure maître de ses nerfs et reste toujours soucieux de travailler de concert avec le maître. Les indépendants, si brillants soient-ils, sont ici moins efficaces et portés à faire aussi quelques gaffes, parce que, par moments, moins guidés par la cervelle que par le système nerveux. Intelligent et équilibré toujours, ainsi doit être le chien à bécassine.

Lorsqu'on a longuement pratiqué le setter au bois, j'entends pour la chasse à la bécasse, on convient qu'avec le pointer ce sont les deux chiens qui les éventent de plus loin — il faut dire de très loin. Ils sont donc l'un et l'autre de magnifiques « inventeurs » (au sens étymologique) de gibier. Dans les régions où le taillis est coupé prématurément, interdisant au chasseur la circulation sous son ombrage, un chien faisant volontiers voler à l'ordre est indispensable. Le chien anglais classique n'aime pas beaucoup cette manœuvre, et on ne saurait l'en blâmer. En outre, comme il arrête de loin, on voit mal comment il la pourrait exécuter. Dans le Finistère, région si favorisée de la présence de la bécasse, l'usage du chien anglais se révèle efficace, d'autant qu'il fait équipe avec un second de moindre envergure et moyens, consentant volontiers à mettre l'oiseau sur l'aile au signal donné. Pareille équipe, lorsqu'elle est bien entraînée, se révèle extrêmement meurtrière. Peut-être le rendement en est-il supérieur encore à celui des spécialistes, dont beaucoup sont de ces setters plus ou moins purs, admettant volontiers de prendre licence avec les principes, mais aussi doués en nez que les ancêtres britanniques. On verra, dans un livre récemment réédité sur la chasse au marais, le parti qu'a tiré un sportsman picard bien connu de ces « demi-sang », pour parler comme les hommes de cheval. En réalité, beaucoup plus que cela, car en vérité le sang étranger domine.

La conclusion de ces observations sera pour encourager à la production du setter manifestant nettement du moral de la grande tribu des épagneuls, dont il est sans doute le plus brillant représentant, améliorateur aussi pour ses congénères, lorsqu'il a tous les titres voulus pour être qualifié de race pure.

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°648 Février 1951 Page 80