Autrefois, au temps des bonnets de dentelle et des cotillons
courts, nos ancêtres fêtaient dignement les Rois mages, dont ils pouvaient admirer
les portraits, évidemment plus ou moins ressemblants, mais fort étranges, à la
crèche de l'église voisine.
En Normandie, ce jour-là, les gamins parcouraient les rues, armés
de torches dites coulines qui, à maintes reprises, donnèrent lieu à des
sentences judiciaires, étant donnés les risques d'incendies. Le mercredi 30
décembre 1722, le procureur du roi de Bernay représenta que « plusieurs
enfants, escoliers, jeunes gens et autres, sont dans le mauvais usage, la
veille et le jour des Roys, de porter dans les rues et sous les porches de
cette ville des espèces de fallots de bois brisés ou de paille. » En
conséquence, il interdit de pratiquer dorénavant cette aimable coutume. Celle-ci
dut toutefois continuer comme par le passé, car, le 19 décembre 1727, le
lieutenant de police de Bernay rappela à ses concitoyens l’interdiction
formulée quelques années plus tôt et il ajouta :
« Comme les chandeliers de cette ville sont dans le
mauvais usage de donner aux enfants de cette ville des espèces de petites
chandelles qui ne sont qu'une mèche trempée dans le suif pour porter allumées
le long des porches et dans les rues de cette ville ... nous avons fait deffences
à tous chandeliers de cette ville de faire et fabriquer aucunes desdites
chandelles. » Les épiciers bernayens promirent de se conformer à cette
ordonnance, et, en 1728, on autorisa la promenade aux flambeaux à condition que
ceux-ci fussent désormais « dans des lanternes bien fermées ». Les
garçons, en dépit de la police, continuèrent à illuminer, et on dut sévir de
nouveau.
Dans toutes nos provinces, les 5 et 6 janvier étaient
prétexte à des réunions de famille ou à des coutumes pittoresques.
Vers 1830, dans le Berry sancerrois, à Azy, les jeunes gens
et les jeunes filles quêtaient, le matin du 6 janvier, la part de gâteau
réservée lors du tirage de la veille ; ils chantaient une sorte de mélopée
en demandant la part à Dieu, tout en contant la tragique histoire de Notre-Seigneur :
Nous l’avons vu vivre et vu naître ;
nous l'avons vu après sa meurt (sic)
les étoil's comme, une chandelle,
la Vierge qui va devant,
a va toujours pleurant son sang :
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La part à Dieu ! les rois ! les rois !
Ah ! la part à Dieu s'il vous plaît.
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Autrefois, dans cette région, si un valet tirait la fève, il
devenait le maître, et le patron servait a son tour son domestique pendant le
repas. Le roi avait une petite cour et un bouffon couronné de paille comme une ruche
« à mouches ». Pieusement, on se rendait à la messe et, à la sortie,
chaque roi des maisons du village faisait un discours ponctué de coups de
fusils ; enfin, on se rendait tous en chœur à la ferme où avait lieu un
banquet.
Les différentes régions de la France avaient chacune leur
manière particulière de désigner le monarque d'un jour. Parfois, on prenait
tout bonnement un légume sec provenant du potager. Dans le Nord de la France,
on utilisait de petits billets spéciaux imprimés par des lithographes locaux.
Ces papiers étaient découpés et mis dans un chapeau ; ils servaient à
attribuer à chacun sa fonction : médecin du roi, fou, serviteurs,
échanson, etc. Le grand graveur, Abraham Bosse, a même daigné, au XVIIe siècle,
graver une suite très rare aujourd'hui de « billets des Rois ». La
petite poupée en porcelaine ne date guère que de 1874.
De nos jours, les boulangers vendent avec leur galette —
offerte avant 1914 par le mitron à ses clients — des couronnes en carton,
symboles de cette éphémère souveraineté.
Au moyen âge, nos ancêtres ceignaient leur crâne de bandes
de plomb estampé portant des décors et montées sur des feuilles de parchemin.
Des marchands parcouraient les rues en les proposant aux chalands, et leur
annonce a été recueillie dans les Cris de Paris, au XVIe siècle :
Quand des Rois approche la feste
sçachez à qui je m'embesogne ;
je m'en vais crier : des couronnes
pour mettre aux Rois dessus leurs testes !
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L’innocente galette fut, à plusieurs reprises, interdite par
le Gouvernement. Au XVIIIe siècle, par suite de récoltes déficientes, et depuis
1940 pour la même raison, cette pâtisserie traditionnelle disparut des
étalages. Sous la Révolution, jugée « aristocratique », elle subit
aussi les foudres de la loi, que bien des Français tournaient en préparant
eux-mêmes le gâteau « réactionnaire ». La tourmente passée, les
Parisiens et les provinciaux revinrent à leurs chères habitudes. Les plus
grands personnages sacrifiaient à cette coutume charmante. Nous savons, par
exemple, qu'en 1802 l'illustre Chateaubriand, l'écrivain de Chenedollé, M. de
Fontanes, d'autre encore proposèrent de rétablir, dans leur cénacle, la fête
des Rois « qui avait dû, écrit un des membres de ce petit groupe, être
oubliée, dans les années désastreuses par lesquelles on venait de passer,
puisque, bien loin de pouvoir songer au gâteau, on avait eu beaucoup de peine à
se procurer du pain ! et que le fait seul de la commémoration aurait pu
devenir un titre de proscription et un arrêt de mort ».
Ce jour-là, le paysan ne manquait point de noter le temps
afin d'en déduire quelques prévisions. Si, le 5 janvier, un grand nombre
d'étoiles luisaient dans le ciel, c'était signe d'un été chaud mais sec et, en
revanche, d'une ponte abondante des poules. Dans l'Isère, la pluie des Rois
annonçait une grande abondance de vin ; en Franche-Comté, on disait :
Pour les Rois,
goutte au toit,
saison de pois ...
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et aussi : « Quand le soleil luit aux Rois, le
chanvre croît sur les toits. » Nous ne nous porterons évidemment pas garant
de ces affirmations ...
Bien entendu, la superstition se mêlait toujours à la
célébration de cette fête. Dans un certain village du Jura, on avait coutume
d'affirmer que, la veille des Rois, Hérode franchissait l'espace avec ses
piqueurs et ses chiens ; c'est là un exemple de la fameuse mesnie Hellequin,
ou chasse sauvage connue dans toute la France.
Pendant le cycle des douze jours, c'est-à-dire de Noël aux
Rois, on ne devait pas faire la lessive sous peine de malheurs ; dès le XVIIe
siècle, le curé beauceron J.-B. Thiers se moque de cette croyance.
C'était aussi durant cette nuit que les jeunes filles
interrogeaient les Mages, afin de savoir si elles coifferaient ou non sainte
Catherine. Dans les Ardennes, avant de se coucher, la jeune personne disposait
sous son oreiller un miroir sur lequel elle posait en croix une paire de bas
avec, à l'intersection, un démêloir, puis, après avoir terminé cette étrange
mise en scène, elle se mettait au lit en récitant cette prière assez bizarre :
Je touche à l'antibois,
salut trois Rois,
Salut Gaspard,
Melchior et Balthazar,
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faites-moi voir en mon dormant
l'époux que j'aurais en mon vivant.
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Alors, après avoir fait un signe de croix de la main gauche,
elle devait s'endormir sans dire un mot. Un folkloriste a rapporté jadis une
amusante histoire où il conte les mésaventures d'une jeune candidate au mariage
qui, fort pressée, s'était assise sur une bassinoire au lieu de poser son séant
sur le fameux antibois. En attendant son prince charmant, la jeune personne fut
obligée de se faire appliquer des compresses,
Enfin, nous signalerons un curieux pèlerinage aux Trois Rois
à l'église de Condeissiat, dans le diocèse de Belley, où de nombreux malades
venaient encore il y a vingt ans demander la guérison de leurs maladies de peau
et principalement de leurs écrouelles. Les Mages avaient remplacé ici le
pouvoir magique des souverains de la France, qui, on le sait, touchaient les
scrofuleux certains jours de l'année.
Roger VAULTIER.
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