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Un ennemi du gibier

La couleuvre de Montpellier

Parmi les nombreuses couleuvres que nous avons en France, celle qui, incontestablement, est la plus grande est la couleuvre de Montpellier, dont la longueur maxima va jusqu'à 2m,40. Son nom scientifique est : Malpolon monspessulana (Hermann).

Elle a comme habitat le Sud de l'Europe, et celle dont nous allons conter l'histoire accomplit ses exploits dans un parc où l'on faisait de la reproduction de faisans pour la Société départementale des chasseurs du Tarn-et-Garonne.

Dans ce parc de plusieurs hectares, nous avions organisé un élevage naturel d'après la méthode moderne qui consiste à retirer, au fur et à mesure de la ponte, quelques œufs dans chaque nid de faisane. En effet, la ponte de ce bel oiseau peut dépasser 30 œufs en moyenne si on ne lui laisse pas plus d'une douzaine d'œufs à la fois dans le nid, alors que si l'on n'en retire pas, quand la faisans a pondu 15 à 18 œufs, elle se met à les couver (c'est ce que l'on appelle « prendre le nid »).

On peut donc, profitant de cette possibilité d'une ponte abondante, retirer des nids une dizaine d'œufs qu'on fait couver par une poule de ferme, alors que la faisane couve le surplus de ses œufs, les fait éclore, puis élève sa couvée.

La poule de ferme, de son côté, en fait autant, et c'est ainsi qu'on tire le meilleur parti de la totalité des œufs produits.

La première année où fonctionna cette organisation, tout alla bien, mais, la suivante, il n'en fut plus de même.

En effet, à 2 mètres du nid, dans la direction de la maison du garde, un piquet avec encoche indique le numéro du nid.

Quand le garde retire les œufs, il en marque le nombre sur son calepin, à la page réservée au nid, et connaît ainsi chaque jour la totalité de ce qu'un nid a produit.

Or il arriva à un certain moment que des nids n'augmentaient plus en nombre et que dans quelques-uns, d'une visite à l'autre, il y avait moins d'œufs qu'à la visite précédente.

Ce fait parut singulier, car le parc, par son organisation, ne pouvait lasser passer aucun animal nuisible. En effet un bavolet flottant sur la clôture interdisait toute incursion de ce qui rampe et, aussitôt prévenu de ce qui se passait, nous pensâmes à la visite matinale d'un braconnier faisant la tournée des nids avant le garde.

Cependant celui-ci ne partageait pas notre opinion et jura d'intensifier sa surveillance jusqu'à ce qu'il découvrît le motif de ces disparitions.

Or, un matin, il aperçut à quelque distance, dans le petit bois où se trouvait la majorité des nids, un serpent de taille inconnue qui, suivant son expression, « n'en finissait pas » et auquel il envoya, en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, ses deux coups de fusil.

La bête était-elle trop loin, ou le garde, un peu ému, avait-il mal visé ? Toujours est-il que cette rencontre n'eut qu'un résultat, mais cependant fort important : le garde était maintenant fixé sur la cause de la disparition de ses œufs et il allait, par la suite, redoubler de surveillance.

A quelques jours de là, sortant du pavillon où ils habitaient, sa femme se trouva nez à nez, si l'on peut dire, avec la grande couleuvre et, prise d'une terreur folle, se précipita dans la maison, s'y barricada et, quand son mari rentra, lui jura qu'elle ne voulait plus habiter là !

Cependant le garde, qui n'en dormait plus, augmenta sa surveillance, car il voulait revoir la couleuvre et en débarrasser son parc. L'attente ne fut plus très longue, mais disons tout de suite que l'aventure ne se termina pas comme il l'aurait désiré.

Alors qu'un matin il faisait sa tournée et qu'il longeait le grillage extérieur, il aperçut pour la seconde fois la couleuvre.

Elle se trouvait à mi-hauteur dans un arbre assez près de la clôture, le haut de son corps débordant l'arbre déjà de plus d'un mètre.

Comme il en était assez loin, il recula pour arriver sous bois à bonne portée de fusil et donner ainsi plus d'efficacité à son tir.

Au moment où il allait la revoir, il entendit un grand bruit sur le grillage et, faisant encore deux pas, il aperçut l'extrémité de la bête qui filait dans la campagne, en dehors du parc.

Prévenus immédiatement, nous arrivions au parc deux jours plus tard et, là, le garde et sa femme nous confirmèrent ce qui précède.

Ayant examiné cet arbre, nous constatâmes quo c'était le plus proche de la clôture.

Mais par où entrait-elle ?

Un examen très sérieux des alentours nous démontra qu'en un endroit voisin, qui était la propriété d'un fermier, beaucoup d'arbres étaient à moins de 2 mètres.

Aussi, à la suite d'une visite, ce fermier nous autorisa à faire abattre tous les arbres qui étaient à moins de 4 mètres de la clôture, mais en lui laissant le bois abattu, ce qui fut promis.

Il en fut fait autant dans l'intérieur du parc et, par la suite, on n'y vit plus cet hôte indésirable qui n'avait plus la possibilité ni d'y entrer, ni d'en sortir.

On voit que la couleuvre de grande taille doit être considérée comme un ennemi du gibier, et un garde chef, qui avait des parquets à faisans, nous conta une fois comment il s'en débarrassait.

II avait remarqué que ces animaux suivaient volontiers les grillages. Aussi posait-il contre eux de grandes nasses à double entrée. Les couleuvres s'y empêtraient et n'en pouvaient plus sortir, et il en prenait chaque année un certain nombre de cette façon.

L'on sait comment procèdent les serpents pour s'alimenter. Ils avalent leur proie et la déglutissent par la suite, un peu à la façon de la vache quand elle rumine.

Or une histoire nous fut contée par un riche propriétaire qui possédait plusieurs fermes en Italie, où il faisait en grand l'élevage des pintades.

Le sol et le climat étaient cause de la présence d'un grand nombre de grosses couleuvres qui recherchaient beaucoup les œufs de pintades pour s'en nourrir.

Le gardien des volailles vit un jour une couleuvre dormant au soleil et qui, manifestement, faisait la sieste après une absorption copieuse de nourriture.

D'un coup de matraque sur la tête, il la tua et l'ouvrit avec attention, afin de voir ce qu'elle avait mangé. Il y trouva deux œufs de pintades tout entiers et en parfait état.

Comme le même jour il mettait à couver des œufs de ces oiseaux, il marqua les deux retirés de la couleuvre et les ajouta aux autres. Il eut la satisfaction de voir qu'ils étaient demeurés excellents, puisqu'ils donnèrent naissance à deux pintadeaux.

On admettra qu'ils revenaient de loin ! Ce serpent est tout à fait inoffensif malgré sa grande taille, mais il aime trop les œufs. Aussi les gardes qui ont des élevages situés dans le Midi feront bien de les surveiller, afin de ne pas payer un lourd tribu d'oeufs à leur voracité.

René DANNIN,

Expert en agriculture (chasse et gibier)
près les tribunaux.

Le Chasseur Français N°649 Mars 1951 Page 139