Aucun mois, à rigoureusement parier, n'est absolument
dépourvu de chants. Les plus froids, les plus sombres, décembre et janvier
mêmes, connaissent parfois, quand le temps s'adoucit et qu'un rayon de soleil
disperse le brouillard, les refrains de la draine, de la mésange charbonnière et
du troglodyte. Mais ces chants sont rares et brefs, réduits le plus souvent à
quelques notes qui s'amplifieront au cours des mois suivants, quand l'approche
du renouveau éveillera vraiment la joie de vivre et le besoin d'aimer chez ces
petits êtres aussi impressionnables que charmants.
Faut-il croire que, chez le plus petit d'entre eux, cette
source de joie et d'amour n'arrive jamais à se tarir complètement ? On le
dirait, car le troglodyte chante toute l'année, j'ai cité avec lui, comme
chanteurs d'hiver, la draine et la mésange ; mais la première, depuis
juin, gardait le silence, et la seconde depuis juillet. L'épreuve de la mue,
qui, les couvées finies, éteint une à une les voix des autres oiseaux, semble
n'avoir que peu de prise sur lui. En août, le mois le plus silencieux de l'été,
je l'entendais chanter joyeusement chaque jour, et, en ce novembre où j'écris,
par ces aubes de brume et de pluie, quelques notes éclatantes et triomphales,
précédées et suivies d'un crissement de sauterelle, viennent me répéter dès mon
réveil que, même alors, la vie est belle pour qui sait conserver confiance et
courage.
Il est bien vrai que la nature semble avoir doté avec
prédilection ce minuscule personnage de toutes les qualités qui assurent le
succès dans la lutte pour l'existence : une énergie et une gaîté que rien
n'abat, une ingéniosité qui sait tirer parti de tout, une hardiesse incroyable
que l'extrême petitesse de son possesseur rend à la fois comique et touchants.
Son costume aussi, uniformément moucheté de brun foncé sur brun plus clair, qui
l'a fait surnommer en certaines régions la « petite bécasse » ou le « petit
roi des bécasses », l'aide à passer inaperçu dans les buissons et les tas
de fagots qu'il fréquente par choix en hiver.
Mais l'audace de notre oisillon n'a cure de ces précautions
maternelles de Dame Nature. Passer inaperçu est le cadet de ses soucis. Si nous
l'observons si souvent se faufilant comme une souris dans les recoins obscurs
des granges et des masures abandonnées, dans les fourrés d'ajoncs et de ronces,
dans les tas de bois et de débris de jardinage, c'est seulement pour y chercher
sa nourriture—que, entre parenthèses, il y trouve à sa suffisance et à sa
mesure en toutes saisons, dans de mystérieuses retraites dont nul, pas même un
flocon de neige, ne lui disputera la possession, — mais ce n'est assurément pas
pour s'y cacher. Il affectionne particulièrement, au contraire, les situations
dégagées et aime à se percher au sommet des buissons pour y jeter à tous les
échos sa triomphale petite fanfare, coupée en son milieu d'un trille
caractéristique, mais aussi, dès que quelque chose l'inquiète, pour mieux se
rendre compte sans doute, en ponctuant son inquisition d'une série de trr,
trr, trr aussi tapageurs que possible et en relevant fièrement
son bout de queue à la verticale.
Ces manifestations-là ne sont que la menue monnaie de ses
émotions journalières, mais, aux grandes heures de son existence, quand l'amour
le transporte, par exemple, c'est beaucoup plus haut qu'il s'installe pour
faire part au monde ambiant de sa légitime jubilation, à la cime d'un toit ou à
la pointe d'une girouette, pour de là déverser intarissablement son chant
sonore et joyeux où résonnent les accents de la plus authentique joie de vivre.
Il en est de même quand le sentiment paternel, si puissant
chez les petits oiseaux, le saisit à la vue de sa nichée heureusement sortie du
nid. En cette conjoncture où les autres oiseaux semblent oublier leurs chants
pour mieux prodiguer à leur progéniture ignorante les cris d'avertissement et
de prudence, notre phénomène n'interrompt pas, de l'aube au crépuscule, son
hymne de triomphe ; au point que, lorsque en plein été je l'entends, du
jour au lendemain, chanter avec une fréquence et un entrain inaccoutumés, je me
dis : « Voilà les petits troglodytes hors du nid. » Et je le
vois encore, un après-midi de juillet, s'égosiller à la cime d'une haute rame
de haricots, tandis qu'à terre, dans les allées, des atomes emplumés filaient
comme des souris brunes, d'une bordure à l'autre. Jusque sous le nez de mon
chien, ahuri de leur témérité.
Son nid ... qu'est-ce que je dis ? ses nids — car
il lui arrive fréquemment d'en bâtir trois ou quatre pour une seule couvée,
rivalisant en cela avec la pie, qui emploie, très habilement ce moyen d'en
sauvegarder le secret, — sont d'une dimension extrêmement grande pour un si
petit oiseau et d'une structure ingénieuse et compliquée. Une grosse boule de
mousse ou d'herbe sèche, profonde et chaude, dans laquelle on accède par une
sorte de petit couloir placé latéralement à la partie supérieure. Ce dernier
printemps, je ne lui en ai pas vu construire moins de trois, dont deux en une
seule journée. Ceux-ci étaient installés dans des nichoirs à rouges-queues dont
l'armature lui avait facilité le travail ; à l'un d'eux, il avait même
supprimé la partie arrondie du dôme : on aurait pu le prendre pour un nid
de rouge-gorge : le second, dans la même situation, n'avait qu'une partie
de ce dôme ; le troisième, dans un cèdre, était bâti selon toutes les
règles, mais ne fut pas plus habité que les deux premiers. Il me fut impossible
de découvrir celui qui contenait la nichée. Il était sûrement dans le
voisinage, car le mâle chantait assidûment tous les jours, pour charmer sa
femelle, sur le tronc mort d'un vieux marronnier où il me laissa en souvenir,
sur une toile d'araignée argentée de rosée, une plume microscopique, striée des
deux tons de brun dont il est revêtu. Ses œufs sont semblables à ceux des petites
espèces de mésanges, c'est-à-dire blancs pointillés de rouge et à peu près de
la même taille que les leurs.
Il a toutes les bonnes fortunes, celle entre autres d'avoir
été introduit dans la littérature, non comme le rossignol et le rouge-gorge,
par la plume d'hommes de lettres ignorant tout des choses de la nature, mais
par de vrais amis de celle-ci. Mistral le cite, avec la chevêche et le
rouge-gorge, dans son conte Les Rois, où les petits enfants de Provence
vont, au coucher du soleil, la veille de Noël, au-devant des Mages de l'Orient.
Le poète italien Giovanni Pascoli, le poète des oiseaux, a dédié un de ses
poèmes au « petit oiseau du froid ». Les Allemands aussi l'appellent « petit
roi de froidure ». Il semble que ce soit le contraste de son allègre
vitalité et de la désolation hivernale qui frappe surtout, cela non sans
raison, car bien peu d'oiseaux conservent leur gaîté par les grands froids, par
les grandes neiges surtout. Ils ont trop à souffrir de la faim qui, chaque
année, en tue un grand nombre. Mais le troglodyte n'apparaît jamais sur la
fenêtre où je nourris alors les pauvres affamés, ou, s'il y vient, c'est pure
curiosité ; il ne touche aucunement à la provende variée qui s'y étale. II
n'a pas besoin de nous et sait s'assurer par lui-même le logement et la
nourriture. C'est sans doute cette assurance et l'air d'autorité qu'elle lui
confère qui lui ont valu ses divers surnoms de « petit roi » ;
car sa livrée est sombre et il ne porte pas couronne d'or comme son émule en
petitesse, mais non en vigueur et en audace, le roitelet huppé.
Dans les grands forêts d'épicéas du Jura et des Alpes, dont
la majesté solennelle et le silence profond, qu'aucun cri d'oiseau ne vient
rompre, oppressent un peu le promeneur, celui-ci prête parfois l'oreille pour
surprendre un signe de vie animée, et l'on croirait que le cri caractéristique
de ces impressionnantes solitudes doit être celui de quelque grand rapace venu
y chercher la sauvegarde de son espèce menacée. Mais, à un détour du sentier,
éclate tout a coup le tapage coléreux du troglodyte, qui a été dérangé et qui
en informe véhémentement l'univers.
Pierrette MAGNE.
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