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Jour de pluie

Le temps n'est pas fameux. Dans la nuit qui n'est pas encore arrivée à son terme, le vent fait choir des arbres d'énormes gouttes d'eau. Dans le ciel roulent de gros nuages. Tant pis ! je suis prêt. Pour le moment il ne pleut pas, et il y a des bécasses au bois.

Voilà le pare-brise tout brouillé ! L'essuie-glace commence son va et vient. Pas de doute, il pleut.

« Rentre au garage », dit la raison. Et les bécasses ?

Le jour est levé ; J'arrive au bois. Le ciel est fermé, les branches sont ruisselantes d'eau. Mes chiens sont vaillants, nous ne chasserons qu'une heure.

Et l'eau arrive de toutes parts. La pluie devient plus forte, et chaque branche de chêne vert refait à vue d'œil sa réserve d'eau, que quelques-unes avec adresse me vident dans le cou. Mes chiens chassent quand même. Le brave cocker vient souvent dans le chemin et se secoue avec énergie. Il faut abandonner. C'est le retour peu glorieux sous l'averse, l'arrivée avec les soins à donner aux chiens, au fusil, au chasseur.

Installé devant un bon feu de bois, je compose avec mes chiens le tableau si souvent dessiné d'un jour de pluie. J'ai dans les mains Le Chasseur Rustique, le vieil ouvrage d'Houdetot, et je pense à la saison de chasse qui touche à sa fin.

Que les temps sont changés ! Parlant de grives, Adolphe d'Houdetot dit qu'elles ne sauvent pas de la bredouille. On en tirait une, dit-il ou presque, et on en ramassait deux. Aujourd'hui on en tire deux, et souvent on n'en ramasse point. On disait ici : Mouqué coume un tourdre (Capot comme uns grive). En effet, une grive partait d'un buisson, s'arrêtait bien en vue à la première branche et attendait patiemment la coup da fusil. Maintenant, si vous ne tirez pas au vol ces oiseaux rapides et fuyards, vous pouvez aller chasser sans cartouches. Ainsi en est-il de tout le gibier, qui adapte ses moyens de défense, plus sa densité diminue, aux poursuites dont il est l'objet. Perdreaux et bécassines inabordables, canards haut volants, lapins dans le fourré, la conservation de l'espèce leur dicte la conduite à suivre. Les pauvres diables de lièvres n'ont guère changé leurs mœurs, mais aussi quel désastre !

La chasse tourne dans ce cercle vicieux : plus le gibier est rare, plus il est cher ; plus il est cher, plus il est recherché.

C'est bien le cas de parler du bon vieux temps. Les chasses étaient banales, pour la plupart, il n'y avait pas de limites. On partait, par exemple, dans un département comme la Lozère. Lièvres, cailles et perdreaux abondaient. Nos pères nous l'ont dit. Des aubergistes accueillants donnaient le gîte et le manger aux chasseurs, peu nombreux à la vérité, venus de loin, et tout le monde était satisfait.

Ce sont des temps que nous ne verrons plus. Les sociétés de chasse, les associations communales, malgré leurs imperfections, leurs faiblesses — parfois aussi leurs vices, — ont le mérite de conserver quelques exemplaires de chaque espèce. Si la liberté qu'on a connue à peu près jusqu'en 1914 n'avait pas été cloisonnée, il y aurait de grandes chances pour qu'il ne restât plus rien. Voyez les communes sans société.

Aussi, sauf dans les grandes chasses, on ne fait pas de tableaux impressionnants. Le chasseur rencontre un gibier vraiment sauvage que la guerre qu'il subit a rendu apte à la défense. On peut se consoler de sa rareté en pensant que les grands fusils qui poursuivent un gibier élevé en parquet ont moins de mérite. S'il faut protéger le gibier avec le maximum d'efficacité, il est bien certain que, dans les chasses où il pullule, la recherche se réduit à rien. Il suffit d'être bon tireur pour faire de beaux résultats. Mais on n'apprend pas à forcer la nature. L'art de trouver le gibier est supérieur, à mon avis, à l'art du tir.

On ne devient pas chasseur. On reçoit dans le berceau cette influence secrète qui anime pour vous d'une vie ardente les collines, les plaines, les bois. Dès l'enfance, l'esprit se forme à l'observation du gibier, à la connaissance des migrations, aux conformations de la nature propices à la chasse. Je connais pourtant des chasseurs dont les parents ne chassaient pas. J'en connais d'autres venus tard, vers trente ans, à la chasse. Ils peuvent devenir très forts. Mais le plus souvent leurs sens cynégétiques ont été attirés par une seule espèce de gibier, par un seul mode de chasse. Ils restent en dehors d'une grande partie du sol où les gibiers naissent, vivent et passent. Cantonnés soit dans la recherche du lièvre ou du lapin, soit dans la poursuite des perdreaux, les premiers ignoreront les plaines, les seconds la magie des bois, les uns et les autres le charme prenant des oiseaux de passage que le déroulement des saisons et l'air du temps amènent et enlèvent sur les terrains les plus variés. Celui-là ne dressera l'oreille qu'aux abois des chiens courants, celui-ci se croira plus sportif parce qu'il ne sait que suivre son chien d'arrêt.

La chasse est un tout plus complexe et, pour le vrai chasseur, il n'est pas de gibier méprisable. La valeur du gibier ne se mesure ni à sa taille, ni à son poids, et, s'il faut reconnaître une hiérarchie parmi les espèces qu'on s'enorgueillit d'atteindre, le premier degré comporte des valeurs qu'il convient de ne pas rejeter.

Mais, dans l'état actuel des choses, plus il y a de chasseurs, plus les régions peuplées se rétrécissent et plus les chasseurs se concentrent. Aussi assiste-t-on, avant l'ouverture, à la chasse aux cartes et aux actions.

Il est bien évident qu'il faudrait étendre les zones peuplées. Tout effort en ce sens, aussi modeste soit-il, mérite d'être soutenu. Beaucoup, naturellement, ont leur panacée, leur remède infaillible. Aucun n'est souverain, sans doute, mais aucun n'est complètement inefficace.

Pendant que je divague, la pluie continue à tomber. Le livre de d'Houdetot s'est refermé sans que j'y prenne garde. Je me souviens d'un jour pareil où, étant partis à la chasse aux sangliers, nous attendions une éclaircie dans une maison. Mon regretté ami, le lieutenant de louveterie Louis Agnel, qui avait dans la chasse une foi inébranlable, se pencha alors vers moi et, désignant nos compagnons, me dit à l'oreille :

Per un poù de neblo voulou pas cassat

(Pour un peu de brouillard ils ne veulent pas chasser).

Dehors c'était un déluge.

Jean GUIRAUD.

Le Chasseur Français N°649 Mars 1951 Page 131