Nous avons passé sous silence le tir du lièvre chassé aux
chiens courants sur un autre terrain que le bois, parce que nos précédentes
indications sur le tir du lièvre en général suffisaient amplement.
Sur ces terrains, on voit souvent venir le lièvre de chasse,
ce qui supprime l'émotion du déboulé. Si, toutefois, il apparaît inopinément à
une croisée de chemins, la surprise est moins vive parce que c'est lui qu'on
attend là, et qu'on est tout prêt à le recevoir.
Dans les pays de haies, de talus et de chemins creux, les
choses tournent plus encore au désavantage du lièvre. Lorsqu'on est placé sur
un talus, le dos à la haie, il ne vous voit pas et ne soupçonne pas le danger
qu'il court tant qu'on garde l'immobilité. Dans ces conditions, son allure
généralement débonnaire se proportionne à son avance sur les chiens. La
difficulté du tir surplombant s'en trouve à peu près supprimée.
II existe même une façon frauduleuse de l'arrêter net, très
simple, qui permet de le tuer sans gloire, mais à coup sûr. Ce moyen, qu'un
chasseur de ces régions nous a dévoilé jadis, avec la tranquillité d'une
conscience en repos, nous ne le ferons pas connaître à ceux qui, Dieu merci,
l'ignorent. L'esprit de concurrence ne nous tourmente guère ; cependant on
a si imprudemment légiféré en ce qui concerne l'avenir du lièvre que, moins que
jamais, nous ne voudrions ajouter quoi que fût en faveur de sa destruction.
Dans cette circonstance il y a tir, puisqu'un fusil lance
des plombs sur un but ; mais on ne peut le qualifier de tir de chasse.
Nous n'avons également rien dit sur le tir du lapin que des
chiens courants ont délogé des haies pour la bonne raison qu'il adopte, à ce
moment précis, un style de déboulé. Nous n'aurions pu que répéter ce que nous
avions dit précédemment.
Le tir du lapin qui se défile dans la haie plutôt que d'en
sortir est tout autre. Il s'apparente à celui qui se pratique au bois, puisque
le lapin s'efforce de couvrir sa fuite en recherchant la protection des herbes
et des branches. Il s'en écarte cependant par cette singularité que l'angle
naturel du tir est différent pour le lapin qui fuit sur le sol et pour celui
qui suit la haie, laquelle est plus ou moins élevée au-dessus du terrain foulé
par le chasseur.
Dans cette dernière condition, le tir semble moins malaisé.
Cela est vrai assez souvent ; mais pas dans le cas où la hauteur de la
haie oblige les canons à se tenir horizontalement lorsqu'ils sont braqués sur
un lapin filant droit devant le chasseur. Il est alors généralement impossible
de le toucher en tête, ce qui est bien la meilleure façon de l'immobiliser. En
tirant de près, on broie. De trop loin, on risque de blesser pour rien s'il
existe des trous à proximité.
A notre époque, on le sait, la chasse à tir du lièvre à la
menée des chiens courants rencontre des difficultés croissantes dans les
campagnes, au point qu'elle est quasi impraticable. Le revêtement des routes et
le décès de la civilité entre chasseurs, qui s'observait mieux autrefois, l'ont,
en particulier, reléguée au bois, où les progrès moraux et matériels n'ont pas
les mêmes facilités de l'ensevelir sous leur inépuisable manne.
Si, pour le commun des chasseurs, le bois est un lieu de
ressources, il est considéré comme un temple par les purs bécassiers et par les
non moins purs chasseurs aux chiens courants.
Ces derniers forment une secte où les rites de la petite
vénerie sont respectés, où l'amour de la chasse passe avant tout et l'élève
assez haut pour n'être pas confondue avec la stupidité massive, et la
bestialité d'un massacre. Cette secte, qui n'est pas encombrée, est composée de
bons vivants suffisamment apostoliques pour laisser l'amour du tir au second
plan avec son courtisan l'amour-propre, auquel, pas plus que les autres
humains, ils ne sont cependant insensibles. L'apostolat n'écrase pas l'homme.
Ils accomplissent ce sacrifice, même s'il leur en coûte, pour le plaisir
profond d'entendre la voix des chiens et de savourer les instants que, dans un
climat de passion, fait naître l'attente de ce qu'on ne peut prévoir à coup
sûr. Instants qui donnent à l'incertitude, semeuse d'angoisse s'il en fut, le
visage toujours attendu d'un plaisir. Mais, lorsque ces hommes-là ont, par
amour de l'art, permis à la menée de se prolonger un certain temps, il faut
tout de même bien qu'ils tirent et qu'ils rejoignent ainsi leurs confrères
restreignant moins l'usage de leur fusil, et découplant dans l'intention bien
arrêtée de le faire parler le plus vite possible.
Considéré par des profanes, ce tir n'offre guère de
difficulté. Ils ont grand tort de trop se fier aux apparences. A la vérité, ce
tir s'exécute dans des conditions généralement plus commodes, comparativement à
celles qui vous sont offertes par la chasse devant soi. Une fois posté, on a
tout le temps, à de rares exceptions près, d'examiner son champ de tir et de
préparer la place où l'on posera les pieds, place d'où dépendront leur aplomb
et la liberté de leur feu. Cette dernière facilité est un sérieux avantage, à
condition de savoir en profiter, car il n'est pas donné à tout le monde d'être
son familier.
S'en moquer, comme ceux qui l'ignorent ne s'en privent
guère, n'avance à rien du tout. Lorsqu'il est praticable, le jeu de pieds peut
être considéré comme la condition principale du tir en travers. Il ne se
remplace en aucune façon par des réflexes naturels qui cherchent à sauver la
situation au lieu de l'apprêter pour mieux la dominer.
Tout cela compte pour quelque chose, mais ne donne pas
l'assurance de tirer juste et de tuer net. Les purs s'accompagnent de chiens
courants racés et créancés pour chasser, et non expressément pour tuer. Pour
eux, comme nous l'avons dit plus haut, le coup de fusil est un dénouement, mais
un dénouement à base de recommencement, puisqu'il arrête la menée afin de lancer
à nouveau. Toute pièce blessée représente une perte de temps ; toute pièce
manquée influe sur le sort de la journée.
Le pire est qu'on ne se trouve pas seul à se réjouir ou à se
plaindre de ses vicissitudes. Le tir au bois, devant des chiens courants,
encourt donc, en quelque sorte, une responsabilité qui, lorsqu'on en a
conscience, peut, selon les tempéraments, contrebalancer les avantages obtenus
par des commodités supérieures.
Aussi peu féru soit-on du coup de fusil, bien des choses peuvent
l'influencer. Une longue suite de chasses sans occasions ne vous dispose pas
comme des occurrences contraires se succédant sans lassitude. On a beau ne pas considérer
la chance comme un grand facteur de la vie, on reconnaît son existence aussitôt
qu'elle vous abandonne. Même si l'on jouit d'un caractère poussant
l'originalité jusqu'à se réjouir qu'une heureuse fortune s'amourache de vos
compagnons, il vient se greffer, à la longue, une petite réticence sur le fait
d'une telle faveur. Sous la conduite de ce sentiment, l'entrain, la patience,
la confiance surtout s'engourdissent, et les réflexes du tir, qui ont tant
besoin d'être tenus au chaud, se refroidissent, et ne répondent plus suffisamment
aux circonstances.
La façon dont on supporte une longue attente, perdu dans un
silence prolongé que la voix des chiens ne rompt pas, dépend de la nature
profonde de chacun.
Qu'on, manifeste ses sentiments par des réactions naturelles
comme la mauvaise humeur ou les soupirs arrachés à un excès de stoïcisme, dont
une bonne part s'adresse à la pipe, momentanément sacrifiée à la méfiance d'un
gibier dont les narines ne sont pas maçonnées, on n'en observe pas moins la
tournure des événements. Mais que le rêve ne s'en mêle point ! Il vous
couche le fusil, sur l’avant-bras, vous emmène au paradis délicieux des choses
inutiles, où l'on ignore qu'une présence animale est peut-être là, tout près,
qui surgira brusquement et qu'on perdra de vue avant que le fusil soit à
l'épaule.
Faute de place, nous expliquerons le mois prochain pourquoi
le tir à la chasse aux chiens courants peut être facile ou difficile.
Raymond DUEZ.
|