Une légende qui a la vie dure veut que les huîtres ne soient
consommables qu'en hiver. Profitons donc de la saison froide pour les pêcher !
Qu’il me soit pourtant permis, au passage, de m’inscrire en
faux contre une néfaste tradition, celle des mois en r, seuls favorables aux
huîtres.
Il est bien vrai que les huîtres laiteuses sont parfois
moins délectables que les autres (or c’est en été que les huîtres portent et
jettent leur laitance). Il est vrai également que les huîtres supportent
malaisément l’acheminement des parcs vers les centres de vente, lorsque s’échauffe
l’été. Il est vrai aussi que, les eaux côtières se contaminant plus rapidement
en été qu’en hiver, on a pu relever des cas d’intoxication par ingestion d’huîtres
plus souvent dans les mois chauds qu’au cours de la saison froide, ce qui a
fait attribuer à tort à l’huître estivale une nocivité qu’elle ne portait pas
en soi.
Il n’en reste pas moins que, sous ces réserves de saveur ou
de pollution (occasionnelle), les huîtres constituent en toute saison un
mets « de roi ». Ce doit être pour cela que l’huître ne se débite
chez nous qu’à des prix aussi élevés, en tout cas prohibitifs ! Où est le
temps, que nous sommes beaucoup encore à avoir connu, où la « plate »
se vendait sur nos côtes dix sous la douzaine, avec la treizième en prime !
Puisque les huîtres plates, certes supérieures en qualité
aux portugaises, n’atteignent plus ainsi nos tables, sauf aux fêtes
carillonnées (et encore !), le moment semble venu d’aller les chercher
gratuitement là où elles vivent — pas dans les parcs, tout de même, mais dans
la mer.
Je pense n’apprendre rien à personne en redisant, ici, qu’à
côté de l’huître d’élevage, qui naît, vit et prospère dans les parcs,
entretenue par d’expertes mains, il existe des huîtres sauvages qui ne le leur
cèdent en rien par la finesse et l'arôme, bien au contraire. Je veux ainsi
parler de l'huître dite vierge (de toute domestication), du pied-de-cheval qui
prolifère à sa guise dans les profondeurs rocheuses de l’océan.
Ces huîtres fauves sont de bien plus fortes dimensions que
les autres, et c’est tant mieux ! Elles parviennent à la largeur d’une
soucoupe et quelquefois même d’une assiette à dessert. Leur forme ne diffère
guère de celle des huîtres d'élevage. Pourtant leur valve inférieure est plus
bombée, de même que les bords des deux coquilles sont plus minces et toujours
ondulés. Dans la plupart des cas, ces huîtres de haute mer se couvrent de
parasites calcaires, de même que leurs coques sont parfois tapissées de petites
algues — ce qui en rend la découverte plus difficile.
Il tombe sous le sens que, ces huîtres sauvages ne vivant
que sur des fonds de 10 à 20 mètres, il demeure malaisé d’aller les y pêcher à
pied, sauf pour les adeptes de la pêche sous-marine — encore ceux-ci n’ont-ils
point coutume, du moins sur les côtes de Bretagne et de Normandie, riches en
huîtres « fauves », — d’effectuer des plongées en hiver. D’ailleurs
on ne pêche guère de telles huîtres qu’en bateau et au chalut d’acier, d’où
leur surnom fréquent d’huîtres de drague.
Le problème resterait donc insoluble aux pédestrians que
nous sommes s’il n'existait des grâces d'état pour les bassiers. On réussit, en
effet, à pêcher des huîtres sauvages aux lisières de basse mer, mais par
grandes marées, et surtout des marées d’un coefficient minimum de 110 — rien
qu'en suivant le fil de l’eau, le nez baissé.
Cette pêche exige cependant d’autres conditions encore que l’étiage
de la mer. Elle ne peut s’opérer que sur des fonds rocheux, singulièrement sur
des plateaux sous-marins de niveau presque uniforme et, naturellement, des
plateaux pourvus d’algues ou de varechs. L’huître est sans nul doute un
mollusque de rocher, qui ne s’accommode jamais bien des zones sableuses.
On suppose que ces huîtres-là proviennent du large, d’où
elles ont été décrochées par quelque tempête, et que, le courant les ayant
drossées en direction du rivage, elles s’y sont fixées, dès qu'elles ont pu y
parvenir, et des manières les plus diverses. Ce qui semble confirmer cette
hypothèse, c’est qu’il arrivera au pêcheur de dénicher des huîtres sauvages à la
dérive, simplement échouées parmi un lit de pierrailles et dépourvues de toute
amarre, alors que d’autres se seront déjà arrimées au rocher — au point qu’il
faut un solide coup de crochet, ou de botte, pour les en détacher.
Dans un cas comme dans l’autre, la difficulté primordiale
sera de les apercevoir, de déceler leur présence parmi tant de cailloux à qui elles
ressemblent étrangement. Il n’existe, hélas ! pas de radar ou d’appareil détecteur
susceptible d’éclairer le bassier au cours de sa prospection. Il lui faudra
donc examiner d’un œil aigu les plateaux sous-marins qu’il traverse pour y
découvrir alors les huîtres sauvages qui garniront (peut-être) son panier.
D’une manière générale, c’est surtout dans des passes
rocheuses, par où monte le flot, qu’on parviendra à dénicher des huîtres de
cette sorte, ce qui confirmerait l’hypothèse émise plus haut. Encore n’y a-t-il
là rien d’absolu, et il faut se garder, je crois, d’énoncer des principes dans
une matière aussi confuse. Il semble pourtant que ces huîtres « montent »
au littoral, poussées par le courant, puisqu’elles paraissent dépourvues de
tout moyen de locomotion et qu’il est, d’autre part, peu probable qu’elles
aient pu naître, toujours isolées qu’on les trouve, à une aussi faible distance
de la côte.
Ce qui reste pourtant indiscutable, c’est que ces huîtres
vierges ne se rencontrent jamais en bancs, mais au contraire séparées, et que
la plupart d’entre elles ne dépassent que de quelque 2 à 3 centimètres les
dimensions des plus grosses huîtres domestiques. J'ai entendu certains amateurs
prétendre qu’il s'agissait là d’huîtres d'élevage arrachées par la vague à leur
parc, ce qui pourrait, à la rigueur, s’admettre dans le voisinage immédiat des
carrés d’ostréiculture. Cependant, dans maints secteurs de la Manche ou de
l'Atlantique, il m’est arrivé de pêcher de fort beaux pieds-de-cheval, alors
que le centre d’élevage d’huîtres le plus proche était distant de plusieurs
lieues.
A condition de savoir inspecter avec soin les fonds rocheux
par où monte la mer, d’apprendre à distinguer une huître isolée d’un caillou,
en repérant du premier regard ses bords dentelés (c’est peut-être le plus sûr
procédé d’identification), à condition aussi de tenir son attention rivée au
sol, trois heures durant, et pendant tout le temps de la basse eau, à condition
enfin de ne se laisser jamais détourner de son but, qui est l’huître sauvage et
doit le demeurer — ne jamais courir deux mollusques à la fois ! — le bassier
patient et tenace parviendra à ramasser une douzaine de belles pièces, par
basse mer de nouvelle lune, voire de pleine lune. Et le régal qu’il en tirera
le récompensera largement de ses peines comme de ses pas.
Mais il existe une autre façon de pêcher l’huître, qu’on
peut utiliser surtout les années où la pieuvre vient à terre : ce fut,
malheureusement, le cas de la dernière saison estivale, où le poulpe foisonna.
La pieuvre a coutume, en effet, de se tapir, dès l’automne,
aux confins de la basse eau. Elle se loge ainsi, souvent, dans des nids de pierres
plates qu’elle semble aménager elle-même au fond d’un trou sableux, de ses
multiples bras. Se met-elle là à l'abri des grands froids ? Y gîte-t-elle
pour mieux surveiller les crustacés d’un plateau rocheux voisin ? Ou bien
vient-elle alors frayer, obéissant aux lois de l’espèce ? Je me garderai
bien de vous le dire, parce que ce n’est pas ici mon rôle, et qu’au surplus je
n’en sais rien ...
Mais j’ai pu parfois observer, et mes constatations sont rejointes
par celles d'autres bassiers, que de semblables nids de pieuvre étaient
fréquemment approvisionnés d’huîtres sauvages, dans un périmètre d’un ou deux
pieds (ce qui paraît correspondre à la longueur des tentacules de la bête). En
grattant le sable dans un rayon d’un mètre au plus, le bassier mettra souvent à
découvert quelques beaux pieds-de-cheval, peut-être amenés par la pieuvre comme
réserve alimentaire. Naturellement, il ne manquera pas de faire passer ces
précieuses prises du garde-manger de la pieuvre dans le sien, c’est-à-dire dans
son panier. Il est curieux de pêcher ainsi l’huître « par la bande »,
si l’on peut dire, sans efforts, et aux moindres frais.
Pour mieux guider les bassiers séduits par la perspective d’une
telle pêche, qui devrait être particulièrement productive cet hiver même, je
précise que ces « nids » sont presque toujours établis aux extrêmes
limites de basse eau, à assez faible distance de bancs rocheux à algues et dans
des zones de sable mou, généralement sur fonds de roc.
En raison de la singulière pullulation des pieuvres, cette
année, j’aimerais que mes amis les bassiers hivernaux me missent au courant du
succès de leurs pêches d’huîtres aux nids, en précisant les circonstances et
lieux de leurs captures. Ces communications me permettraient de consigner leurs
observations personnelles, au bénéfice des huîtriers de demain.
Maurice-Ch. RENARD.
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