Il fait froid. Moins, certes, dans nos contrées clémentes
qu'à Jakoust, en Sibérie, où le thermomètre enregistre, comme moyenne, - 43° en
janvier. Nous éprouvons cependant le besoin de nous réchauffer en nous emmitouflant
dans des lainages ou en nous serrant près d'un âtre ou d'un radiateur. Une
méthode moins paresseuse consiste à prendre de l'exercice, à scier des bûches.
L'athlète, lui, court dans les bois ou à travers la campagne.
Le cross-country est un sport typiquement hivernal. Trotter
en forêt est recommandé toute l'année. Cet entraînement sylvestre et bucolique
sert de base à la fameuse école suédoise, universellement prônée d'abord, puis
âprement discutée.
Les entraîneurs du centre, mondialement connu de Voloden
posent en principe que l'essentiel n'est pas de se préparer directement à
l'exercice d'un sport particulier, mais d'acquérir la meilleure condition
physique. L'homme fort, résistant, triomphe du spécialiste, même si ce dernier
s'est ingénié à répéter cent fois, mille fois, le geste, la foulée qui,
théoriquement, devraient lui assurer la victoire. Une santé parfaite, une
désintoxication complète de l'organisme sont le gage du succès.
En résumé, les entraîneurs suédois rejoignent dans leurs
conclusions les médecins qui conseillent à leurs clients de fuir une vie
sédentaire, de marcher, de faire du vélo, de chasser. Leurs prescriptions
n'apparaissent nullement géniales. Le citadin qui gagne pédestrement son bureau
au lieu de prendre un autobus, la ménagère qui fait ses courses à bicyclette s'entraînent
sans le savoir — comme M. Jourdain faisait de la prose.
Dans le domaine sportif, la méthode suédoise a été
considérée longtemps comme révolutionnaire. Il semblait paradoxal de préconiser
des promenades, même accélérées, dans la nature, alors que des pistes avaient
été tracées en vue de la préparation des athlètes. Longtemps, chronomètre en
main, des spécialistes ont surveillé du bord des cendrées les évolutions de
leurs « poulains », dont ils réglaient savamment les efforts. A la méme
époque, « sprinters » et « stayers » tournaient sur les
anneaux d'érable ou de ciment des vélodromes pour acquérir le coup de pédale et
la vélocité nécessaires. Jamais un « pistard » ne s'égarait sur les
routes où il aurait craint de perdre la souplesse de ses muscles.
Mais, en sport comme dans maintes sortes d'activité, les
résultats décident. La préparation la plus rationnelle, la plus scientifique,
ne vaut rien si elle aboutit à des défaites. Devant les succès, incessamment répétés,
des Scandinaves, les notions anciennes ont été révisées. A Paris, ce n'est pas
vers les stades qu'ont été aiguillés Hansenne et ses jeunes émules, mais vers
le Bois de Boulogne. Là, le matin, dans des allées solitaires et silencieuses,
les champions actuels ou futurs se livrent à des évolutions assez étranges pour
les non-initiés. Successivement, ils marchent à grands pas comme des gens
pressés, prennent le pas gymnastique, s'emballent sur une distance de quelque
cent mètres, s'arrêtent, pratiquant des mouvements de culture physique,
repartent en trottinant. Il ne s'agit pas de fantaisies de jeunes hommes lâchés
en liberté, mais de l'exécution d'un programme bien réglé.
Du stade, ces athlètes ne franchissent les portes que les
jours de compétition ou, exceptionnellement, pour un bref essai, la
vérification d'un temps de passage.
Fait plus extraordinaire encore, il existe des champions
authentiques qui ne s'entraînent pour ainsi dire jamais. Le type de ces
phénomènes est Bally, le plus extraordinaire coureur, sans doute, que la France
ait possédé. Le Lyonnais de vingt-sept ans, quasiment imbattable en Europe sur
100 et 200 mètres, a égalé, à la fin de la saison dernière, le record des 400
mètres à un dixième de seconde près. Pour les prochains Jeux Olympiques, Bally
prémédite un exploit sur 800 mètres. Une telle progression est sans exemple.
Or Bally, considéré naguère comme fragile, a connu
l'épanouissement rapide et stupéfiant de ses qualités natives depuis qu'il ne
met plus les pieds sur une piste, sauf pour se mesurer avec ses rivaux et, le
plus souvent, les vaincre. Bally s'est révélé quand il a compris que la
discipline sportive la mieux adaptée à son organisme consistait à mener
l'existence d'un travailleur assidu à son ouvrage, d'un citoyen à la vie bien
réglée, d'un époux modèle et d'un amateur de cinéma, voire de romans policiers.
Ainsi s'est vérifiée, une fois de plus, la vérité de l'adage
socratique : le grand secret est d'abord de se connaître soi-même.
L'exemple de Bally ne peut, certes, être converti en une
règle absolue. Tout au plus sert-il à vérifier l'exactitude d'un autre adage :
l'excès en tout est un défaut. Combien de jeunes gens épris de sport gaspillent
sottement leurs forces, leurs enthousiasmes, et s'éteignent prématurément, tels
des météores, pour n'avoir pas su se ménager.
Nous avons fait une brève allusion aux cyclistes, à qui va la
faveur populaire, et, plus précisément, aux spécialistes de la piste. Le cas de
l'Anglais Reginald Harris et celui du Français Raoul Lesueur sont typiques et
apportent des arguments à ceux qui prônent la méthode suédoise. Champions du
monde tous deux en 1950, ces deux hommes s'entraînent uniquement sur les routes
hiver et été, par temps glacial ou en période de canicule. Ils ne redoutent pas
d'endurcir leurs articulations par une besogne souvent rude. Ce qu'ils
recherchent avant tout, c'est le grand air, sain et salubre.
Nous pourrions aborder d'autres branches de cet arbre aux
innombrables rameaux qu'est le sport. Partout nous constaterions des évolutions
parallèles. Partout nous relèverions des tendances à l'évasion de spécialités
trop étroites. Alors que les machines, de plus en plus nombreuses, assument des
tâches chaque jour plus précises, plus fixées, l'homme se libère de
l'automatisme. A l'espèce de monstre, artificiellement façonné, aux membres
énormes ou grêles, au torse exagérément bombé ou squelettique, se substitue un
être harmonieux, un athlète complet à la fois vigoureux et souple.
Le gain est considérable, même du côté de l'esprit. Les activités
de la vie au grand air reposent et stimulent tout ensemble l'intelligence.
L'oxygène vivifie les cellules du cerveau comme le sang. Et les spectacles
offerts par la nature surpassent en calme beauté les chefs-d'œuvre de l'art.
Tous, si nous ne sommes pas prisonniers des villes, nous
pouvons pratiquer la méthode suédoise ou, plus exactement, la méthode
naturelle, d'essence française. Beaucoup de nos lecteurs en goûtent les profits
et les charmes, sans savoir qu'elle a un nom. Aux autres, nous oserons conseiller
de secouer l'engourdissement des jours de froidure.
Courir dans les bois ! Ce « slogan » en vaut
bien d'autres. Et il est sans danger.
D'autant plus que, si notre âge nous l'interdit, il ne
défend pas de substituer à la course la marche accélérée, avec, pour compagnon,
un chien qui humera comme nous les bonnes odeurs de la terre.
Jean BUZANÇAIS.
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