Accueil  > Années 1951  > N°648 Février 1951  > Page 92 Tous droits réservés

Entraînement hivernal

Courir dans les bois

Il fait froid. Moins, certes, dans nos contrées clémentes qu'à Jakoust, en Sibérie, où le thermomètre enregistre, comme moyenne, - 43° en janvier. Nous éprouvons cependant le besoin de nous réchauffer en nous emmitouflant dans des lainages ou en nous serrant près d'un âtre ou d'un radiateur. Une méthode moins paresseuse consiste à prendre de l'exercice, à scier des bûches. L'athlète, lui, court dans les bois ou à travers la campagne.

Le cross-country est un sport typiquement hivernal. Trotter en forêt est recommandé toute l'année. Cet entraînement sylvestre et bucolique sert de base à la fameuse école suédoise, universellement prônée d'abord, puis âprement discutée.

Les entraîneurs du centre, mondialement connu de Voloden posent en principe que l'essentiel n'est pas de se préparer directement à l'exercice d'un sport particulier, mais d'acquérir la meilleure condition physique. L'homme fort, résistant, triomphe du spécialiste, même si ce dernier s'est ingénié à répéter cent fois, mille fois, le geste, la foulée qui, théoriquement, devraient lui assurer la victoire. Une santé parfaite, une désintoxication complète de l'organisme sont le gage du succès.

En résumé, les entraîneurs suédois rejoignent dans leurs conclusions les médecins qui conseillent à leurs clients de fuir une vie sédentaire, de marcher, de faire du vélo, de chasser. Leurs prescriptions n'apparaissent nullement géniales. Le citadin qui gagne pédestrement son bureau au lieu de prendre un autobus, la ménagère qui fait ses courses à bicyclette s'entraînent sans le savoir — comme M. Jourdain faisait de la prose.

Dans le domaine sportif, la méthode suédoise a été considérée longtemps comme révolutionnaire. Il semblait paradoxal de préconiser des promenades, même accélérées, dans la nature, alors que des pistes avaient été tracées en vue de la préparation des athlètes. Longtemps, chronomètre en main, des spécialistes ont surveillé du bord des cendrées les évolutions de leurs « poulains », dont ils réglaient savamment les efforts. A la méme époque, « sprinters » et « stayers » tournaient sur les anneaux d'érable ou de ciment des vélodromes pour acquérir le coup de pédale et la vélocité nécessaires. Jamais un « pistard » ne s'égarait sur les routes où il aurait craint de perdre la souplesse de ses muscles.

Mais, en sport comme dans maintes sortes d'activité, les résultats décident. La préparation la plus rationnelle, la plus scientifique, ne vaut rien si elle aboutit à des défaites. Devant les succès, incessamment répétés, des Scandinaves, les notions anciennes ont été révisées. A Paris, ce n'est pas vers les stades qu'ont été aiguillés Hansenne et ses jeunes émules, mais vers le Bois de Boulogne. Là, le matin, dans des allées solitaires et silencieuses, les champions actuels ou futurs se livrent à des évolutions assez étranges pour les non-initiés. Successivement, ils marchent à grands pas comme des gens pressés, prennent le pas gymnastique, s'emballent sur une distance de quelque cent mètres, s'arrêtent, pratiquant des mouvements de culture physique, repartent en trottinant. Il ne s'agit pas de fantaisies de jeunes hommes lâchés en liberté, mais de l'exécution d'un programme bien réglé.

Du stade, ces athlètes ne franchissent les portes que les jours de compétition ou, exceptionnellement, pour un bref essai, la vérification d'un temps de passage.

Fait plus extraordinaire encore, il existe des champions authentiques qui ne s'entraînent pour ainsi dire jamais. Le type de ces phénomènes est Bally, le plus extraordinaire coureur, sans doute, que la France ait possédé. Le Lyonnais de vingt-sept ans, quasiment imbattable en Europe sur 100 et 200 mètres, a égalé, à la fin de la saison dernière, le record des 400 mètres à un dixième de seconde près. Pour les prochains Jeux Olympiques, Bally prémédite un exploit sur 800 mètres. Une telle progression est sans exemple.

Or Bally, considéré naguère comme fragile, a connu l'épanouissement rapide et stupéfiant de ses qualités natives depuis qu'il ne met plus les pieds sur une piste, sauf pour se mesurer avec ses rivaux et, le plus souvent, les vaincre. Bally s'est révélé quand il a compris que la discipline sportive la mieux adaptée à son organisme consistait à mener l'existence d'un travailleur assidu à son ouvrage, d'un citoyen à la vie bien réglée, d'un époux modèle et d'un amateur de cinéma, voire de romans policiers.

Ainsi s'est vérifiée, une fois de plus, la vérité de l'adage socratique : le grand secret est d'abord de se connaître soi-même.

L'exemple de Bally ne peut, certes, être converti en une règle absolue. Tout au plus sert-il à vérifier l'exactitude d'un autre adage : l'excès en tout est un défaut. Combien de jeunes gens épris de sport gaspillent sottement leurs forces, leurs enthousiasmes, et s'éteignent prématurément, tels des météores, pour n'avoir pas su se ménager.

Nous avons fait une brève allusion aux cyclistes, à qui va la faveur populaire, et, plus précisément, aux spécialistes de la piste. Le cas de l'Anglais Reginald Harris et celui du Français Raoul Lesueur sont typiques et apportent des arguments à ceux qui prônent la méthode suédoise. Champions du monde tous deux en 1950, ces deux hommes s'entraînent uniquement sur les routes hiver et été, par temps glacial ou en période de canicule. Ils ne redoutent pas d'endurcir leurs articulations par une besogne souvent rude. Ce qu'ils recherchent avant tout, c'est le grand air, sain et salubre.

Nous pourrions aborder d'autres branches de cet arbre aux innombrables rameaux qu'est le sport. Partout nous constaterions des évolutions parallèles. Partout nous relèverions des tendances à l'évasion de spécialités trop étroites. Alors que les machines, de plus en plus nombreuses, assument des tâches chaque jour plus précises, plus fixées, l'homme se libère de l'automatisme. A l'espèce de monstre, artificiellement façonné, aux membres énormes ou grêles, au torse exagérément bombé ou squelettique, se substitue un être harmonieux, un athlète complet à la fois vigoureux et souple.

Le gain est considérable, même du côté de l'esprit. Les activités de la vie au grand air reposent et stimulent tout ensemble l'intelligence. L'oxygène vivifie les cellules du cerveau comme le sang. Et les spectacles offerts par la nature surpassent en calme beauté les chefs-d'œuvre de l'art.

Tous, si nous ne sommes pas prisonniers des villes, nous pouvons pratiquer la méthode suédoise ou, plus exactement, la méthode naturelle, d'essence française. Beaucoup de nos lecteurs en goûtent les profits et les charmes, sans savoir qu'elle a un nom. Aux autres, nous oserons conseiller de secouer l'engourdissement des jours de froidure.

Courir dans les bois ! Ce « slogan » en vaut bien d'autres. Et il est sans danger.

D'autant plus que, si notre âge nous l'interdit, il ne défend pas de substituer à la course la marche accélérée, avec, pour compagnon, un chien qui humera comme nous les bonnes odeurs de la terre.

Jean BUZANÇAIS.

Le Chasseur Français N°648 Février 1951 Page 92