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La chasse à la perche

M. A. Flamet, abonné, a relevé dans un vénérable grimoire du début du XVIIIe siècle ce moyen vraiment simple et économique de faire hécatombe de lapins et de lièvres. Nous le livrons à la publicité, bien qu’il soit prohibé, car lapins et lièvres du XXe siècle sont certainement plus méfiants — et malheureusement plus rares — que leurs ancêtres.

— Je veux, dit le major vous faire voir ma manière de prendre des lièvres : c'est une chasse toute divertissante, et je vous y invite pour demain sur les quatre heures du matin avant le soleil levé.

La partie étant ainsi arrêtée, nous nous trouvâmes, Albano, Tissago et moi, à la grande place où, le major nous y ayant joints, nous partîmes pour prendre le chemin des Dunes tout le long de la mer, et nos valets nous suivirent, portant tous de grandes perches de bois, un peu plus longues que les piques ordinaires de nos soldats. Un des valets du Major était parti une heure ou deux devant nous, avec un havresac plein de pois rôtis, qu'il avait répandus tout du long du chemin où nous devions passer durant l'espace de plus de deux lieues. Nous trouvâmes le long des dunes de petits buissons, de distance en distance, où nous pouvions facilement nous cacher pour n'être point vus du gibier.

Le Major nous ayant placés tous séparément, il nous donna à chacun une de ces perches et en prit pareillement une pour lui; ensuite il nous dit qu'il avait ordonné à quelques paysans de battre la campagne avant la pointe du jour et de continuer jusqu'à ce que le soleil fût levé, qu'indubitablement nous verrions dans peu de temps des lièvres et des lapins :

— « Tout cela est bon, lui dîmes-nous, mais ce n'est pas le tout de les voir, comment pouvoir les prendre sans (aucune) arme ? »

— « Je vais vous le montrer, continua-t-il, mais cachez-vous promptement, car en voici plusieurs que j'aperçois qui viennent à nous. »

En effet, le premier lièvre qui parut, le Major, d'un coup de perche qu'il lui adonna au-dessus des oreilles, le jeta sur le côté; il en fit de même au second, au -troisième et au quatrième : il en tua sept à huit, lapins pareillement, en moins d'une demi-heure, et, nous étant aperçus comment il s'y prenait, nous l'imitâmes si bien qu'en cinq ou six heures de temps nous mîmes sur la place plus de quarante pièces de gibier. Comme cette chasse est très extraordinaire, et qu'il y a peu de monde qui aime ce divertissement qui ne soit bien aise de savoir comme elle se fait, j'ai rapporté seulement cette histoire ici en vue seulement de faire plaisir aux honnêtes gens, en leur apprenant un secret dont je me suis depuis très souvent servi, et dont je me sers encore assez souvent, ou dans mes terres ou dans celles de mes amis.

Voici donc comment la chose se passe. Avant le jour, on fait battre la campagne par une cinquantaine de paysans, comme nous fîmes avec le Major, et un valet ou deux étant munis de pois rôtis, lesquels sont extrêmement durs, on les fait marcher uns couple de lieues sur les routes où l'on veut chasser.

Le gibier, qui entend les paysans qui font du bruit, marche devant eux en s'enfuyant ; les chasseurs s'étant postés dans les avenues et dans les buissons d'où ils ne peuvent être découverts, les attendent au passage, et voici le tour d'adresse et comment on les prend :

Les lièvres et les lapins trouvant sur leur chemin une assez grande quantité de pois rôtis, ils s'y amusent, ils veulent les croquer et font des efforts et des grimaces qui ne donnent pas un petit plaisir aux chasseurs. Mais ce qui est à observer de plus particulier pour ne pas les manquer, c'est que, dans le moment qu'ils grincent les dents, ferment et éloignent les yeux par la peine qu'ils ont de casser leurs pois, qui sont d'une dureté effroyable, il faut adroitement leur décharger un seul petit coup de perche au-dessus des deux oreilles ; ils tombent sur-le-champ tout étourdis, et vous en prenez à la main par cette subtilité tant qu'il s'en présente.

Le Major, après les chasses, nous régala chez lui avec toute sorte de magnifiscence ; c'était un très galant homme qui faisait parfaitement bien les honneurs de l'emploi que le Roi lui avait confié.

    Extrait du « Dictionnaire Économique ou moyen d'augmenter son Bien », par M. Noël Chomel, Prêtre, curé de la paroisse Saint-Vincent de Lyon.

    A Lyon, chez Jacques Guerrier, à la Place des Grands-Jésuites, et Antoine Besson, rue Tupin, proche le Logis de l’Empereur avec approbation et privilège du Roi. — an 1712.

Le Chasseur Français N°649 Mars 1951 Page 139