Avec les mois de mars et avril, venant après la fermeture
définitive de la chasse, commence l'époque des divers concours destinés à la
sélection des chiens d'après leurs qualités pratiques et physiques. Fied-trials
et expositions vont se succéder pendant cette période creuse, pour les
chasseurs, qui permet à ceux-ci d'attendre avec moins d'ennui la prochaine
aventure.
Nous avons dit souvent, peut-être trop souvent au gré de
certains, ce que ces manifestations ont de factice, d'illusoire, et aussi ce
qu'elles ont de bon. Critiquer leurs imperfections n'a qu'un but : celui
d'inciter les cynophiles à les améliorer. Ils penseront, peut-être, qu'il ne
dépend pas d'eux-mêmes de réformer des règlements et des méthodes qui leur sont
imposés par les organismes dirigeants de la cynophilie. Cela n'est pas certain ;
car, si la majorité des utilisateurs était convaincue des défauts de certaines
méthodes servant de base à la sélection, et s'ils exprimaient plus fermement et
hautement leur désir de les voir réformer, on pourrait, un jour, espérer voir
se réaliser ces améliorations.
Si les concours d'utilisation de chiens d'arrêt, notamment,
ne sont que simples jeux ou n'ont pour but que de donner aux concurrents une
valeur commerciale conventionnelle, tout est fort bien. Mais si, sérieusement,
on prétend se baser sur eux pour apprécier et faire connaître les aptitudes
comparées des diverses races et la valeur intrinsèque des sujets, afin de les
mettre en vedette, pour la reproduction, donc pour la sélection, le principe
même de ces concours est vicié à la base.
En imposant aux chiens des diverses races le même règlement,
le même terrain, la même façon de se comporter, on pose d'abord, en principe,
que toutes sont aptes au même travail, à la même façon de chasser. On se
demande alors pourquoi se justifie une telle diversité de races en dehors des
préférences de chacun pour leur physique particulier.
Tout se passe comme si des augures dictatoriaux avaient
décidé qu'il n'est qu'une seule façon de chasser, un seul terrain de chasse,
une seule catégorie de gibier, et que cette manière de chasser, ce terrain, ce
gibier soient justement les leurs : faciles, artificiels. La polémique des
amateurs de chiens à grand influx nerveux, rapides et à large quête, et des
amateurs de chiens au tempérament calme, mais rustiques, robustes, à grande
résistance, vient de l'erreur de comparer des choses dissemblables répondant à
des buts différents. Et cette erreur, c'est la standardisation des épreuves qui
la fait naître et l'entretient. Il n'est pas de races universellement
supérieures aux autres ; il en est seulement de plus aptes que les autres
à certain travail, à certains pays ou terrains, à certains gibiers, dont les
mœurs varient en certaines régions. Une partie de chasse aux perdreaux rouges
dans les garrigues du Midi ne ressemble pas du tout à une chasse aux perdreaux
gris dans la plaine de Beauce, ni même à celle aux perdreaux rouges en Sologne.
Le chasseur qui ne prend le fusil que lorsqu'il est bien sûr de n'essuyer ni
averses, ni neige, et qui n'opère qu'en terrain plat, bien ouvert et toujours
giboyeux, ne peut avoir besoin du même chien que celui qui, l'été, chasse huit
jours consécutifs le matin et le soir, et, en hiver, ne consulte le baromètre
que pour se réjouir des baisses de pression, prometteuses de beaux passages.
L'originalité de notre pays provient de la diversité des
terroirs qu'il nous offre et de la personnalité des chasseurs. C’est elle qui a
fait éclore toute une gamme de races canines propres à satisfaire tous les
besoins et tous les goûts. On ne saurait en niveler les caractères sans
prétendre d'abord niveler les esprits ; mais, en dépit de la tendance de
nos temps a vouloir tout normaliser, il faudrait d'abord niveler les montagnes,
assécher les marais et percer tous les bois de layons conçus pour le tir, comme
ceux de l’Ile-de-France.
C’est pourquoi la sélection des chiens de chasse basée sur
les field-trials ne peut avoir de prétention universelle. Or l'importance qu'on
lui accorde et la publicité qu'on lui fait, induisent en erreur l’utilisateur
non averti et compromettent l'avenir de certaines races.
Ce danger, que notre attachement aux races nationales nous
incite seul à dénoncer avec ténacité, bien des chasseurs rustiques le comprennent.
La correspondance que nous recevons à ce sujet le prouve ; la lettre
suivante le résume et l'illustre :
« L'article que vous venez de faire paraître dans Le
Chasseur Français du mois de décembre, concernant les jugements d'épreuves
de chiens d'arrêt, me paraît rempli de bon sens. On ne peut, en effet,
dissocier l'expérience de la chasse et celle du chien. Seul peut faire un bon
juge un excellent chasseur, c'est-à-dire qui a beaucoup pratiqué et connu la
peine et la difficulté de trouver et lever du gibier dans des endroits où il
est rare et difficile ; celui-là seul apprécie vraiment la valeur réelle
d'un chien.
« J'ai assisté dernièrement aux épreuves de chasse
pratique des griffons Korthals, en Sologne. Parmi les concurrents, il y en
avait un qui, sur le terrain, m'a paru réunir toutes les qualités d'un vrai
continental : quête bien croisée, énergique, suffisamment rapide, avec un
beau port de tête, dans un rayon de 60 mètres de son conducteur ;
prospection méthodique et intelligente du terrain (ce dernier, malheureusement !
déjà battu par deux concurrents précédents !). L'après-midi, ce chien
devait se distinguer au concours de rapport en eau profonde, si judicieusement
institué par le Club français du griffon à poil dur pour les chiens de cette
race. Or il n'a même pas eu une mention dans le classement du field-trial. J'ai
l'impression qu'on a jugé ces continentaux comme des chiens anglais et que l'on
a surtout primé ceux dont la quête se rapprochait le plus de ces derniers, bien
qu'aucun des lauréats n'ait, à mon sens, fait la preuve que leur nez était à la
mesure de leurs pattes. Des épreuves semblables me paraissent fausser l'esprit
des concours dits de chasse pratique ; ce ne sont plus que de mauvais field-trials
avec gibier tué. Comment s'étonner ensuite de voir des amateurs exigeant des
continentaux chassant comme des anglais, pour s'en lasser ensuite au contact
des réalités ? Pourquoi vouloir aligner tous les chiens sur l'allure des
anglais, sans s'occuper de leur caractère et de leur aptitude propre ?
Beaucoup de Juges ne voient la chasse qu'à travers la facilité des terrains
giboyeux de Sologne, où l'utilisation du chien est secondaire.
« Le field est une démonstration académique et idéale
du dressage et des qualités naturelles du chien, qui en fait un sport à part,
mais sans aucun rapport avec la chasse réelle. Il ne convient donc pas de s'en
inspirer pour juger des épreuves pratiques où la sagacité du chien, son sens du
terrain, sa roublardise ne peuvent être perçues que par un chasseur qui les
possède lui-même. L'humiliation infligée à de grands chiens et à leur maître,
sur le terrain de la pratique, par de méchants cabots illustre amplement mon
opinion.
Le type « trialers », comme critérium suprême de
la valeur cynégétique d'un chien, me paraît une hérésie entachée de snobisme.
Et, pour que vous ne puissiez croire que je prêche pro domo et en tant
qu'admirateur du chien dit a « roulettes », je vous déclare que j'ai
très longtemps chassé avec des chiens anglais et que les épagneuls bretons, par
lesquels je les ai remplacés, ne leur cèdent en rien comme train. Mais, tous
ces chiens, je ne les ai jamais choisis et appréciés pour leur allure seule.
Mes propos, bien entendu, ne visent en rien la personnalité des juges dont je
parle et encore moins le Club du griffon, à qui je rends hommage pour son
effort en vue de conserver à cette race ses aptitudes propres et auquel je dois
un grand merci pour l'aimable accueil et la courtoisie dont il entoure ses
invités.
« Veuillez agréer, monsieur, etc ... » __ Dr P ...
Nous ne saurions rien ajouter à cette lettre, qui résume si
bien une opinion que beaucoup de chasseurs partagent.
Jean CASTAING.
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