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La combustion spontanée

des fourrages

C'est un fait bien connu que les matières organiques d'origine végétale : fourrages, pailles, grains, fumiers, s'échauffent facilement quand elles sont entassées sans être suffisamment sèches. Ce n'est pas toujours un inconvénient et cette propriété est même utilisée pour produire de la chaleur (couches) ou pour achever la dessiccation de l'ensemble, en particulier dans les départements de l'Ouest de la France, où les travaux de fenaison sont souvent, en dépit d'un climat volontiers humide, effectués assez sommairement.

La température atteint facilement 40 à 45°, mais elle peut monter jusqu'à 75, 80 et 85°, Habituellement elle baisse ensuite, non sans que des modifications importantes ne se soient produites dans la masse, avec une perte plus ou moins considérable d'hydrates de carbone.

Faut-il croire que la masse ainsi échauffée soit capable de s'enflammer spontanément ? La question est controversée. Nombreux sont ceux qui le nient purement et simplement. Certes, disent-ils, toutes les conditions, favorables à l'incendie sont réunies ; il faudra très peu de chose pour le provoquer, mais il n'éclatera pas sans une cause extérieure, criminelle ou fortuite. Le responsable évitera bien entendu de se faire connaître, et même cherchera à masquer son intervention. Ne sachant à quoi attribuer l'incendie, on déclarera « combustion spontanée ». Il en est, estiment-ils, de l'incendie des tas de fourrages comme des incendies de forêts lors des étés secs. Sans l'étincelle indispensable, ils n'éclatent pas.

D'autres, cependant, sont persuadés que l'inflammation spontanée est possible, et même qu'elle est relativement fréquente. La température, affirment-ils, peut s'élever bien au delà de 85°, ce qui ne suffirait pas à provoquer l'inflammation, mais bel et bien atteindre 300°. Il se produit une combustion sourde qui donne un charbon pulvérulent très inflammable. Pour peu que l'oxygène de l'air parvienne alors à son contact par une fissure, la flamme peut jaillir et l'embrasement du tas de fourrage est quasi instantané. L'origine de cette augmentation de température est évidemment due à des ferments, et un certain nombre d'entre eux ont été identifiés. Ils semblent toutefois incapables de provoquer les 300° nécessaires à la combustion spontanée, et cela d'autant plus qu'ils seraient certainement morts auparavant. Les spores sont évidemment plus résistantes, mais on peut émettre des doutes sur leur activité. Il semble plus probable que se produisent des réactions chimiques et des oxydations d'autant plus intenses que la température est elle-même plus élevée.

Cette thèse ne manque pas de vraisemblance, et pour l'appuyer ses partisans font état d'un certain nombre d'exemples dont certains ne laissent pas d'être troublants. Jules Verne s'en est fait l'écho dans un de ses romans, Le Chancellor, si ma mémoire est exacte, où il suppose qu'une cargaison de coton s'est enflammée spontanément, causant la perte du cargo qui la transportait.

II convient cependant de noter qu'il n'existe pas d'expériences conduites avec la rigueur scientifique actuellement en usage pour permettre d'affirmer de façon absolue que cette combustion est ou n'est pas possible. Il n'a, à ma connaissance, rien été fait de semblable aux expériences de Pasteur sur la génération spontanée. Même dans les cas où la combustion spontanée paraît l'hypothèse la plus plausible, il reste un doute que ses adversaires peuvent exploiter. En tout cas il faut, sans doute, se garder d'attribuer à la combustion spontanée tous les incendies de fourrages dont l'origine reste douteuse, tout en ne l'éliminant pas systématiquement.

Quoi qu'il en soit, il y a là une possibilité de danger contre lequel il convient de prendre des précautions : d'abord n'entasser que des fourrages bien secs et, si les intempéries ne l'ont pas permis, ménager dans la masse des cheminées d'aération et ajouter du sel dénaturé, ce qui empêchera certaines fermentations et, partant, un échauffement excessif.

Quand bien même on ne croirait pas à la combustion spontanée, on se trouverait bien de ces pratiques, car, de toute façon, le fourrage qui a chauffé a perdu une très grande partie de sa valeur nutritive. II peut même devenir franchement nocif, et on cite des cas de décès d'animaux consécutifs à son absorption.

Des précautions particulières sont à prendre avec le regain qui s'échauffe encore plus facilement que le foin. Il est en outre plus difficile à sécher parce qu'il est moins mûr à l'époque où on le coupe, et la saison ne laisse plus alors briller qu'un soleil atténué pendant un nombre d'heures limitées.

Ces précautions prises, an aura la satisfaction de disposer de fourrage de qualité et de n'avoir plus la hantise de voir le feu anéantir meules et granges, sans que personne n'en soit cause.

R. GRANDMOTTET,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°648 Février 1951 Page 101