Allais, le grand as français du ski, qui actuellement
enseigne nos méthodes dans les Montagnes Rocheuses, vient de faire une
déclaration à la presse qui ne manquera pas de surprendre pas mal de skieurs.
« Nous nous sommes trop enfermés dans les pistes,
a-t-il dit en substance, il ne faut pas perdre de vue la neige profonde. Nos
meilleurs skieurs sont désorientés dès que l'on sort des chemins battus. »
Venant d'un praticien aussi compétent, l'avertissement vaut la
peine d'être écouté.
Les Américains, en effet, ont, tout comme les Européens,
quantité de stations où le ski « de descente » se pratique exactement
comme chez nous, mais en plus, à mesure que l'on remonte vers le Nord, au
voisinage du Canada, et de. la Colombie britannique, ils possèdent d'immenses
plaines enneigées, plus grandes que la France, où le ski est en passe de
détrôner les raquettes. Mais c'est là le domaine de la neige profonde, sans
traces frayées, où certaines de nos techniques se révèlent insuffisantes.
L'arrêt, par exemple, se pratiquera bien plutôt par l'antique méthode de
Telemark que par les dérapages plus modernes si efficaces sur neige battue,
Là, comme en Finlande et dans l'Est de la Suède, la marche
rapide en terrain plat devient un des appoints nécessaires pour faire un
parfait skieur. N'oublions pas que, au début de ce siècle, les Jeux Nordiques
comportaient une course de vingt-quatre heures, une manière de Bol d'Or,
prodigieusement athlétique, où il n'était pas rare de voir les premiers
concurrents abattre 220 à 230 kilomètres — Lyon-Avignon, par exemple — tous
arrêts compris. Sans vouloir pousser jusqu'à ces chiffres, que le peu de
surface enneigée de notre pays rend impossible, il est constant, et c'est là
certainement ce qu'a voulu dire Allais, que le skieur qui n'a jamais pratiqué
que l'éternel parcours du sommet à la base des téléphériques est quelque peu
noyé lorsqu'il se risque en « haute mer ».
II n'est pas jusqu'au matériel lui-même qui ne porte
l'empreinte de cette spécialisation à outrance. Notre ski est un ski de
descente, rigide de l'avant, à spatules courtes et peu élevées. En neige
poudreuse, il est nettement désavantagé. Lorsque l'on ne circule pas dans une
ornière déjà toute tracée, par rapport à des modèles plus anciens à plus long
rayon de courbure, dont l'avant déjauge comme un hydroglisseur sur la neige la
moins portante.
Est-ce à dire que nous devons tous avoir deux paires de skis
différentes, comme l'on a des patins de hockey à lames droites et d'autres à
lames courbes pour les figures ? Le prix élevé du ski rendrait cette
pratique difficile. Mais, sans rien changer à nos bois ni à nos attaches, sauf
pour éviter de régler les câbles de celles-ci en perpétuelle descente avancée,
nous pouvons fort bien, un beau jour, dérailler de la piste et partir en forêt
ou à travers prés. C'est alors une impression curieuse, dont on ne se rend
compte que lorsque, pour une cause quelconque, on est amené à quitter ses skis.
Sur les pistes tassées comme de l'asphalte, on pose le pied à terre ... et
rien ne se passe. Dans la neige impalpable accumulée sous les sapins, on
enfonce soudain jusqu'à mi-cuisse, comme dans des sables mouvants. L'expression
d'ahurissement du pauvre homme à qui cela arrive pour la première fois m'a
toujours rempli d'une joie intense. Certains s'empressent de s'asseoir sur
leurs skis, comme des nageurs craignant de couler à fond, qui ne veulent pas
lâcher leur bouée. En descente, les réactions du ski sont également
différentes, l'appui se produisant sur toute la surface et non point seulement
sur l'angle de la carre. Bref, il y a là, à côté du ski-luge bipède, modèle à
peu près unique des grands centres en vogue, une réalisation plus complète,
plus adaptée au tourisme, car c'est d'un véritable tourisme qu'il s'agit, dans
les montagnes américaines où les centres aménagés tiennent autant de place que
des piqûres d'épingles sur une carte à grande échelle, et où l'on peut circuler
des semaines entières sans croiser une piste.
Allais, mégevand et grand spécialiste du ski de descente et
du combiné alpin, vient à propos pour nous rappeler qu'il est des régions où le
ski tend à devenir, l'hiver, ce que chez nous est l'été la bicyclette, et il
nous force à ouvrir les yeux sur l'ensemble du paysage blanc, et non sur le
rail étroit et balisé de la piste dure. Déjà les épreuves de l'hiver 1949-1950,
en haute Maurienne, avaient été, pour beaucoup, une révélation. Il est à
souhaiter que la nouvelle saison de ski voie se multiplier ces rallyes de
plusieurs jours, moins artificiels que le ski académique des écoles et des
pistes, et qui, pour beaucoup, seront une révélation de la beauté des Alpes à
côté du sport pur.
Robert LARAVIRE.
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