II semble que les lamproies soient des vertébrés assez
dégradés. Bien que classées parmi les poissons, elles paraissent tenir à la
fois des sangsues, des serpents et des vers. De ces derniers, elles ont la
forme générale, la flexibilité et la viscosité de la peau ; des serpents,
le mode de progression ; des sangsues, la bouche-ventouse. Leur système
ganglionnaire n'est pas localisé, et elles subissent certaines métamorphoses,
tout comme de nombreux crustacés et insectes. Le savant naturaliste Müller les
a rangées dans la division des « Cyclostomes » ou poissons à bouche
circulaire.
Par leur aspect extérieur, elles rappellent les anguilles, mais
elles manquent de nageoires pectorales et ventrales. Elles possèdent deux
dorsales, une anale et une caudale arrondie. Ces nageoires sont basses et
molles.
Ce qu'il y a de plus remarquable chez la lamproie, c'est sa
bouche, qui est ronde et entourée d'une grosse lèvre, dont l'anneau est soutenu
par un cartilage flexible. Sa forme générale simule un entonnoir conique,
tapissé de dents acérées et crochues. Au fond, s'aperçoit une grosse langue,
très mobile, qui constitue le piston de la ventouse.
L'œil est petit, immédiatement suivi de sept petites
ouvertures elliptiques par lesquelles pénètre le liquide qui va baigner les
branchies, non visibles de l'extérieur. La peau est lisse, visqueuse, sans
écailles apparentes. Ces singuliers poissons sont des migrateurs anadromes et
non catadromes comme l'anguille. Ils vivent dans toutes nos mers et remontent
nos fleuves et quelques-uns de leurs affluents pour y frayer en eau douce.
La progression en avant de la lamproie s'effectue par une
sorte d'ondoiement latéral du corps analogue à la reptation des serpents. Cette
progression est assez lente en courants rapides et comporte de nombreux arrêts,
pendant lesquels l'animal se fixe aux corps étrangers par sa bouche-ventouse.
Les barrages d'assez faible hauteur arrêtent les lamproies, et il ne semble pas
qu'elles empruntent la voie de terre pour les contourner, comme le font parfois
les anguilles. On a assuré que, pour gagner avec moins de fatigue les lieux de
frai, elles s'embusquaient au passage des aloses ou des saumons, se fixaient à
leur corps par leur puissante ventouse et se laissaient ainsi entraîner, pour
se libérer aux lieux propices. Les lamproies ont la vie très dure et résistent
à des blessures ou mutilations qui tueraient infailliblement tout autre
poisson, ce qui les rapproche encore des vers.
Nous avons, en France, trois espèces différentes de
lamproies, qui, relativement peu connues de nos confrères, qui ne les prennent jamais
à leurs hameçons, méritent quelques mots de description.
A. La lamproie marine (Petromyzon marina).
— est la plus grande de toutes. Elle mesure communément de 70 à 80 centimètres et peut peser
de 3 à 4 livres environ. Le dos est verdâtre, les flancs gris avec de
nombreuses marbrures brunes ; ventre blanc jaunâtre. Cette espèce passe la
plus grande partie de sa vie en mer ; elle remonte, au printemps, dans
tous nos neuves pour y frayer : dans la Loire, jusqu'en amont d'Orléans ;
dans le Rhône, au-dessus de Valence, et dans la Seine et la Garonne assez haut
aussi. La ponte se fait en mai-juin, dans les sables des bords où les lamproies
creusent une fosse, comme la truite le fait dans les graviers. En juillet, ces
poissons, épuisés par le frai, redescendent vers la mer, et on assure que bien
peu y parviennent.
B. La lamproie fluviatile (P. fluviatilis).
— Même moule que la précédente, mais de moitié plus petite : longueur, 0m,45
environ ; poids, 700 à 800 grammes. Corps gris foncé uniforme sur le dos,
gris clair, parfois rosé, sur les flancs, ventre blanchâtre. Comme l'autre,
elle vient de la mer, mais remonte plus haut et reste plus longtemps. On la
trouve dans la partie inférieure de quelques affluents. Fraie un peu plus tard
et ne redescend en mer qu'en octobre, en même temps que les anguilles. Se
nourrit, comme la première, de petites proies vivantes et de cadavres en
décomposition. Elle est considérée comme peu nuisible aux espèces indigènes.
C. La lamproie de Planer (P. Planeri).
— La plus petite des trois ; longueur d'un adulte : 0m,25 environ ; poids :
200 à 250 grammes. Même genre de vie ; remonte encore plus haut et jusque
dans certains ruisseaux de plaine, mais en nombre limité. Elle y fraye dans les
sables vaseux et se nourrit des proies infimes qu'elle y trouve.
La chatouille, dont nos pêcheurs se servent pour
appâter leurs cordeaux de nuit, est considérée comme la première forme, la
larve de la lamproie de Planer. Elle éclôt et vit dans le sable pendant trois
ans environ avant de se transformer.
Elle mesure, de 0m,10 à 0m,12 avec la grosseur d'un petit
crayon. Elle est aveugle, et sa bouche, sans dents, n'est pas organisée pour la
succion. Elle a la vie très dure, s'agite très longtemps à l'hameçon qui la
retient, et elle est fort prisée des gros poissons.
Certains savants ont avancé que cette lamproie passe toute
sa vie en eau douce, et elle a été même considérée comme une deuxième forme
larvaire de la lamproie fluviatile. Jusqu'à présent, rien de formel et de
précis n'a été prouvé à cet égard. Que de lacunes dans la science halieutique !
Je n'ai jamais capturé de lamproies dans nos régions, même aux filets ou
engins, ce qui me fait supposer qu'elles y sont très rares, sauf les « chatouilles ».
Cependant il m'est arrivé de goûter à la chair d'adultes
pris aux filets dans la région du bas Rhône. Cette chair, quoique un peu
jaunâtre et grasse, est assez bonne, moins toutefois que celle de l'anguille.
Comme tous les migrateurs, les lamproies deviennent chez
nous de plus en plus rares. On accuse les barrages et la pollution des eaux.
Sans doute cela y est pour quelque chose, car ce ne sont pas nos pêcheurs qui
en sont la cause : la lamproie ne mord pas à la ligne ; sa bouche
n'est pas conformée pour cela ; et je ne connais aucun confrère qui en ait
pris.
R. PORTIER.
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