Bien que le système d'alevinage par boîtes Vibert soit
appelé à une large extension, l'élevage, en pisciculture, d'alevins de truite
ne doit pas être négligé. Nous avons vu, en effet, que la boîte Vibert ne peut
se mettre partout et, d'autre part, l'alevinage est obligatoire dans les
piscicultures de truites de consommation.
Tout d'abord, quand faut-il commencer à nourrir l'alevin de
truite ?
A son éclosion, l'alevin n'est qu'une petite larve
translucide de 1cm,5 environ de longueur, pourvue à sa face ventrale d'une
énorme vésicule allongée qui servira, pendant un certain temps, de réserve
nutritive ; la résorption de cette vésicule durera environ un mois pour
une température d'eau comprise entre 8 et 12° ; cette résorption se fera
plus lentement chez la truite commune que chez l'arc-en-ciel.
Pendant les premiers temps et jusqu'à la résorption des 2/3
environ de la vésicule, on considère que l'alevin trouve toute la nourriture
nécessaire dans sa vésicule et qu'il n'a pas besoin d'aliments artificiels. La
technique actuelle veut cependant que l'on commence la nutrition des alevins vésiculés
un peu plus tôt, huit ou dix jours à peine après 1'éclosion.
Quelle nourriture faut-il donner à l'alevin ?
Il est bien évident que la nourriture des premiers jours,
voire même des premiers mois, ne sera pas la même que celle que pourra absorber
l'alevin quand sa bouche sera mieux formée et sa taille plus forte. Le meilleur
aliment à ce tout premier stade est constitué par la rate de bœuf fraîche,
qu'il faudra acheter auprès des abattoirs. Cette rate de bœuf sera d'abord bien
raclée avec un large couteau de cuisine et transformée en pulpe sanguinolente
que l'on tamisera sur un fin treillis métallique avant de la distribuer aux alevins ;
il s'agit, en effet, d'éviter, dans les premiers temps, que des fibres de
valeur nutritive nulle et de digestion difficile ne viennent encombrer
l'intestin de nos petits êtres. Dans les grands élevages, on pourra passer ces
rates dans des hachoirs à trous particulièrement fins.
On a proposé d'autres nourritures de remplacement, mais, à
part une farine étudiée spécialement qui ne se trouve pas encore dans le
commerce et sur laquelle je reviendrai prochainement, car elle a présenté de
grandes qualités, aucun autre aliment ne peut remplacer valablement la pulpe de
rate fraîche pendant ces premiers jours. Quand la vésicule est résorbée depuis
quelques jours, on peut encore continuer à nourrir l'alevin pendant trois mois avec
de la pulpe de rate ; on pourra également utiliser de la rate congelée
(provenant notamment de Madagascar), à condition toutefois d'ajouter quelques
gouttes d'huile de foie de morue pour suppléer à la carence de vitamines. Si
l'on voulait se rapprocher le plus possible des conditions naturelles, il
serait bon de donner aux alevins des proies vivantes telles que des larves
aquatiques des vers et de petits crustacés du plancton. Pratiquement, cela
n'est guère possible, à part une heureuse exception qui se produit au bénéfice
des piscicultures du lac Léman en Suisse, où le filtrage des eaux du lac pour
l'alimentation de la ville de Genève apporte sur les filtres une forte quantité
de plancton, recueilli et dirigé ensuite vers les élevages de truites. Ceci
est, on en conviendra, un peu particulier.
Toutefois, une nourriture d'appoint intéressante peut être
apportée par l'élevage en bassins artificiels soit de daphnies, soit de larves
de moustiques. L'élevage des daphnies est pratiqué couramment en Suisse, mais
je l'ai vu rarement bien réussir en France. En revanche, je suis arrivé bien
plus facilement, dans des bassins d'eau stagnante dans le fond desquels j'avais
déposé une épaisse couche de fumier, à obtenir en assez forte quantité, quand
l'eau devient assez tiède, des larves de moustiques, que je prélevais avec une
petite épuisette en gaze fine et que je distribuais en guise de dessert. Les
alevins, déjà très chasseurs, se précipitaient avec ardeur sur ces proies
vivantes et remuantes qui étaient rapidement capturées. Mais cela demande beaucoup
de travail et n'est guère possible dans de grosses piscicultures industrielles.
Un excellent aliment est constitué par la rogue fraîche, qui
est, on le sait, l'œuf de poisson de mer du genre de la morue ou du merlu et
qui se présente sous forme de petites sphères de 1 à lmm,5 de diamètre ;
les petits alevins en sont très friands. Cette rogue forme un aliment complet,
et divers auteurs (notamment R. Chimits dans sa thèse de doctorat vétérinaire)
ont prouvé que les résultats atteints dans l'élevage des alevins étaient aussi
bons en utilisant de la rogue que de la rate, tout en évitant l'avitaminose.
Si on ne dispose que de rate salée contenue dans des
tonneaux, il est prudent de la mettre à dessaler soigneusement pour éviter
l'entérite dans le délicat tube digestif de nos petits poissons, et même de
mélanger cette rogue avec de la farine d'orge finement tamisée.
On peut également donner aux alevins des mélanges, surtout
quand ils sont un peu plus grands, de foies d'animaux broyés ou de jaunes
d'œufs durs, ou de fromage blanc dans des farines.
La nourriture ne doit pas être distribuée en trop grande
quantité ; pendant les quinze premiers jours, on distribue 5 grammes de
pulpe de rate par mille alevins, quantité qu'on augmentera peu à peu pour
arriver à 10 grammes par jour pour cent alevins vers trois mois et parvenir à 1
gramme par jour par animal quand les truitelles ont huit-dix mois. Il sera
préférable de donner deux et même, plus tard, trois rations par jour. Afin
d'éviter la perte d'une nourriture aussi chère, on mettra la pulpe, ou la pâte
de farine, ou la pâtée de rogue sur de petits carrés en grillage qui seront
immergés, ou, mieux, sur de petits pots à fleurs bien propres sur le pourtour
desquels notre pâtée gluante sera tartinée.
Ce n'est qu'à partir de l'âge de trois mois que l'on pourra
donner à nos alevins des aliments moins délicats et, par conséquent, moins
chers. Notamment, des foies d'animaux pourront être distribués, à condition de
les hacher encore finement. Mais la meilleure alimentation (et je mets encore à
part cette poudre spéciale qui m'a donné d'excellents résultats à tous les âges
et qui, je le répète, ne se trouve pas encore dans le commerce) sera constituée
par du poisson de mer frais. Il s'agit évidemment de poissons de mer de déchet,
tels que les petits poissons provenant des chalutiers, ou de poissons de mer
n'ayant pas trouvé preneur et qui auront été soigneusement congelés et
conservés en frigorifique. On évitera naturellement les poissons à chair rouge
et ceux à chair trop grasse, toujours pour éviter d'embarrasser le tube
digestif de nos alevins. Le merluchon, le tacaud conviennent particulièrement;
au contraire, le hareng et la sardine, à chair trop huileuse, sont à prohiber.
A cet âge, de trois à six mois, on se gardera de passer le poisson de mer en
entier dans le hachoir, mais on enlèvera les têtes et les arêtes, et l'on
passera les filets ainsi obtenus dans un hachoir fin. La ration sera d'environ
1 gramme par jour pour dix alevins et sera petit à petit augmentée jusqu'à cinq-six
mois, pour atteindre 1 gramme par quatre ou cinq alevins, ration évidemment
distribuée deux ou trois fois par jour.
Si le poisson de mer de déchet est difficile à obtenir, on
pourra utiliser de la viande d'équarrissage et les déchets d'abattoir, à la condition
évidemment, surtout pour les très jeunes sujets, d'utiliser une viande fraîche
et sans mauvais goût. La viande hachée sera distribuée crue, ou, si l'on a des
difficultés pour sa conservation, on pourra la distribuer bouillie, et il sera
bon de la mélanger d'un peu de farine d'orge ou de seigle, et même d'un peu de
son fin. Enfin, et toutes les fois qu'on le pourra, de petits animaux vivants,
larves d'insectes notamment, seront distribués.
On trouve dans le commerce de la farine de poisson, de la farine
de viande, de la farine de crevette sous forme de poudre sèche. Ces farines
constitueront une nourriture de réserve en cas de non-arrivage de poisson de
mer ou de viande et seront mélangées à part égale avec du son et soigneusement
cuites à l'eau.
On considère que la truite de taille moyenne a suffisamment
mangé lorsqu'elle a consommé 1/20 de son poids par jour, mais, à l'état jeune,
elle a besoin d'une quantité plus forte, et l'alevin et la truitelle peuvent
facilement recevoir 1/10 de leur poids.
D'autre part, si le poisson est assez souple et peut tenir
sans manger plusieurs jours, rien n'est plus mauvais pour l'alevin que de subir
de tels à-coups ; c'est pour cela que le frigorifique est utile pour
pouvoir conserver la viande et le poisson à la température de 15°. Si l'on ne
possède pas une telle installation et si l'on veut que la croissance des
alevins soit vraiment rentable, il est nécessaire d'avoir un stock de réserve
de nourriture facilement conservable sous forme de farine. On recherche donc de
plus en plus à fabriquer de telles farines pouvant servir d'aliment complet
pour alevins et truitelles et comprenant, outre les quantités proportionnées de
féculents et d'albuminoïdes, des vitamines, dont le rôle dans la croissance
animale est maintenant bien connu. Mais seules des expériences bien suivies
permettent de déterminer les composantes d'un tel aliment de synthèse qui doit
être rigoureusement approprié à l'animal élevé.
Enfin, je le répète, la plus grande propreté doit être
observée, et, si toute nourriture tant soit peu avariée peut être, à la
rigueur, distribuée à des poissons de forte taille, elle doit être strictement
prohibée de la ration des alevins.
Delaprade
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